Mercury Capri 1991-94 : trop peu, trop tard
On pourra dire que Ford aura utilisé la dénomination Capri à toutes les sauces : véhicule de luxe chez Lincoln dans les années 50, cousine européenne de la Mustang dans les années 60/70/80, sœur de la Mustang Fox body chez Mercury dans les années 80 et maintenant un tout nouveau VUS électrique sur le Vieux Continent (Ford Europe utilise finalement la même recette que l’Amérique du Nord avec la Mustang Mach-E). Mais le modèle qui nous intéresse aujourd’hui est un petit cabriolet vendu au début des années 90 et dont le plus gros défaut (mais pas le seul) est un sens horrible du timing.
L’histoire de la Capri troisième du nom (en Amérique du Nord) débute en 1982 avec Bob Lutz (encore lui!) qui commande le développement d’un concept de petit roadster dans l’esprit des véhicules anglais des années 60/70 afin de faire parler de Ford. Il impose l’utilisation de la plateforme de la Ford Fiesta XR2 (traction avant, 4 cylindres 1,6 litre de 83 chevaux et boîte 4 vitesses) pour réduire les coûts d’une éventuelle industrialisation. Le résultat est un petit cabriolet (empattement de 2,29 m et longueur totale de 3,50 m) aux lignes cunéiformes signées par le carrossier italien Ghia, propriété de Ford depuis 1970. Dénommé Barchetta, il est présenté au Salon de l’auto de Francfort en octobre 1983.
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Ingérence corporative
Le concept est très bien accueilli, tant en Europe qu’en Amérique du Nord (où il a été exposé durant l’année 1984 dans différents salons). Tant et si bien que Ford commence à explorer la possibilité d’une production limitée. Un deuxième concept est construit. Baptisé LIV (Low Investment Vehicle, véhicule à investissement réduit), il sert aussi de test pour le développement de panneaux de carrosserie en matériau composite. Il possède des lignes très proches de la Barchetta mais reprend les trains roulants de la Fiesta XR2i (injection électronique, 96 chevaux et boîte 5 rapports). À ce moment, Ford évoque une possible production pour le millésime 1988. Les États-Unis semblent aussi intéressés. Le problème, c’est que la Barchetta est une stricte deux places, avec un coffre réduit. En d’autres mots : elle est trop petite pour l’Amérique. Il faut trouver d’autres soubassements.
À cette époque, Ford possède 25% de Mazda et les deux constructeurs travaillent sur de nombreux projets en commun. La plate-forme BF traction avant de la Mazda 323 (alias GLC chez nous) est choisie. L’auto est également vendue sous le nom de Ford Laser dans la région Asie-Pacifique ainsi que Mercury Tracer en Amérique du Nord (de 1987 à 1989). Le développement du cabriolet est proposé à Mazda. Les Japonais refusent, étant eux-mêmes occupés à la conception de leur propre roadster : la future MX-5 Miata.
Le programme est approuvé en 1985 et est alors confié à Ford Australie. Le style extérieur est entièrement revu et sera réalisé par Ghia tandis que l’intérieur sera dessiné par Ital Design. Une petite banquette arrière est ajoutée, ce qui en fait une 2+2, et le coffre est agrandi par rapport à la Barchetta. Le projet prend du retard et le modèle final n’est dévoilé en Australie qu’au printemps 1989. Sa commercialisation démarre en octobre 1989. Les premiers exemplaires qui sortent de l’usine de Broadmeadows, dans la banlieue de Melbourne, souffrent d’une qualité de fabrication un peu aléatoire (fuites d’eau au niveau de la capote notamment) mais ces problèmes seront rapidement corrigés. Source de fierté nationale, la Capri est la première Ford australienne exportée vers l’Amérique. Pour ce faire, il a fallu installer le coussin gonflable conducteur (un équipement qui ne sera jamais proposé down under) et s’assurer que les suspensions soient compatibles avec la clientèle du réseau Lincoln-Mercury. Les premiers exemplaires sont embarqués sur les bateaux à destination des États-Unis en mai 1990 et sont disponibles chez les concessionnaires américains à partir de juillet 1990 pour le millésime 1991.
