Des électriques dans la gorge

C’est en effectuant un tour d’horizon des différents quotidiens québécois que le tout m’a sauté aux yeux. Des dizaines d’articles ont été rédigés au cours des derniers jours, visant à « informer » les consommateurs sur l’urgence de se procurer une voiture électrique. Comme s’il s’agissait du Vendredi fou et du Cyberlundi, et que l’on avait inondé de publicités les différents médias québécois.

Remarquez, la nécessité de vendre est bel et bien réelle car, on le sait, les crédits provinciaux diminueront dès les 1er janvier pour passer à un maximum de 4 000 $ (contre 7 000 $ actuellement). Et avec ce qui se trame sur le plan politique, disons que certains gouvernements sont plutôt inquiets quant à l’avenir de leurs objectifs en matière d’électrification des transports.

À lui seul, le Journal de Québec a publié pas moins de huit articles entre le 30 novembre et le 3 décembre, vantant notamment les mérites des actions de la Norvège en matière d’électrification des transports, de même que les actions politiques adoptées par le ministre de l’Environnement, M. Benoît Charette.

Photo: Hyundai

En entrevue, ce dernier y allait d’affirmations chocs telles « il se ferme déjà des stations-service » ou encore « ça va être difficile de se trouver de l’essence ». Et le 3 décembre dernier, on évoquait les offres, taux de financement/location et rabais actuellement proposés par les différents manufacturiers, en expliquant à juste titre que l’essentiel de l’inventaire canadien de véhicules électriques se retrouve chez nous, sous prétexte que la demande y est.

Inutile de vous dire qu’une impression de partisanerie transcende dans certains de ces articles, ne précisant d’aucune façon le fait que 65% des véhicules vendus au Québec sont toujours à essence. Parfois, des articles à forte saveur politique, mais également appuyés par des concessionnaires inquiets d’un avenir qui ne joue pas en leur faveur. Ces articles évoquent aussi (et heureusement) l’inquiétude des gouvernements et de l’industrie, qui craignent de voir les ventes plafonner suite à la diminution progressive des rabais.

Une situation qui effraie énormément les concessionnaires québécois, qui se font « rentrer dans la gorge » des dizaines de véhicules électriques alors que les cours sont déjà pleines. Certes, les ventes vont bon train et plusieurs de ces modèles sont fort populaires. En particulier, le Chevrolet Equinox EV et le Hyundai Ioniq 5. Mais le sont-ils parce que les acheteurs les adorent ou est-ce parce qu’on ne leur donne pas le choix?

Photo: Antoine Joubert

Si je me permets de soulever la question, c’est parce que l’industrie automobile me tient à cœur, connaissant aussi la réalité de plusieurs concessionnaires à qui l’on impose des commandes. Ceux-ci ont en stock des centaines de VÉ, sur lesquels ils n’ont d’autres choix que d’ajouter des rabais, de façon à pouvoir vite les écouler. Parce qu’on le sait, sans rabais, un Ioniq 5 vendu entre 57 666 $ et 65 666 $ n’aurait aucune chance de succès.

À preuve, les ventes de ce modèle effectuées du côté de l’Ontario, qui ne représentent que 17,5% de celles réalisées au Québec, dans un marché pourtant deux fois plus grand. Pour les dix premiers mois de l’année, c’est donc 1 272 Ioniq 5 qui ont été vendus en Ontario, contre 7 229 au Québec. Et attention, comprenez que ces maigres résultats ontariens impliquent tout de même un crédit de 5 000 $ du fédéral. Alors, imaginez ce qu’il en serait s’il n’y avait aucune forme d’incitatifs…

Photo: Hyundai

Maintenant, parce que le marché québécois est fortement subventionné, nos concessionnaires se voient conséquemment privés de modèles hybrides ou à essence que souhaitent se procurer plusieurs acheteurs québécois, à qui on doit répondre que de forts délais de livraison s’imposent. C’est le cas d’une connaissance qui, devant rapidement remplacer sa voiture, avait choisi une Corolla hybride à quatre roues motrices. Son concessionnaire lui a mentionné que le délai de livraison serait de six à huit mois, lui suggérant plutôt de faire un saut vers l’électrification avec le bZ4X.

Déçu, il s’est mis à magasiner les offres pour réaliser que la meilleure aubaine pour un véhicule lui convenant se trouvait chez Hyundai, avec l’Ioniq 5. Ainsi, cet acheteur de Corolla n’ayant pas obtenu le véhicule désiré, s’est tourné vers un produit en fonction de ce qui était disponible... Objectif réussi, dirait Benoît Charette ou Daniel Breton (Mobilité électrique Canada), lesquels ne considèrent toutefois pas que l’acheteur qui prévoyait débourser 36 000 $ pour une voiture dépense tout de même 13 000 $ de plus pour se procurer un Ioniq 5 (coûtant en vérité 59 000 $ avant taxes)...

Un autre concessionnaire m’a aussi avoué qu’il serait privé de cinq Hyundai Elantra s’il n’acceptait pas de prendre une trentaine d’Ioniq 5, alors que sa cour en est déjà remplie. Or, puisque qu’il n’a presque rien à offrir à une clientèle moins fortunée (qu’il s’agisse du Venue, de l’Elantra ou du Kona à essence), ce concessionnaire accepte de telles propositions, avec l’espoir de pouvoir conserver une partie de sa clientèle qui lui est fidèle depuis très longtemps. « Chez Hyundai, on vend historiquement des véhicules plus abordables que la moyenne », dit-il. Et il admet qu’il pourrait vendre cinq fois plus de Venue et quatre fois plus d’Elantra, s’il pouvait suffire à la demande.

Photo: Adobe Stock/sofiko14

Les subventions provinciales ont permis au gouvernement Legault de prendre de l’avance sur l’objectif de 2030, qui consiste à ce que 85% du parc automobile soit composé de véhicules électriques ou hybrides rechargeables. En somme, un total de deux millions de véhicules d’ici cinq ans, ce qui peut sembler plausible si l’on considère qu’environ 35% des ventes réalisées au Québec se font avec des véhicules zéro émission. Or, avec le ralentissement progressif des subventions et surtout, le changement probable du gouvernement fédéral qui pourrait aussitôt abolir les crédits, cette pente ascendante pourrait fléchir.

De ce fait, Québec pourrait non seulement être forcé de repousser l’échéancier, mais cela aurait aussi un impact sur les stratégies des manufacturiers, forcés de se plier à des normes qui changent au gré des gouvernements qui passent. Et puisqu’il est impossible pour un manufacturier de s’adapter rapidement à de nouvelles règles, le tout se passe à retardement. À preuve, on patientait des mois, même des années, pour obtenir un VÉ en 2021 et 2022. Et aujourd’hui, on vous le livre le jour même, en vous proposant des rabais, des entretiens gratuits et des taux subventionnés…

À voir aussi : déboires des voitures électriques, « ça fâche les consommateurs »

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