Chevrolet Monte Carlo 1970-72 : ceci n’est pas un muscle car!

Deux portes, des roues arrière motrices, des gros V8, un logo Super Sport, la Monte Carlo est forcément un muscle car. Perdu, elle n’a jamais été conçue pour ça. En fait, il faut remercier deux autres modèles pour sa création.

La première, c’est la Ford Thunderbird. Lancée comme un coupé deux places, elle devient une quatre places en 1958 pour attirer un plus large public. Son succès va prendre la compétition de cours. Il faudra attendre 1963 pour que GM réplique avec la première Buick Riviera puis, dans une moindre mesure parce que ce sont des tractions avant, 1966 avec l’Oldsmobile Toronado et 1967 avec la Cadillac Eldorado. La catégorie des « coupés personnels » était en voie d’expansion.

Photo: Ford

Double dose de DeLorean

La deuxième est la Pontiac Grand Prix. Créée en 1962, il s’agit initialement d’une version « sportive » de la Catalina (châssis B pleine grandeur) avec un style légèrement modifié, des V8 plus puissants de série et plus d’équipements. Ce modèle rencontre un certain succès dans les premières années mais peine à évoluer de façon satisfaisante et, dès 1967, on commence à parler chez Pontiac d’arrêter cette gamme.

Mais Ben Harrison, responsable de la planification de la marque, suggère de changer de base et d’utiliser les châssis A-Body qui sont des modèles intermédiaires qui vont être renouvelés pour 1968. Avant qu’il ne construise des autos à portes-papillon qui peuvent éventuellement voyager dans le temps, John Z. DeLorean était un cadre on ne peut plus dynamique chez General Motors. Ingénieur de formation, il a travaillé chez Packard avant de rentrer chez GM en 1956. Il devient ingénieur en chef de la division en 1961 et est crédité comme étant le père spirituel de la GTO 1964. En 1965, alors qu’il n’a que 40 ans, il est nommé directeur général de Pontiac.

Véritable amateur d’automobile, contrairement à bien des exécutifs chez les grands constructeurs, il voit immédiatement le potentiel du changement de plateforme de la Grand Prix. Mais pour être prêt pour le millésime 1969, DeLorean va devoir comprimer les délais et les coûts de développement. C’est pour cela qu’il passe une entente avec Pete Estes, son ancien patron maintenant à la tête de Chevrolet. Il montre les plans de la Grand Prix à Estes et Chevrolet pourra copier la recette pour 1970, en échange ils partagent les coûts d’outillage du toit. C’est une méthode originale dans la compagnie car, à l’époque, les divisions de GM étaient en concurrence ouverte. La Grand Prix sera présentée à l’automne 1968 pour le millésime 1969 et fera un carton. Cela présageait bien pour Chevrolet.

Photo: Pontiac

David R. Holls, alors designer en chef de Chevrolet pour les autos et camions, retient les croquis de Terry Henline pour le style de la future Monte Carlo (elle devait s’appeler un temps Concours mais Monte Carlo a été choisi pour son côté glamour, premier indice qu’il ne s’agit pas d’un muscle car). Les lignes sont complétées au printemps 1968, avec un dessin des ailes qui tente de rappeler subtilement les modèles d’avant-guerre. Il sera rapidement approuvé par Estes et Bill Mitchell, vice-président responsable du design de GM. Un cabriolet et une berline 4 portes ont été développés autour de ce dessin (la berline aura même droit à une maquette à l’échelle 1) mais rien n’ira plus loin. Quant au châssis, Chevrolet ne retiendra pas la solution de Pontiac (A-Body modifié avec un empattement de 118 pouces) et utilisera pour son coupé non pas celui des A-Body coupés (empattement de 112 pouces) mais celui des berlines et familiales (empattement de 116 pouces) afin d’avoir un capot long et donner plus de présence.

Alors qu’Estes monte dans la hiérarchie de GM (il en sera le président de 1974 à 1981), le jeu des chaises musicales fait que DeLorean est nommé directeur général de Chevrolet en février 1969. C’est ainsi lui qui réalise le lancement de la Monte Carlo le 18 septembre 1969 pour le millésime 1970. Il est donc à la fois (indirectement) l’instigateur du projet et son parrain mais il n’a participé en rien à son développement.

Photo: Chevrolet

Une question de rapport

Les lignes extérieures sont uniques au modèle mais la Monte Carlo partage plus que son châssis avec les Chevelle, à commencer par la planche de bord qui est simplement recouverte de vinyle en imitation ronce d’orme. La Monte Carlo reçoit aussi une généreuse dose additionnelle de matériaux insonorisants. L’équipement de base comprend le V8 350 pouces cubes (5,7 litres) Turbo-Fire de 250 chevaux couplé à une boîte manuelle à 3 rapports, les freins à disque à l’avant, des roues de 15 pouces et les essuie-glaces dissimulés.

Tout ou presque est en extra : sièges baquets, console centrale, direction assistée à démultiplication variable, toit en vinyle, verrouillage central, vitres électriques, groupe instrumentation (avec compte-tours, ampèremètre et température moteur), climatisation, dégivrage arrière, roues Rally, jupes de roues arrière, déverrouillage électrique du coffre et un système de contrôle du fonctionnement des phares (l’indicateur utilise la fibre optique directement depuis l’ampoule). Pour ce qui est des couleurs, Chevrolet propose 15 teintes extérieures, 7 à l’intérieur (en vinyle ou tissu) et 5 pour le toit en vinyle.

