Acura Legend 1986-1990 : entrer dans la légende!

Le petit fabricant de motos fondé par Soichiro Honda a crû de façon exponentielle pour devenir au début des années 80 une multinationale impliquée dans de nombreux secteurs. Et l’entreprise ne comptait pas lever le pied durant cette décennie. Parmi les objectifs importants : créer une marque de luxe. Et pour ce faire, Honda allait trouver un partenaire plutôt inattendu.

En 1981, il paraît déjà loin le temps où la compagnie avait montré son premier produit automobile : le camion T360 en 1963. Suivront les S500 et S800 et c’est avec la N360, présentée au Salon de l’auto de Tokyo en octobre 1966, que Honda va commencer à atteindre un plus grand public. À partir de là, les choses vont aller très vite : premières exportations vers les États-Unis en mai 1970, lancement de la Civic en 1972 (avec son fameux moteur CVCC qui va démontrer le savoir-faire de motoriste de la marque) puis de l’Accord en 1976 et de la Prelude en 1978. Mais le changement de décennie va venir avec de nouveaux défis.

Photo: Honda

Grossir malgré les difficultés

Après le second choc pétrolier, les constructeurs américains sont en mauvaise posture et l’administration Reagan passe avec le Japon un accord de restriction volontaire d’exportations en mai 1981. Celui-ci stipule que le Japon limitera ses exportations d’automobiles vers les États-Unis à 1,68 million de véhicules par an. L’accord n’implique cependant pas les automobiles fabriquées sur le territoire américain. C’est ainsi que Honda va devenir le premier constructeur japonais à ouvrir une usine aux États-Unis, située à Marysville, en Ohio. La première auto à en sortir sera une Honda Accord, le 1er novembre 1982 (elle est aujourd’hui exposée au musée Henry Ford à Dearborn, dans le Michigan).

Photo: Honda

Honda doit également monter en gamme et ce pour deux raisons : la marque souhaite augmenter sa rentabilité sur le marché américain et a besoin d’un modèle pour concurrencer les Toyota Mark II et Nissan Laurel sur le marché japonais. Le constructeur est reconnu pour ses qualités de motoriste et ses voitures bien fabriquées mais n’a aucune image de marque ni de savoir-faire dans les catégories supérieures. En 1981, le plus gros moteur qu’elle produit est un 1,8 litre. Il y a une sérieuse marche à monter. Peut-être qu’un accord avec un partenaire extérieur serait une piste intéressante…

La descente aux enfers

Si Honda a connu un succès fulgurant dans les années 70 … ce qui n’est pas le cas de British Leyland (BLMC). La fusion en 1968 de British Motor Holdings (Austin, Morris, MG, Austin-Healey, Wolseley, Riley, Vanden Plas, Jaguar, Daimler) et de Leyland Motors Corporation (Alvis, Triumph, Rover, Land Rover) a créé un monstre ingérable aux marques redondantes. Les produits sans grand intérêt se multiplient à cause de finances toujours limitées et lorsque quelques véhicules sont réussis, ils sont frappés par des problèmes de qualités importants. Et ça, c’est quand les usines tournent. Les grèves sont alors monnaie courante dans la compagnie. La situation est telle que British Leyland doit être en partie nationalisée en 1975.

Photo: Rover

L’un des rayons de soleil dans cette tempête, c’est la Rover SD1. Lancée en 1976, elle offre un style impressionnant, un V8 de 3,5 litres (racheté à Buick), de bonnes prestations routières et un grand volume intérieur, notamment grâce à son hayon. Elle recevra le titre de « Voiture européenne de l’année 1977 » devant l’Audi 100 et la Ford Fiesta. Mais en bonne anglaise de l’époque, la qualité de construction est souvent atroce et les ventes, initialement excellentes, vont rapidement plonger. Une belle occasion ratée qui sera tout de même produite jusqu’en 1986.

Quand vient le temps de penser à son remplacement, le budget de développement est extrêmement serré. Au départ, les ingénieurs songent à réutiliser la plateforme propulsion de la SD1 (mais la traction avant est alors vue comme la voie de l’avenir) ou bien une version allongée de la future Austin Montego, mais celle-ci risque d’être trop petite pour le marché visé. Heureusement, il existe une troisième option grâce à un partenaire japonais avec qui BLMC travaille depuis 1979.

