Vous souvenez-vous des Chrysler LeBaron GTS et Dodge Lancer?

Dotées de lignes modernes et aérodynamiques, bien équipées et tenant plutôt bien la route, les Chrysler LeBaron GTS et Dodge Lancer ont malgré tout eu certaines difficultés à rencontrer leur public. Peut-être était-ce à cause d’une image floue ou d’un marketing un peu trop… ambitieux.

Commençons par l’origine des noms. Lancer apparaît dans la gamme Dodge en 1955 pour dénommer les modèles hardtop des séries Coronet, Royal et Custom Royal. Il sera utilisé jusqu’en 1959 avant d’être recyclé en 1961 et 1962 sur la nouvelle compacte de la compagnie (cousine de la Plymouth Valiant). À partir de 1963, il sera remplacé par Dart. Quant à la désignation LeBaron, elle vient de bien plus loin puisqu’il s’agit initialement du nom d’un carrossier fondé en 1920. Ce nom est choisi pour sa consonance aristocratique et parce qu’il peut être facilement prononcé en anglais. LeBaron est racheté en 1926 par Briggs Manufacturing Company, fabricant industriel de carrosseries. Briggs est à son tour racheté par Chrysler en 1953. LeBaron sera utilisé sur les modèles haut de gamme d’Imperial, une marque de luxe créée en 1955 pour concurrencer Lincoln et Cadillac. Lorsqu’Imperial disparaîtra à la fin du millésime 1975, ses derniers véhicules seront des LeBaron.

Photo: Chrysler

Le don d’ubiquité

Le nom revient en 1977 sur des variantes plus luxueuses des Dodge Aspen et Plymouth Volaré. Basées sur la plateforme M propulsion, les LeBaron (ainsi que leurs homologues Dodge Diplomat et Plymouth Caravelle au Canada) seront fabriquées avec un certain succès jusqu’en 1981. Leur rôle change en 1982, suite à la disparition des modèles pleine grandeur sur châssis R, produits de 1979 à 1981. Les modèles sur base M deviennent les haut de gamme de Chrysler et la LeBaron est renommée New Yorker (puis New Yorker Fifth Avenue en 1983 puis Fifth Avenue en 1984) car une nouvelle compacte de luxe est ajoutée en entrée de la gamme Chrysler : la LeBaron traction avant sur base de plateforme K.

Commercialisées en 1981, les K-Cars Dodge Aries et Plymouth Reliant sont les modèles de la dernière chance. Après des années de management erratique, de problèmes de qualité à répétition, de lourds investissements dans des systèmes de dépollution et le choc pétrolier de 1973, la compagnie est au bord du dépôt de bilan. À tel point que, le 13 août 1979, le magazine Newsweek titre en couverture : Can Chrysler be saved? (Est-ce que Chrysler peut être sauvée?). Il faudra un prêt garanti par le gouvernement américain de 1,5 milliard de dollars pour renflouer la compagnie. La stratégie de Lee Iacocca, son PDG depuis novembre 1978, repose essentiellement sur la plateforme K. Le point important à retenir ici est que, puisque Chrysler n’a assez d’argent que pour développer une seule plateforme, celle-ci doit être adaptable pour créer différents modèles pour différents segments. Et adaptable, elle va l’être! Au total, pas moins de 26 modèles reposant sur la plateforme K et ses dérivés seront produits entre 1981 et 1995 à 13,3 millions d’exemplaires (y compris les minifourgonnettes Dodge Caravan, Plymouth Voyager et Chrysler Town & Country). Une polyvalence rarement vue dans l’histoire de l’automobile…

Photo: Chrysler

Qui suis-je et dans quel état j’erre…

Après les modèles K présentés en 1981, les premières variantes sur un châssis différent (E-Body) arrivent en 1983 avec les Dodge 600, Plymouth Caravelle (initialement seulement au Canada) et Chrysler E-Class et New Yorker. Les modèles qui nous occupent reposent sur la plateforme H et sont dévoilés pour le millésime 1985. Les K-Cars, des modèles compacts, reposent sur un empattement de 2,55 mètres et mesurent 4,55 mètres. Les E-Body, classés comme intermédiaires, ont un empattement de 2,62 et mesurent 4,76 mètres de long. Les Lancer et LeBaron GTS reposent sur un empattement de 2,62 mètres et font 4,58 mètres de long.

Voilà peut-être un premier élément d’incompréhension de ces modèles : sont-ils des compacts ou des intermédiaires? Autre source de confusion (pour l’acheteur américain au moins), la présence d’un hayon sur une carrosserie à profil tricorps. S’agit-il d’une auto statutaire ou utilitaire? À l’époque, la différence est encore importante. Ce qui est certain, c’est que ce hayon est très pratique (même s’il ne descend pas jusqu’au pare-chocs) et que le volume de chargement passe de 306 à 1 189 litres une fois la banquette arrière baissée.

