Essai rétro : quatre Porsche Turbo pour un bel anniversaire
Un bâtiment anonyme dans la banlieue de Stuttgart, en Allemagne. Un endroit volontairement discret, pour lequel Porsche nous a demandé de ne pas divulguer l’adresse. Derrière ces murs se cache une collection de voitures absolument hallucinante. Des dizaines de 911 de toutes les époques, des autos de course comme la 904, la 906, la 908, la plus récente 919 Hybrid, mais aussi une Carrera GT, une dizaine de 356 et même une rarissime Abarth Carrera Zagato. Pour l'anecdote, ce modèle avait été acheté par un certain Jacques Duval lorsqu'il écumait les circuits canadiens au volant de voitures de course.
Et en ressortant de l’autre côté du bâtiment, quatre Porsche à moteur turbo ont été réservées afin que nous puissions en faire l’essai. Pour la marque, il s’agit de célébrer 50 années de véhicules portant la dénomination « Turbo ». En effet, l’année 1974 coïncide avec la présentation de la redoutable 930, la première Porsche de route à recevoir un turbocompresseur. Vous pouvez d’ailleurs en lire l’essai dans Le Guide de l’auto 2024, actuellement en vente.
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Pour cette journée très spéciale, pas de 930 au menu, mais quatre véhicules qui ont marqué les esprits pour des raisons différentes. Si l’on procède par ordre chronologique, la première voiture est une 944 Turbo de 1989. Le coupé d’entrée de gamme allemand, souvent décrié pour ses performances sans éclat, reçoit une turbine permettant de faire grimper sa puissance jusqu’à 247 chevaux. Une valeur plus que respectable à la fin des années 80.
La seconde est une superbe 993 Turbo S de 1998. Notre modèle d’essai est doté de toutes les options possibles et inimaginables. Son flat-6 de 3,6 litres, le dernier à être muni de cylindres refroidis par air forcé, représente l’aboutissement ultime du moteur de 2 litres inauguré par la Porsche 901 en 1963.
Vient ensuite le véhicule qui a permis à la marque de prendre l’essor qu’on lui connaît aujourd’hui : le Cayenne de première génération, lui aussi en version Turbo S. Notre modèle d’essai a en plus très peu roulé, puisqu’il affiche à peine 7 000 km à l’odomètre.
Enfin, ce festival turbocompressé se conclut en beauté avec une 911 type 997 Turbo de 2007 parée d’une robe jaune bien moins discrète que les autres véhicules conduits ce jour-là. À l’applaudimètre, c’est d’ailleurs elle qui a le plus fait tourner les têtes sur son passage.
La force brute du V8
Alors que nous avons eu la possibilité de conduire le Cayenne 2024 il y a quelques mois, nous étions curieux de monter à bord du premier modèle de la lignée, surtout dans sa version la plus performante. En ouvrant la porte, nous tombons sur un modèle aux multiples options, recouvert de cuir, de suède et de bois. Plutôt chargée, la décoration ne plaira pas à tout le monde.
Si le design du volant et du tableau de bord ont un peu vieilli, la qualité de finition demeure très actuelle. C’est surtout l’énorme quantité de boutons et de leviers qui démode cet intérieur.
Assis haut, bien maintenu par un siège très confortable, le conducteur a l’impression de dominer la route. Le gros V8 de 4,5 litres, développant 514 chevaux, possède deux visages. Déjà bien rempli à bas régime, il passe la surmultipliée après 4 000 tr/min dans une sonorité très plaisante. Les montées en régime sont toutefois un peu moins vives qu’à bord de la Panamera 2010 essayée récemment et dotée du même moteur.
La tenue de route est globalement efficace, mais la direction est lourde et le véhicule ressemble davantage à un VUS « à l’ancienne » quand on le compare au modèle actuel. Le freinage est également moins mordant qu’aujourd’hui, même s’il s’avère bien dimensionné pour le poids du véhicule (2 355 kg).
En revanche, les performances n’ont pas pris une ride, avec un 0 à 100 km/h expédié en 5,2 secondes, et des accélérations énergiques. Sur le chemin du retour, une section d’Autobahn vide nous a permis d’atteindre 230 km/h en toute décontraction, la tranquillité à bord n’étant perturbée que par le bruit du vent.
Plus de 20 ans après sa sortie, le premier Cayenne demeure performant, valorisant et très confortable. Son prix sur le marché de l’occasion est très bas, mais la difficulté sera évidemment d’en trouver un propre… et bien entretenu. Car les pièces coûtent très cher pour maintenir un tel véhicule en parfaite condition.