Photo: Chevrolet

Côté moteurs et transmission, le choix est également vaste. Il y a trois V8 optionnels : le Turbo-Fire 350 pc L48 de 300 chevaux, le Turbo-Fire 400 pc (6,6 litres) LF6 de 265 chevaux et le Turbo Jet 400 LS3 de 330 chevaux (en réalité un 402 pc). La boîte manuelle à 4 rapports ainsi que l’automatique Hydra-Matic à 3 rapports sont disponibles sur tous ces moteurs, la Powerglide automatique à 2 rapports étant offerte avec les 350 pc. Reste à parler de l’option code interne RPO Z20, alias 454 SS (Super Sport) pour le grand public. Elle comprend le 454 pc LS5 de 360 chevaux et 500 lb-pi de couple, la boîte Hydra-Matic, un rapport de pont de 3,31:1, des roues Rally en 15x7, des amortisseurs avant renforcés, un contrôle automatique de niveau à l’arrière et quelques discrets badges (encore une preuve que ce n’est pas…).

Photo: Chevrolet

Le prix de base est de 3 123 USD/3 666 CAD contre 3 985 CAD/4 754 CAD pour une Pontiac Grand Prix (qui vient avec, faut-il le préciser, un 400 pc de 350 chevaux de série). Le Guide de l’Auto, dans son édition 1970, fait l’essai d’une Monte Carlo 350 pc de 300 chevaux avec l’Hydra-Matic et la direction assistée. Dans la colonne des plus, on retrouve la finition et la décoration intérieure de bon goût, le comportement de la boîte automatique, les performances honnêtes du moteur (0 à 60 mph mesuré en 8 secondes) et l’efficacité des freins à disque. Ce qui est moins apprécié, c’est l’utilisation de l’espace intérieur, les places arrière étant simplement considérées comme « convenables », l’absence de sièges baquets de série, l’instrumentation limitée, la taille du coffre réduite et la suspension. « À 60 mph, [la Monte Carlo] cherche à dévier de sa trajectoire, flotte d’une façon désagréable et son manque de stabilité oblige à effectuer de nombreuses corrections. Dans les virages, la voiture s’écrase démesurément sur sa suspension et commence par sous-virer jusqu’à ce que le revêtement inégal ou un trou provoque la dérobade du train arrière. » On vous l’a dit, ceci n’est pas un muscle car. L’essai se conclut pourtant sur une note plutôt positive : « Au prix où elle se vend, la Chevrolet Monte Carlo demeure une voiture chic pour le promeneur paisible mais la suspension n’est certes pas à la hauteur des routes sinueuses du rallye dont elle tient le nom. »

Photo: Chevrolet

Le voilà l’argument clé : le rapport prix/élégance. Et la clientèle ne s’y trompe pas car 145 975 Monte Carlo sont produites pour le millésime 1970 (y compris 3 823 454 SS). En comparaison, la Grand Prix a connu une production de 65 750 exemplaires.

De moins en moins brute

Le millésime suivant, comme c’est la coutume à Detroit, ne connaît pas de grands changements : grille redessinée, nouvel écusson de capot, clignotant avant carrés au lieu de ronds, feux arrière revus, nouvelles couleurs et nouveau volant 4 branches optionnel. Pour ce qui est des moteurs, le LF6 400 pc est supprimé alors que les chiffres de puissance son revus : 245 chevaux pour le 350 pc de base, 270 chevaux pour L48 350 pc, 300 chevaux pour le LS3 400 pc et 365 chevaux pour le 454 pc de la Monte Carlo SS. La boîte à 4 rapports manuelle n’est plus proposée sur le 350 de base ni la Powerglide sur le L48. La production baisse à 112 599 exemplaires (dont 1 919 454 SS). Elle diminue aussi pour la Grand Prix : 58 325 exemplaires.

Photo: Chevrolet

Le plan initial pour 1972 était d’introduire une nouvelle génération de A-Body, y compris la Monte Carlo. Mais devant l’ajout de normes fédérales, General Motors choisira plutôt de les lancer un an plus tard. Alors, il faudra passer un autre millésime avec des changements esthétiques limités : grille redessinée encadrée des clignotants (pare-chocs avant plus simple) et bandeau brillant entre les feux.

Logiquement, la confidentielle 454 SS est supprimée du catalogue. Elle est cependant remplacée par l’option Custom qui comprend l’essentiel des composants de la SS… sauf le moteur, mais le 454 pc est dorénavant disponible en option séparée. Avec le passage du brut au net, les chiffres de puissance baissent : 165 chevaux pour le 350 de base, 175 pour 350 L48, 240 pour le 400 LS3 et 270 pour le 454 LS5. La boîte manuelle à 4 rapports n’est plus offerte. La production rebondit significativement à 180 819 exemplaires (chiffre non connu pour les Custom), ainsi que pour la Grand Prix (91 961 exemplaires).

Photo: Chevrolet

À un moment où l’intérêt des consommateurs pour la puissance s’estompe (en partie forcés par les tarifs d’assurance qui explosent et les normes de pollution), l’arrivée de la Monte Carlo a été un excellent coup pour Chevrolet. Les coupés personnels, plus basés sur l’esthétique et l’équipement, feront fureur dans les années suivantes, spécialement après le premier choc pétrolier de 1973. La seconde génération, présentée en 1973 et produite jusqu’en 1977 poussera plus loin la recette du style exclusif et du confort et connaîtra une hausse notable de ses ventes. On vous l’avait dit, ceci n’est pas un muscle car!

À voir aussi : Antoine Joubert vous présente la brochure de la Chevrolet Monte Carlo 1981

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