On se fait une petite Ballade?

L’une des marques de BLMC, Triumph, est en grande difficulté à la fin des années 70. Reconnue, entre autres, pour ses roadsters, elle n’a pas connu le succès avec ses TR7 et TR8 lancés en 1975. La marque n’a plus d’argent pour développer de nouveaux modèles. La direction de BLMC décide alors de chercher de potentielles collaborations. Des discussions sont entamées avec Chrysler Angleterre puis Renault, sans vraiment aller plus loin. Parmi les candidats les plus sérieux se trouve Honda. Les négociations commencent fin 1978. Pour les Japonais, avoir une tête de pont en Europe est une opportunité intéressante. Pour les anglais, la future Honda Ballade semble tout à fait appropriée pour le marché intérieur. La Ballade est une version tricorps de la Civic de seconde génération qui sera lancée en septembre 1980.

BLMC et Honda parviennent à un accord le 26 décembre 1979. C’est en octobre 1981 qu’est introduite la Triumph Acclaim sur le marché anglais. Produite dans l’usine de Cowley, dans la région d’Oxford, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une Ballade avec un intérieur légèrement revu. Toute la partie mécanique est du pur Honda (moteur de 1 335 cm3). Elle sera fabriquée jusqu’en 1984 à 133 625 exemplaires, presque tous écoulés sur le marché local. Ce sera la première collaboration entre BLMC et Honda mais pas la dernière. La remplaçante de l’Acclaim sera la Rover 200, sonnant ainsi le glas pour Triumph dans une indifférence quasi générale. Triste pour une marque dont les origines remontaient à 1885…

Photo: Triumph

Classée XX

Nous sommes donc en 1981 et Honda et BLMC se retrouvent avec des besoins similaires pour le développement d’une nouvelle grande berline. En novembre de cette année, les deux compagnies signent un accord de collaboration pour la conception d’une nouvelle plateforme commune. Les projets prendront le nom de XX du côté anglais et de HX du côté japonais.

Il a souvent été dit que celle qui allait devenir la Rover 800 n’était qu’une simple copie technique d’un modèle Honda. Ce qui est faux. Il s’agit bel et bien d’un développement commun… où Honda aura le dernier mot la majorité du temps. Cela concerne par exemple les dimensions extérieures (surtout au niveau la largeur pour laquelle les gens de Rover auraient préféré avoir quelques centimètres en plus) ou bien le choix des suspensions (doubles triangles à l’avant qui améliorent le contrôle du mouvement de la roue mais limitent sa course et donc le confort).

C’est logiquement Honda qui se charge du développement du V6. Il s’agit du premier bloc de ce type pour la marque… dans un véhicule de route (on ne compte évidemment pas le V6 de Formule 1). C'est un bloc de 2,5 litres ouvert à 90 degrés pour réduire la hauteur du capot mais qui nécessite un vilebrequin à manetons décalés pour avoir un allumage régulier. La conception de ce moteur connaîtra quelques problèmes et des modifications importantes entraineront une augmentation de ses dimensions, demandant d’élargir les voies des autos. Les gens de Rover en profiteront pour redonner de la largeur à la XX tandis que les designers de Honda rajouteront simplement des excroissances autour des passages de roues de la HX, expliquant le style des ailes de la Legend.

Photo: Acura

Justement, parlons-en du style. Dans le contrat de collaboration, il est clairement stipulé que les deux autos auront des lignes différentes. Malheureusement, la Legend ressemble à une grosse Accord de troisième génération qui doit être lancée en juin 1985 pour le millésime 1986 (l’Accord repose sur un empattement de 2,60 m alors que celui de la Legend est de 2,76 m). Heureusement, les designers auront un meilleur coup de plume quand viendra le temps de dessiner le coupé.

Tout est à bâtir

Pendant que le développement technique suit son cours, Honda commence à réfléchir à comment vendre l’auto. La mode au Japon est alors à ouvrir des réseaux parallèles. Honda en possède déjà un, Honda Verno destiné aux modèles plus sportifs, et s’apprête à lancer Honda Clio en 1984 et Honda Primo en 1985. Peut-être que pour aller compétitionner des marques comme Volvo, BMW ou Audi en Amérique du Nord, un réseau séparé serait une excellente chose. En février 1984, Honda Amériques annonce son intention de créer une nouvelle division destinée au marché premium. Elle porte alors le nom de « Channel II ». C’est la compagnie Namelab de San Francisco qui va trouver le nom Acura en lien avec la précision mécanique (accurate en anglais). Il est annoncé en septembre 1984.