Photo: Chrysler

À l’extérieur, on est loin des boîtes carrées que sont les Aries et Reliant. Les Lancer et LeBaron GTS offrent des lignes plus fluides avec un Cx de 0,37, ce qui est plutôt bon à l’époque. En dessous par contre, c’est du K-Car typique : suspensions McPherson à l’avant, bras tirés avec traverse carrée à l’arrière, direction assistée à crémaillère, moteur K 2,2 litres à injection en version atmosphérique (99 chevaux) ou turbocompressée (146 chevaux), boîte manuelle à 5 rapports de série et boîte automatique 3 rapports Torqueflite A413 en option.

Photo: Chrysler

Les modèles Chrysler du millésime 1985 sont présentés le 2 octobre 1984 mais les H-Body n’arrivent que le 2 janvier 1985. Les deux autos ne se distinguent que par leurs grilles et feux arrière. Chacune est proposée en deux niveaux avec des tarifs extrêmement proches : de base (10 044 CAD) et ES (11 240 CAD) pour la Lancer et de base (10 425 CAD) et Premium (11 584 CAD) pour la LeBaron GTS. Chrysler joue la carte de l’équipement, les modèles ES et Premium bénéficiant même d’un tableau de bord à affichage électronique et la ES d’une suspension sport. Évidemment, pour obtenir la climatisation, la condamnation centrale, les vitres électriques, le toit ouvrant, le volant inclinable ou l’intérieur en cuir, il faut encore mettre la main à la poche, mais c’est alors une pratique courante dans le segment.

Photo: Chrysler

Dès les premiers catalogues, Chrysler décrit ses H-Body comme « des voitures de classe internationale » et vise des concurrentes comme les J-Body de GM (Pontiac 6000, Oldsmobile Cutlass Ciera, Buick Century), la Ford Tempo, la Mazda 626 ou la Honda Accord. Jusque-là, rien de plus normal. Mais les Audi 5000 et Merkur XR4 Ti sont aussi visées… déjà plus étonnant. Dans ses publicités, Chrysler va aller jusqu’à présenter ses autos comme des modèles sportifs avec des slogans comme : « La berline américaine plus performante que les BMW 528e et Mercedes 190 » ou bien « La première berline sportive de luxe américaine a donner à Mercedes-Benz et BMW ce à quoi ils ne s’attendaient pas : une leçon de conduite ».

Photo: Chrysler

Dans son édition 1985, le Guide de l’auto conclut son essai de façon fort positive : « Encore une fois, Chrysler nous présente une nouvelle gamme qui témoigne de sa constante progression, de sa recherche de produits nouveaux et d’un raffinement toujours plus grand. D’une architecture très saine, drapés de carrosseries fort attrayantes, les sedans Lancer et LeBaron GTS savent également soigner le confort des passagers autant que l’agrément de conduite et la sécurité. Ils nous arrivent comme des produits plus achevés et fignolés que ne l’étaient les coupés sport l’an dernier (Chrysler Laser Daytona, NDLA) et offrent, comme la plupart des produits Chrysler de récente mémoire, un rapport qualité-prix-performance-fiabilité difficile à égaler. » Mais le Guide rappelle aussi que le train avant est instable en virage avec la suspension sport et que la tenue de cap est à corriger. Alors certes, ce sont de bonnes traction avant, mais de là à donner des leçons de conduite aux allemandes…

Photo: Chrysler

Et donc, les Lancer et LeBaron GTS sont-elles des voitures pratiques, sportives ou luxueuses? La production du millésime 1985 est plutôt bonne (voir chiffres en fin de texte) mais, en interne, les K et E se vendent mieux tandis que les Ford Tempo, Pontiac 6000 et Oldsmobile Cutlass Ciera font de meilleurs chiffres. Les acheteurs semblent ne pas pouvoir répondre à la question.

Une carrière courte

En 1986, une variante réalésée du bloc K à 2,5 litres est ajoutée. Elle n’offre pas beaucoup plus de puissance (101 chevaux) mais le couple progresse de 122 lb-pi pour le 2,2 litres à 136 lb-pi. Avec le lancement des nouveaux coupés et cabriolets sur la plateforme J (un autre dérivé des K-Cars), la gamme Chrysler comprend en 1987 et 1988 trois modèles différents qui s’appellent LeBaron et qui reposent sur trois noms de plateforme différents (K, H, et J). On était en manque d’imagination ou simplement superstitieux chez Chrysler? Et puisque les H-Body se voulaient des autos à caractère international, les exportations vers l’Europe commencent au printemps 1988 sous le nom de Chrysler GTS.