LE problème
Par rapport à la Barchetta, la Capri a bien grandi : empattement de 2,40 m, longueur de 4,22 m, largeur de 1,64 m et hauteur de 1,28 m. Il y a bien une banquette arrière mais le dégagement pour les pieds est pratiquement inexistant et celle-ci servira surtout à des bagages additionnels. Le coffre est plutôt généreux pour un petit cabriolet (176 litres) et le dossier arrière est rabattable, portant le volume de chargement à 244 litres et facilitant le transport d’objets longs, comme des skis. La capote à commande manuelle est dissimulée sous un couvercle.
La Capri est proposée en deux versions : de base et XR2. Le modèle de base vient avec un 4 cylindres 1,6 litre Mazda B6D (100 chevaux à 5 750 tr/min et 95 lb-pi à 5 500 tr/min), une boîte manuelle à 5 rapports, la direction assistée, 4 freins à disque, des barres antiroulis avant et arrière. L’équipement de série comprend les vitres électriques, une radio AM/FM, l’instrumentation complète, une horloge numérique, des roues de 14 pouces en tôle et une console centrale avec porte-gobelets. Les options sont limitées : boîte automatique à 4 rapports, climatisation, radio AM/FM avec lecteur de cassette (avec ou sans amplificateur) et roues de 14 pouces en aluminium. L’auto est étiquetée à 12 990 USD.
La version XR2 bénéficie quant à elle du même bloc de base mais turbocompressé (code B6T). La puissance monte à 132 chevaux à 6 000 tr/min et le couple à 136 lb-pi à 3 000 tr/min. L’équipement de série comprend en plus une suspension renforcée, des phares antibrouillards, un aileron arrière, la climatisation, le verrouillage central, la radio AM/FM avec lecteur de cassettes, le régulateur de vitesse, un manomètre de pression du turbo et les roues en aluminium. Elle n’a pas droit à la boîte automatique. La XR2 est vendue 15 920 USD.
Dans tous les cas, un toit rigide dans le ton de la carrosserie est proposé en option. Il est muni du dégivrage électrique et vient avec un support d’entreposage (à la verticale) sur roulettes et une couverture de protection. Cinq couleurs extérieures sont offertes et la capote peut être commandée soit en noir soit en blanc.
Au lancement, Mercury espère écouler entre 25 et 30 000 exemplaires par an. L’accueil de la presse est cependant plutôt tiède. Celle-ci reconnaît le bon niveau d’équipement, le volume du coffre, le confort général et le caractère vivant du moteur turbocompressé. Mais la Capri ne brille pas par son design - qui fait très années 80 et qui semble alors un peu dépassé - ni par la rigidité de son châssis, l’efficacité de son freinage ou son agrément de conduite. Et c’est maintenant qu’il faut parler de « l’éléphant dans la pièce » : la Mazda MX-5 Miata. Le petit roadster japonais a été dévoilé au Salon de l’auto de Chicago en février 1989 et a commencé à être commercialisé en Amérique du Nord en mai 1989 (millésime 1990), soit 14 mois avant la Capri. Strict deux places et dotée d’un coffre réduit (101 litres), la Miata est nettement moins pratique que la Capri. Elle est aussi moins puissante (1,6 litre de 115 chevaux), moins équipée et plus chère. Mais grâce à sa configuration propulsion, son poids limité et son châssis équilibré, il délivre en vastes quantités ce que l’on attend le plus d’un tel véhicule : du plaisir! À ce niveau, la Capri ne peut pas lutter…
Des évolutions timides
Les modifications pour le millésime 1992 sont réduites : nouveaux tissus intérieurs, deux couleurs extérieures additionnelles et nouvelles roues à trois branches de 15 pouces pour la XR2. Même histoire pour 1993 : intérieur en cuir optionnel pour les deux versions et nouvelles radios. Il faut attendre 1994 pour voir des changements plus significatifs. À l’extérieur, les boucliers avant et arrière ainsi que les feux arrière sont redessinés, les bandes de protection et les rétroviseurs sont de couleur carrosserie et de nouvelles roues sont offertes (en aluminium sur toutes les versions). Les tissus de l’habitacle passent du gris au noir. La XR2 bénéficie d’une suspension plus ferme et de l’intérieur en cuir de série. Le toit rigide disparaît de la liste des options.