Il faut maintenant bâtir un réseau de concessionnaires. De premières rencontres avec des candidats potentiels ont lieu en novembre 1984. Le plan est de créer des installations distinctes des concessionnaires Honda existants. Ce jour-là, pour la première fois, des personnes extérieures au siège social de Honda pourront découvrir les futurs nouveaux modèles : la HX et l'Integra. La sélection officielle commence en février 1985. Des marchés clés comme Los Angeles, New York ou Seattle sont visés en premier. Au lancement de la marque, 60 seront en opération. Ce nombre montera à 200 en octobre 1987.

Photo: Acura

Des fortunes (très) diverses

La Honda Legend est présentée au Japon en octobre 1985 tandis que la Rover 800 ne sera lancée qu’en juillet 1986. Honda profite de ce lancement pour faire venir des journalistes nord-américains sur la piste de Tochigi en novembre 1985 où ils vont pouvoir conduire les Legend et Integra pour la première fois. Il y a encore un certain scepticisme quant au succès d’une marque japonaise de luxe mais les produits semblent bien aboutis.

C’est le 27 mars 1986 qu’Acura est officiellement lancée… aux États-Unis. La concurrence ne paraît pas inquiète car elle voit encore les produits japonais comme « bon marché ». Mais très vite, elle réalise ce qui est en train de se passer : les produits Acura accumulent les reconnaissances de la presse spécialisée (« Voiture importée de l’année 1987 » pour la Legend Coupe selon Motor Trend, « 10Best » selon Car and Driver) ainsi que de J.D. Power pour ce qui est de la satisfaction des clients. La première année se solde par 52 869 ventes et la seconde par 109 470. Chez les marques de luxe traditionnelles, on rit jaune (si vous permettez l’expression) alors que chez Toyota et Nissan, qui préparent des offensives similaires avec les futures marques Lexus et Infiniti, on se frotte les mains car Honda est en train de déblayer le terrain.

Photo: Acura

En parallèle, British Leyland, devenu entretemps Austin Rover, lance le réseau Sterling pour pouvoir commercialiser sa 800 aux États-Unis. La compagnie espère pouvoir en écouler 30 000 par an. Mais rapidement, et sans grande surprise, les Sterling 825 (puis 827) vont acquérir une réputation de qualité désastreuse. Car si les deux autos ont été développées en commun, elles diffèrent sur deux points importants. Le premier est que la 800 est fabriquée dans l’usine de Cowley, en Angleterre, tandis que la Legend est produite dans l’usine de Sayama au Japon.

Vous pouvez imaginer le contraste… d’autant que les 4 409 Honda Legend fabriquées à Cowley pour le marché européen ne seront pas à la hauteur des standards Honda. Le second point est l’électronique signée Lucas dans la Rover. Cette compagnie de systèmes électriques est surnommée par les amateurs comme « The prince of darkness » (le prince des ténèbres) pour la qualité aléatoire de ses produits. Sterling ne parviendra à écouler que 35 739 exemplaires en 5 ans avant de jeter l’éponge en août 1991. Quel contraste!

Photo: Rover

Le petit truc en plus… qui manque

Il faudra attendre le 14 février 1987 pour qu’Acura soit lancée au Canada, avec seulement 20 concessionnaires initialement. Comme chez nos voisins du sud, seuls deux modèles sont proposés au début : la Legend et l’Integra.