Conduire la mal-aimée
Bien que sa cote soit montante et qu’elle ait plus d’adeptes que la 924, la 944 est loin d’avoir la même aura qu’une 911 auprès des puristes. Certains esprits chagrins la qualifient même de « Porsche au rabais ». De notre côté, nous préférons toujours prendre le volant d’une voiture avant d’émettre un avis définitif à son sujet. Et pour tout vous avouer, cette 944 Turbo était le modèle qui titillait le plus notre curiosité.
Notre véhicule d’essai était lui aussi bardé d’options, avec notamment la climatisation, une radio (à moitié modernisée par Porsche) avec un système de réglage sonore plus évolué, et même le hayon à ouverture électrique!
Très basse, la 944 vous impose quelques contorsions au moment de monter à bord. Attention à votre tête! Une fois installé, le conducteur doit composer avec une assise un peu trop haute et un volant de grand diamètre, qui frotte sur les genoux. Ce grand cerceau a au moins le mérite de libérer la vue sur les cadrans qui font face au conducteur… dont le design a évidemment le plus vieilli. Les aiguilles rouges sur fond noir et les totaliseurs à rouleaux rappellent clairement les années 80. Au démarrage, le 4 cylindres se fait discret, son ronronnement n’étant pratiquement pas audible dans l’habitacle.
Lors des premiers tours de roue, nous avons rapidement réalisé que l’on ne conduit pas une 944 Turbo comme n’importe quelle 718 contemporaine. Son bloc de 2,5 litres n’aime pas se trouver sous les 2 000 tr/min en conduite coulée, et manifeste sa réprobation par quelques cognements. Une fois passé ce régime, le 4 cylindres s’éclaircit un peu la voix, mais manque encore de souffle.
Il faut attendre 4 000 tr/min pour que la puissance arrive enfin. Ayant un temps de réponse marqué, le turbo accélère le tempo une fois qu’il reçoit suffisamment de gaz d’échappement pour donner son maximum. Cependant, la poussée, bien que franche, demeure beaucoup plus policée qu’à bord d’une 911 Turbo. La vitesse grimpe au tableau de bord, mais la voiture ne vous colle pas dans votre siège.
Grâce à des suspensions souples (un peu trop lorsque l’on hausse le rythme), elle offre également un très bon confort de roulement. En fait, ce sont les freins qui ont le plus vieilli. Que ce soit le mordant ou la puissance, il ne faut pas prendre des repères actuels au moment d’aborder les courbes.
La direction, trop surmultipliée, nécessite aussi beaucoup de mouvements des bras dans les virages en épingle à cheveux. En revanche, le maniement du petit levier de vitesses est plaisant. Le débattement est un poil trop prononcé, mais la précision satisfaisante.
En fin de compte, nous avons apprécié la 944 Turbo à un rythme de balade, grâce à son confort, son insonorisation bien réalisée pour l’époque et sa puissance bien dosée. Et puis on esquisse toujours un petit sourire de voir ses phares rétractables se déployer au bout du capot quand on en a besoin.
Mais parmi les quatre véhicules essayés, c'est le modèle qui nous a le plus laissés sur notre faim côté dynamisme...
Turbo… mais Tiptronic
Pour Porsche, la 997 symbolise le retour des phares ronds et une certaine distanciation stylistique avec la génération 996 qui n’avait pas fait l’unanimité. Notre modèle d’essai étrenne un 6 cylindres à plat de 3,6 litres, dont les deux turbocompresseurs portent la puissance à 473 chevaux. Sacrilège pour bien des puristes, cette version accueille une boîte automatique. Pas la très efficace PDK à double embrayage, mais la Tiptronic qui a été largement décriée en son temps. Pourtant, là encore, nous étions curieux de voir comment cette transmission se comportait à l’aune de nos références actuelles.
À l’intérieur, le design rappelle celui du Cayenne conduit précédemment, avec une interface parsemée d’une grande quantité de petits boutons. Il n’est d’ailleurs pas toujours facile de s’y retrouver! Pour le reste, les propriétaires de 911 ne seront pas dépaysés à bord d’une 997.
Bien assis dans un siège accueillant, le conducteur peut actionner la (vraie) clé de contact située à sa gauche. Le réveil du flat-6 est toujours aussi délicieux à l’oreille, la sonorité rauque et métallique étant fort agréable. Conduite à un rythme coulé, la 911 Tiptronic se comporte très bien. Souple à bas régime et suffisamment performante alors que la pédale d’accélérateur n’a été qu’effleurée…
En effet, le bloc de 3,6 litres attend les hauts régimes pour s’exprimer pleinement. La poussée est forte, rageuse et le conducteur doit sans cesse faire attention à sa vitesse sous peine de se retrouver en tête à tête avec des agents de la Polizei.
