Pontiac Grand Prix 1973-77 : la revanche des comptables

Ah, les comptables, les fameux bean counters dont on aime si souvent expliquer qu’ils sont la cause de tous les maux des constructeurs américains depuis des décennies (ce qui est souvent vrai, il faut le souligner)! Ils ont fixé leurs conditions pour le programme de la Grand Prix 1973. Et pour une fois, ça a marché! Cette génération a explosé des records de ventes. Mais ce n’est pas seulement grâce à eux.

De 1962 à 1968, la Grand Prix est une Catalina revampée destinée principalement à lutter contre la Thunderbird, qui est passée à 4 portes en 1958. Au fil du temps, le programme intéresse de moins en moins, tant à l’interne qu’à l’externe. Et puis, pour le millésime 1969, tout est repensé. Au lieu d’utiliser le châssis pleine grandeur habituel, c’est une base d’intermédiaire (châssis A-Body) qui sera mise à profit. John DeLorean, qui est à la tête de la division depuis 1965, est séduit par l’idée et sera le véritable promoteur du projet. Le châssis est modifié à l’avant de la cloison pare-feu et allongé avec un empattement de 118 pouces, prenant la dénomination G-Body. Avec des proportions uniques (la marque se targue alors d’avoir le plus long capot de la production nord-américaine), un style élégant et des prix compétitifs, l’auto est un succès instantané avec des ventes qui augmentent de 255% par rapport à 1968. À la fin de cette génération, 328 522 exemplaires auront été écoulés en quatre millésimes, c’est-à-dire presque autant que pour les modèles pleine grandeur (336 294 exemplaires) … mais en 7 ans! Est-ce que la nouvelle génération pourra tenir ces chiffres?

Photo: Pontiac

Homogénéisation

Les plans initiaux visaient une présentation de la nouvelle génération pour le millésime 1972. Mais une grève de 67 jours chez GM durant l’automne 1970 retardera les choses. Finalement, la nouvelle Grand Prix sera lancée pour le millésime 1973. Cela permettra d’intégrer directement les normes de sécurité  fédérales demandant que les pare-chocs résistent à un impact de 5 mph (8 km/h) sans déformation, imposant un allongement de la longueur totale et du poids (voir tableau de dimensions ci-dessous). D’autres modèles doivent également être introduits en 1973 : les gammes intermédiaires sur base de châssis A-Body avec un empattement de 116 pouces pour les 4 portes et 112 pouces pour les 2 portes. Les comptables de GM vont demander et obtenir que la Grand Prix repose sur l’empattement de 116 pouces des 4 portes. Fini l’allongement de l’empattement en avant de la cloison pare-feu, finies les proportions uniques, finie la spécificité de la Grand Prix!

Dimensions en mm

Grand Prix 1972

Grand Prix 1973

Empattement

2 997

2 946

Longueur

5 428

5 502

Hauteur

1 321

1 344

Largeur

1 941

1 989

Hauteur siège plafond avant

953

955

Hauteur siège plafond arrière

927

947

Espace jambes avant

1 090

1 077

Espace jambes arrière

782

851

Largeur aux épaules avant

1 478

1 494

Largeur aux épaules arrière

1 450

1 450

Largeur aux hanches avant

1 453

1 445

Largeur aux hanches arrière

1 339

1 344

Volume du coffre (L)

340

405

Poids en ordre de marche (Kg)

1 798

1 887

Pourtant, les designers vont faire un excellent travail et donner à la Grand Prix un caractère unique, même si elle doit partager son toit « colonnade » avec la nouvelle Chevrolet Monte Carlo, l’Oldsmobile Cutlass Supreme et les Buick Century Luxus et Regal coupés. Ce toit intègre un montant arrière plus épais pour résister aux normes fédérales en cas de retournement. Le style de la Grand Prix est gelé à l’automne 1969.

Photo: Pontiac

Du luxe et plus encore!

La nouvelle Pontiac Grand Prix est proposée en deux versions : de base et SJ (en hommage au Duesenberg des années 20/30, le nom est d’ailleurs utilisé dans le catalogue Pontiac 1973, la marque reconnaissant elle-même que la comparaison est audacieuse… sans blague!). Le modèle de base vient de série avec le moteur 400 pouces cubes (6,6 litres; voir tableau des motorisations canadiennes), la boîte automatique TH400 à 3 rapports (les boîtes manuelles ont été supprimées de la gamme Grand Prix en mars 1971), la direction et les freins assistés, le choix de banquette ou de sièges baquets (baquets de série), une finition en véritable acajou africain, l’horloge électrique et des pneus de 15 pouces. La SJ bénéficie en plus de pneus radiaux, d’une barre stabilisatrice à l’arrière et d’un V8 de 455 pc (7,5 litres). Un troisième moteur était également prévu, tant au Canada qu’aux États-Unis : un 455 pc « Super Duty » donné pour 310 chevaux et 390 lb-pi de couple (catalogue canadien). Ce bloc devait aussi être monté dans les Grand Am, GTO et Firebird. En fin de compte, ce V8 ne sera installé que sous le capot des Firebird (295 exemplaires en 1973 et 1 001 en 1974). Fait étonnant, le magazine Hi-Performance Cars attribuera son titre de Voiture de l’année 1973 à la GTO SD après avoir seulement conduit un prototype. Pas mal pour un véhicule jamais commercialisé…