Une curiosité
Ford du Canada n’a pas choisi de vendre la Capri chez nous. Une décision largement plébiscitée par le Guide de l’auto dans son édition 1994 : « La Capri est demeurée une aventure réservée aux concessionnaires des États-Unis et on s’en félicite encore à Oakville. […] Une fois arrivé sur notre continent, ce cabriolet australien en a déçu plusieurs aussi bien par ses formes particulières que par son tempérament assez tiède. […] Malgré son manque de panache, la Capri n’est pas une vilaine routière. À son volant sur la piste d’essai de Dearborn, c’est le sous-virage intégral de l’entrée à la sortie du virage qui nous attendait. On a beau faire n’importe quoi, le train arrière adhère comme de la colle à la route. Malheureusement, cela se traduit par une impression de conduite mi-figue mi-raisin tandis que la Miata nous permet de nous amuser comme c’est pas possible. » Le Guide reproche également au châssis de manquer nettement de rigidité et conclut son essai en qualifiant la Capri de « merveille australienne », avec les guillemets dans le texte.
Ceci résume bien la situation de l’auto et l’accueil du public. Si le développement d’une seconde génération fut un temps envisagé, rien n’ira plus loin et le dernier exemplaire sortira des lignes de production australiennes en mai 1994. Mercury avait bien tenté de relancer la carrière de son cabriolet en diminuant significativement les prix au cours du millésime 1993, mais rien n’y fera. La Capri sera toujours dépassée en termes de ventes par la Miata sur le territoire américain. Par contre, elle fera de meilleurs chiffres que la Mazda en Australie (certainement une petite poussée de nationalisme). Ce pays aura également droit à une version exclusive Clubsprint. Proposée de 1992 à 1994, elle recevra des modifications uniquement cosmétiques : nouveaux pare-chocs (avec des feux ronds à l’arrière), un tonneau cover en fibre se prolongeant jusqu’aux appuie-têtes (et couvrant donc les deux places arrière), des roues de 16 pouces, un volant de type course et un intérieur en cuir bleu. Entre 200 et 400 exemplaires auraient été fabriqués.
Concernant les chiffres de production, personne n’est d’accord. La source la plus détaillée mentionne un total de 66 640 exemplaires (incluant les préproductions). L’Australie en aurait absorbé 9 787, la Nouvelle-Zélande 440 et le reste l’Asie Pacifique 120. Ce qui laisse autour de 55 / 56 000 exemplaires (si l’on exclut les exemplaires de préproduction) pour les États-Unis. Une source fiable indique des ventes américaines de 19 047 en 1991, 16 934 en 1992 et 10 369 en 1993 (ce qui donnerait près de 9 500 exemplaires pour 1994), de toute façon très loin des objectifs initiaux. Aujourd’hui, la Capri est tombée dans l’oubli.
L’ironie de la situation n’aura échappé à personne. La Capri repose sur un châssis Mazda et c’est une autre Mazda qui lui a fait le plus de tort. Si la Capri avait conservé l’esprit de la Barchetta, si elle était arrivée plus tôt sur le marché, si elle avait eu une structure plus rigide, elle aurait peut-être connu plus de succès. Mais avec des si…