Le principal défaut de la voiture, c’est effectivement sa boîte de vitesses. Efficace dans la circulation, elle peine à satisfaire le conducteur s’il adopte une conduite plus enthousiaste. La transmission est lente à rétrograder, et laisse le moteur haut dans les tours pendant plusieurs secondes même lorsqu’on a relâché notre effort. Il y a bien le mode manuel, mais il ne compense que partiellement le problème. En effet, il n’y a pas de palettes derrière le volant et il faut passer par les boutons situés sur ce dernier. C’est peu ergonomique et pas vraiment intuitif.
Si l’on envisage l’utilisation de la voiture sous un angle plus grand tourisme que sportif, une 997 Tiptronic peut néanmoins vous apporter beaucoup de plaisir. Mais on ne va pas vous mentir, si nous devions en acheter une demain, elle serait évidemment manuelle…
Le meilleur pour la fin?
La dernière voiture que nous avons mise à l’essai fait partie des modèles mythiques de chez Porsche. Ultime représentante de la 911 originelle, la 993 Turbo S est la plus évoluée de la gamme. Avec son 6 cylindres de 444 chevaux, sa fiche technique demeure redoutable même aujourd’hui. Surtout quand on sait qu’il n’y a que 1 500 kg à déplacer!
À l’ouverture de la porte, on constate immédiatement que cette 993 est bardée d’options. Les possibilités sont quasi infinies chez Porsche, mais il nous semble difficile d’en rajouter tellement il y en a! Cuir tendu partout où se pose le regard, planche de bord, contre-portes et frein à main en fibre de carbone (très rare en 1998), installation mains libres pour téléphone cellulaire cachée dans l’appuie-bras, rien ne manque. Même le bouton pour régler la luminosité de l’instrumentation est recouvert de cuir rouge!
Comme pour les générations précédentes, l’absence de volant réglable en hauteur et en profondeur complique la vie du conducteur pour trouver une position adéquate. Au démarrage la sonorité rauque et profonde vous dresse les poils sur les bras. En revanche, l’embrayage délicat à manier vous ramène sur terre. Le pédalier articulé vers le bas n’est pas très ergonomique, et le point de patinage est très haut. Cela dit, après avoir fait hurler le moteur et calé une ou deux fois, on finit par s’y faire. Pareil pour le talon-pointe, il exige un peu de contorsion, mais finit par rentrer tout de même.
La conduite de la 993 est assez paradoxale. Elle affiche un certain côté rustique hérité des premières 911, mais aussi des performances et une tenue de route d’une incroyable modernité pour une voiture vendue dans les années 90.
Conduite tranquillement, on peut compter sur son moteur bien rempli et ses sièges bien dessinés, même si l’amortissement demeure un peu ferme. Mais dès que l’on titille la pédale de droite, le moteur change de visage après 3 500 tr/min, où la poussée est vigoureuse jusqu’à la zone rouge. Les performances sont impressionnantes encore aujourd’hui, et les vitesses atteintes stratosphériques. Une petite escapade sur l’Autobahn nous l’a confirmé, la 993 atteignant 220 km/h dans un souffle. Toutefois, nous avons préféré relâcher notre effort. Pas parce que la voiture est dangereuse à ces vitesses, mais parce que de grosses gouttes de pluie commençaient à frapper le pare-brise…
Que la route soit humide ou pas, le fait que la voiture soit dépourvue d’aides à la conduite impose une certaine retenue. Le rouage intégral aide à transmettre la puissance au sol, mais ne vous y trompez pas : la conduite demeure très typée propulsion. Et bien que son comportement soit plus prévisible que celui d’une 930, il faut tout de même charger l’avant en entrée de virage pour la faire tourner adéquatement. Dans les courbes à grand rayon, il faut également se méfier de la direction qui s’allège lorsque l’on sollicite le moteur au maximum. Mais ce sont aussi ces imperfections qui la rendent si attachante. Quel bonheur à conduire!
Parmi les quatre modèles essayés, c’est sans contredit la 993 qui a notre préférence. Concernant le plaisir, c’est elle qui vous en donnera le plus pour votre argent… à condition d’en avoir beaucoup! En effet, une Porsche 993 Turbo ou Turbo S dépasse allègrement les 250 000 $ au Québec.
Si vous n’avez pas ce budget, une belle 997 Turbo vendue deux fois moins cher ou une 944 Turbo vendue pour une fraction du prix ne sont pas à dédaigner si vous souhaitez entrer dans la grande famille des « porschistes ».