Dans la liste des options, on retrouve la climatisation, les sièges électriques, le régulateur de vitesse, le verrouillage central, différentes radios (AM ou AM/FM avec ou sans lecteur 8 pistes) et le toit ouvrant. La Grand Prix est assemblée dans deux usines : Pontiac, dans le Michigan, et Lakewood Heights, en Géorgie. Son prix de base est de 4 583 USD / 5 433 CAD.

Photo: Pontiac

Dans son édition 1974 (nous allons voir plus loin que le modèle évoluera peu), le Guide de l’auto titre son essai d’une Grand Prix de base (moteur 400 pc) « Un peu plus qu’une voiture de luxe ». En voici quelques extraits : « S’il nous fallait choisir une marque de voiture qui fait un tout petit effort pour sortir de l’ordinaire, nous n’hésiterions pas à désigner la division Pontiac de General Motors. […] La raison en est bien simple. Ces voitures sont généralement agréables à conduire et les ingénieurs de chez Pontiac semblent attacher beaucoup d’importance aux performances, à la tenue de route et à la maniabilité de leurs produits. […] Sur la route, la Pontiac Grand Prix nous est apparue comme une voiture qui n’entend pas seulement vous placer dans une ambiance luxueuse, mais vous donner en même temps un certain agrément de conduite. […] À son volant, on ne retrouve pas cette sensation de mollesse qui caractérise la majorité des grosses voitures de luxe ». Les sièges baquets de série et la finition soignée faisaient également partie des points forts. Par contre, l’instrumentation limitée, les places arrière difficiles d’accès et pas très accueillantes, la roue de secours qui mange beaucoup d’espace de chargement et une pédale de frein un peu spongieuse étaient à inscrire dans la colonne des points négatifs.

La volonté des comptables de faire rentrer la Grand Prix dans le rang ne va pas calmer l’intérêt des acheteurs pour le modèle avec une production qui augmente de 67,4% par rapport à 1972 (ce qui en fait la meilleure année du modèle à date)!

Photo: Pontiac

Ça baisse… puis ça remonte!

Pontiac ne procède logiquement pas à de gros changements pour le millésime 1974. La grille avant est plus rectangulaire et l’entourage des phares est modifié. À l’arrière, les feux sont horizontaux plutôt que verticaux… et c’est tout. Malheureusement pour Pontiac (et l’industrie automobile nord-américaine), le premier choc pétrolier éclate en octobre 1973 et les acheteurs vont rapidement se tourner vers des véhicules plus économiques. Les ventes de Grand Prix baissent de 35%! L’année modèle 1975 est celle de l’arrivée des catalyseurs et autres systèmes de dépollution. Les taux de compression baissent et la puissance aussi (voir tableau). Pontiac ajoute une version 2 corps de son 400 pc, disponible en option. Les évolutions cosmétiques sont mineures. Dans l’habitacle, l’acajou est remplacé par de la ronce de plastique. La gamme bénéficie d’une version additionnelle (techniquement, il s’agit d’un groupe d’options) baptisée LJ. Davantage orientée vers le luxe, elle vient équipée d’un intérieur en velours Lombardy, des vitres électriques, de la condamnation centrale, d’un toit en vinyle, de rétroviseurs réglables de l’intérieur et de lampes additionnelles qui s’allument en virage. Le contrecoup de la crise du pétrole se fait encore sentir et, dans un marché déprimé, la production baisse à nouveau, cette fois-ci de 13,3%.

Photo: Pontiac

Pour sa quatrième année sur le marché, la Grand Prix bénéficie d’un restylage significatif. Elle reçoit une calandre avec 4 phares carrés, très en vogue à l’époque, et une grille de radiateur en forme de chute d’eau qui déborde sur le capot. Le modèle de base voit son équipement réduit afin d’offrir un prix d’attaque attractif (4 798 USD / 5 624 CAD contre 5 296 USD / 6 253 CAD en 1975) et reçoit le plus petit moteur de son histoire : un 350 pc (5,7 litres). Les versions SJ et LJ restent quant à elles avec des niveaux d’équipement similaires à ceux de 1975.