Photo: Chrysler

Alors que la LeBaron sur base K disparaît à la fin de l'année modèle 1988, la LeBaron GTS devient seulement LeBaron en 1989, GTS désignant maintenant le plus haut niveau de finition (nous allons y revenir). Cette même année le 2,2 litres turbo est remplacé par un 2,5 litres turbo. La puissance passe de 146 à 150 chevaux et le couple de 170 à 180 lb-pi. Après deux bons premiers millésimes, les ventes chutent assez rapidement pour n’être plus qu’à un peu plus de 11 000 en 1989. Est-ce que l’arrivée de la Ford Taurus en 1986 ou celle des Chrysler Dynasty en 1988 y seraient pour quelque chose?

1985

1986

1987

1988

1989

Total

Chrysler LeBaron GTS

60 783

73 557

39 050

14 211

6 549

194 150

Dodge Lancer

45 853

51 897

26 619

9 343

5 019

138 731

Total

106 636

125 454

65 669

23 554

11 568

332 881

De vraies Shelby… et de moins vraies

Reste maintenant à parler des H-Body les plus vitaminées. Nous devons la première à Carroll Shelby. Oui, le Shelby qui a transformé la Mustang en une bête de piste, le Shelby qui a mené les GT40 à la victoire aux 24 heures du Mans, le Shelby qui a développé et commercialisé les AC Cobra à V8 Ford. C’est justement durant ses années de collaboration avec la marque à l’ovale bleu que le fameux Texan a rencontré Lee Iacocca. Une fois à la tête de Chrysler, ce dernier fera venir plusieurs collègues de Ford ainsi que quelques connaissances.

Après s’être plus ou moins éloigné du milieu de l’automobile dans les années 70 (y compris pour s’occuper de sa compagnie d’épices et de kits pour chili con carne), Shelby rejoint Chrysler en 1982. Là, plusieurs modèles de la gamme Dodge porteront son nom : Omni, Charger, Daytona, Shadow et Spirit. Certains seront modifiés dans les ateliers de Shelby, à Whittier en Californie, et seront vendus sous son nom : Omni GLH-S, Charger GLH-S, CSX (sur base de Shadow), Dakota et, donc, la Lancer.

Shelby s’attaque à la Lancer pour le millésime 1987 avec 800 exemplaires prévus, également répartis entre une variante à boîte manuelle avec intérieur en tissu gris et une automatique avec intérieur en cuir noir. La manuelle reçoit une version spécifique du bloc turbo de 2,2 litres (dit Turbo I) qui bénéficie d’un échangeur de température, de plus gros injecteurs, d’un nouveau radiateur et d’un couvre-culasse marqué Shelby. La puissance est de 175 chevaux et le couple de 175 lb-pi. L’automatique doit se contenter du Turbo I non modifié, la boîte n’étant pas capable d’encaisser le couple supplémentaire. Les trains roulants ne sont pas en reste avec des amortisseurs Monroe Formula GP, des ressorts abaissés, une plus grosse barre antiroulis, des freins à disque à l’arrière ainsi que des pneus Goodyear Gatorback 205/60VR15 montés sur des roues en aluminium exclusives. L’intérieur bénéficie d’une plaque avec la signature de Shelby, d’un volant sport, et d’une radio Pioneer de 120 watts.

Photo: Chrysler

Les autos offrent de jolies performances. Shelby indique le 0 à 60 mph en 7,7 secondes, le quart de mille en 15,7 secondes à 143 km/h et 0,85 g d’accélération latérale dans sa littérature. Le tout pour des prix moindres que ceux de la concurrence allemande. Mais les suspensions s’avèrent inconfortables, elles perdent de leur tenue sur chaussée dégradée et le turbo souffre d'un temps de réponse trop élevé. BMW et Mercedes peuvent dormir tranquilles…

Il y aura bien des Lancer Shelby en 1988 et 1989, mais celles-ci seront produites sur la chaîne des Lancer (à l’usine de Sterling-Heights dans le Michigan) et commercialisées par Dodge. Elles recevront le bloc Turbo II (avec échangeur, 174 chevaux et 200 lb-pi de couple) en manuelle ou le Turbo I en automatique. Le traitement extérieur sera monochromatique blanc ou rouge alors que la suspension sport (sans les disques à l’arrière), la climatisation, la chaîne stéréo Chrysler-Infinity II seront de série. Seuls 279 exemplaires seront produits en 1988 et 208 en 1989. En 1989, Chrysler ajoute le niveau de finition GTS à la LeBaron qui correspond essentiellement à la Lancer Shelby : finition extérieure monochromatique (les photos montrent toutes du marron avec des roues dorées, connaissez-vous une autre couleur?) et bloc Turbo II. Il n’existe pas de chiffre de production séparé pour ce modèle… mais il est certainement très faible!

Photo: Chrysler

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Chrysler LeBaron GTS 1985

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