La Legend berline est équipée du V6 de 2,5 litres. Il développe 151 chevaux à 5 800 tr/min et 154 lb-pi à 4 500 tr/min. Il peut être couplé à une boîte manuelle à 5 rapports ou une automatique à 4 rapports. La suspension à 4 roues indépendantes bénéficie de doubles triangles superposés à l’avant et de bras de liaison simples à l’arrière de type McPherson. Les freins sont à disque aux 4 coins. Les autos mesurent 4,81 mètres de long et offrent un Cx de 0,32. À l’intérieur, l’équipement est ultra complet et il n’y a que deux versions : « de base » et L (qui ajoute l’intérieur cuir, les rétroviseurs électriques chauffants, la climatisation automatique et les sièges avant chauffants). Les tarifs sont de 28 500 CAD et de 34 500 CAD pour la L (millésime 1988). En comparaison, une Audi 5000 demande 36 375 CAD, une BMW 528e 40 400 CAD, une Mercedes 260E 54 325 CAD et une Volvo 760 39 485 CAD.

Photo: Honda

L’arrivée au Canada coïncide avec le lancement de la version coupé. Celui-ci repose sur un empattement réduit (2,70 m) et est un peu moins long que la berline (4,77 m). Les lignes retravaillées lui permettent d’offrir un Cx de 0,30. Mais les différences techniques sont importantes : il inaugure une variante de 2,7 litres du V6 (161 chevaux à 5 900 tr/min et 162 lb-pi à 4 500 tr/min) ainsi qu’une suspension arrière spécifique à doubles triangles superposés et un nouveau système d’antiblocage des freins maison dénommé ALB. Il est vendu de 30 495 à 37 495 CAD. Le V6 2,7 litres sera installé dans la berline au millésime 1988.

Photo: Acura

Dans son édition 1988, le Guide de l’auto parle de la berline Legend en ces termes : « La présentation intérieure est impeccable et la construction soignée. De plus, elle est animée par un noble V6 de 2,7 litres qui se révèle silencieux et souple. Ces qualités sont rapidement assombries par une silhouette qui manque réellement de personnalité. De plus, le comportement routier déçoit par certains traits de caractère! […] Tout comme l’Accord d’ailleurs, la Legend souffre d’une direction surassistée qui de surcroît est trop lente. Lors d’accélérations franches, on note également un effet de couple plutôt désagréable pour une voiture de ce prix. En somme, la Legend est conçue pour avaler des centaines de kilomètres de lignes droites en tout confort. Ses aptitudes à dévorer les routes sinueuses sont moins alléchantes en raison d’un sous-virage assez marqué. » Si le 2,5 litres avait un peu déçu, le Guide parle en de bons termes du 2,7 litres : « Ainsi motorisée, la Legend se révèle une routière plus intéressante. Les 10 chevaux supplémentaires font toute la différence. […] Cette motorisation a plus de punch, et ce à tous les régimes, que le 2,5 litres offert précédemment dans la berline. » L’essai se conclut par ces mots : « Les Legend sont indéniablement de merveilleuses voitures. Toutefois, elles manquent de caractère pour imposer leurs lois face à des rivales plus prestigieuses mais aussi, il est vrai, plus onéreuses ».

La conclusion de l’essai du coupé, toujours dans l’édition 1988, va essentiellement dans la même direction : « Il s’agit d’une bonne voiture mais elle ne possède pas encore ce petit quelque chose qui fait la différence. Il faudra aux dirigeants de Acura un produit plus distinctif pour pouvoir affronter la concurrence et gagner ses titres de noblesse auprès des acheteurs. […] Si vous aimez une voiture confortable, performante et offerte à un prix intéressant pour la catégorie, vous apprécierez la Legend Coupe qui a quand même beaucoup à offrir. »

Photo: Acura

Pas facile d’être un précurseur

À part quelques améliorations d’équipement, le seul véritable changement de l’histoire de la première génération de Legend se limite à l’adoption par la berline de la suspension arrière du coupé en 1989. La Legend, tant berline que coupé, est renouvelée pour le millésime 1991. Mais les ventes de cette génération vont rapidement décliner et la Legend sera remplacée en 1996 par la RL.

En créant une marque séparée, Honda a joué le rôle de pionnier et montré le chemin à suivre pour Toyota et Nissan. Lexus et Infiniti vont devenir les plus importants concurrents d’Acura et lui faire pas mal d’ombre. L’association avec un partenaire improbable a permis à la compagnie de passer au-delà de ses doutes et de modifier son image tant auprès de la clientèle qu’en interne. Suivra la magnifique NSX, mais ceci est une autre histoire…

À voir aussi : Antoine joubert présente la brochure de l'Acura Integra 1987

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