Photo: Pontiac

Un ensemble Golden Anniversary est proposé pour célébrer les 50 ans d’existence de Pontiac. Basé sur la déclinaison LJ, il comprend une peinture dorée, des logos et un pin striping exclusifs ainsi qu’un toit T-Top avec des panneaux amovibles. Il sera écoulé à 4 807 exemplaires. Le marché reprend clairement des couleurs et les modifications esthétiques semblent plaire aux acheteurs, car la production augmente de 163%! Il s’agit alors, et de loin, de la meilleure année pour la Grand Prix.

Photo: Pontiac

En général, un modèle en fin de vie voit ses ventes baisser car les consommateurs attendent la nouvelle génération. Ce n’est pas le cas ici! Pour 1977, la grille avant rapetisseavec des barres plus grosses et les clignotants avant passent au milieu des 4 phares. Les feux arrière sont aussi à peine retouchés. Les roues honeycomb sont remplacées par des roues snowflake. Le T-Top apparu l’année précédente sur l’édition Golden Anniversary est dorénavant proposé en option sur toute la gamme.

Photo: Pontiac

L’offre des moteurs est modifiée : un petit 301 pc (4,9 litres) est monté de série, suivent un 350 pc 4 corps optionnel alors que le 400 pc vient de série sur la SJ (le 455 pc a disparu). À l’époque, chaque division utilise uniquement ses propres moteurs. Mais, pour des raisons d’optimisation, GM va commencer à installer des moteurs de divisions différentes dans ses modèles. Cette année-là, la Grand Prix pouvait recevoir des moteurs Oldsmobile (350 ou 400) ou Chevrolet (350). Plusieurs clients se sentiront floués, attaqueront GM et gagneront, forçant la corporation à indiquer la provenance des moteurs avant l’achat.

Moteurs canadiens

1973

1974

1975

1976

1977

301 pc

135 ch, S (Base, LJ)

350 pc - 2 corps

160 ch, S (Base, LJ)

350 pc - 4 corps

170 ch, O (Base, LJ)

400 pc - 2 corps

170 ch, O (Base, LJ)

170 ch, O (Base, LJ)

400 pc - 4 corps

200 ch, S (Base)

200 ch, S (Base)

185 ch, S (Base, LJ)

185 ch, O (Base, LJ) / S (SJ)

180 ch, O (Base, LJ) / S (SJ)

455 pc - 4 corps

215 ch, O (Base) / S (SJ)

215 ch, O (Base) / S (SJ)

200 ch, O (Base, LJ) / S (SJ)

200 ch, O (Base, LJ) / O (SJ)

Source : catalogues Pontiac canadiens

Les acheteurs savent qu’un nouveau modèle plus petit (empattement de 108,1 pouces) est prévu pour 1978. Pour nombre d’entre eux, c’est le signe d’un changement d’époque et ils vont se précipiter sur la Grand Prix. Les usines tournent à plein et peinent à répondre à la demande. Cela aura même un impact sur un modèle particulier de Pontiac : la Can Am, lancée en 1977. Il s’agissait d’une série spéciale dans l’esprit de la GTO (elle a été imaginée par Jim Wangers, voir les origines de la Pontiac GTO) sur la base de la Le Mans mais avec un 400 pc. La compagnie qui les produit, Motortown, a des problèmes de fabrication avec le moule de l’aileron arrière qui se brise. Devant les difficultés et le besoin de tableaux de bord, les dirigeants de Pontiac annulent le programme Can Am après seulement 1 133 ou 1 377 exemplaires fabriqués (selon les sources). Finalement, la production de 1977 augmentera de 26,5% par rapport à 1976 et constituera le record pour toute l’histoire du modèle, jusqu’à sa fin en 2008.

Photo: Pontiac

1973

1974

1975

1976

1977

Total

Base

133 150

85 976

64 581

110 814

168 247

562 768

SJ

20 749

13 841

7 146

88 232

66 741

196 709

LJ

14 855

29 045

53 442

97 342

Total

153 899

99 817

86 582

228 091

288 430

856 819

Avec 856 819 exemplaires produits, la Grand Prix 1973-77 aura connu un succès sans précédent pour Pontiac. À l’intérieur de la corporation, la croyance que les comptables ont toujours raison commence à circuler. Hélas, on sait tous où cela va mener Pontiac et la General Motors en entier dans les années qui suivront…

À voir aussi : Antoine joubert présente la brochure de la Pontiac Firebird 1982

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