Rêve d'un essai d'antan
J’ai souvent la discussion avec certains de mes collègues plus âgés, notamment Denis Duquet, à propos du plaisir qu’il devait être de passer en revue des voitures des années 80. Une époque où l’on ne s’attardait pas aux mêmes détails et où les notions de performance et de luxe étaient évidemment bien différentes de celles d’aujourd’hui.
Je me suis ainsi imaginé récemment ce que Bombardier aurait pu fabriquer comme voiture en visant un marché nord-américain, pour ensuite en faire une critique à l’ancienne. Un jeu cocasse, mais qui allait me changer des termes aujourd’hui trop souvent répétés que sont les AppleCarPlay sans fil, recharge sur borne de niveau 2, volant chauffant et assistance au stationnement. Ironiquement, saviez-vous que Bombardier avait eu l’intention de commercialiser dans les années 80 une sous-compacte dérivant d’un modèle Daihatsu? Un projet qui a évidemment été avorté, bien que très sérieusement étudié.
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Voici donc le genre de chronique qui aurait pu résulter du lancement d’une voiture construite chez nous dans les années 80, avec toute la mise en contexte qui l’accompagne.
Bombardier à la conquête de l’Amérique
La voici enfin, la tant attendue voiture québécoise développée et conçue à Valcourt, avec laquelle Bombardier n’a pas droit à l’erreur. Parce qu’on a misé très gros pour en arriver à sa commercialisation et parce qu’il s’agit d’une chance unique d’affronter non seulement les quatre constructeurs américains sur leur propre territoire, mais aussi les marques japonaises qui gagnent sans cesse en popularité.
Par sa nomenclature JA280, elle rend hommage à Joseph-Armand Bombardier, fondateur de l’entreprise, et illustre également la cylindrée de son moteur V6 emprunté à General Motors. Une voiture soi-disant développée dans l’optique d’affronter les pires conditions climatiques et qui pourrait en quelque sorte répliquer à l’AMC Eagle, bien que sa ligne soit plus nettement moderne. Remarquez, la comparaison avec la dernière vedette d’American Motors se fait tout naturellement puisque, là aussi, on puise bon nombre de ses composants de constructeurs rivaux, avec qui de bonnes ententes sont nécessaires pour que la production de la voiture puisse perdurer. N’oublions pas que la seule autre voiture québécoise jusqu’ici fabriquée, en l’occurrence la Manic GT, avait vu sa production interrompue alors que Renault avait cessé de fournir l’entreprise en pièces.
Assemblée dans une nouvelle usine sherbrookoise qui emploie un peu plus de 1 200 travailleurs, la JA280 exploite la plateforme A de General Motors, sur laquelle reposent les Celebrity, 6000, Cutlass Ciera et Century. Plusieurs des pièces nécessaires à sa fabrication sont d’ailleurs directement acheminées depuis l’usine de Sainte-Thérèse où sont produites depuis peu les Chevrolet Celebrity. Naturellement, il n’était pas question pour GM de se laisser damer le pion par Bombardier, qui aurait pu développer une voiture rivale de la Celebrity. Un accord a donc été conclu afin que la firme québécoise ne puisse produire d’autres types de carrosserie que la familiale en exploitant cette plateforme.
C’est donc une familiale au style aventurier, mais très moderne que nous propose le constructeur québécois. Une voiture qui allie en quelque sorte l’audace esthétique de la récente Taurus, les éléments techniques éprouvés des voitures A de GM de même que l’approche plus baroudeuse de l’AMC Eagle. Esthétiquement, la voiture se distingue bien sûr par son museau futuriste à phares superposés, son imposante galerie de toit et ses pourtours d’ailes, conçus pour protéger la voiture des impacts de roche. Bombardier mentionne aussi avoir placé une plaque de soubassement protégeant le carter d’huile, considérant que certains acheteurs pourraient vouloir s’aventurer hors des sentiers battus. Cela dit, la JA280 n’a certainement pas les aptitudes d’une Eagle 4x4 puisque sa garde au sol n’est pas aussi importante, mais aussi parce qu’elle exploite le système à quatre roues motrices tiré de la Pontiac 6000. Un dispositif réactif permettant, grâce à un boîtier de transfert à engrenage planétaire, d’acheminer 40% de la puissance aux roues arrière.
La version mise à l’essai pour les fins de cet article est évidemment la plus luxueuse des deux offertes. Un modèle d’Élégance qui se distingue esthétiquement par une calandre chromée, des pare-chocs de couleur assortie, des feux antibrouillards logés à même la calandre, ainsi que des lampes opéra aux piliers B. Les jantes de 14 pouces du modèle Classic laissent également place à des roues de 15 pouces à 4 rayons, du plus bel effet.
À bord, la finition déçoit légèrement. On y reconnaît l’influence General Motors avec des matériaux provenant clairement des mêmes fournisseurs, incluant même les leviers à la colonne et les interrupteurs. Même la radio Delco retrouvée dans l’ensemble des véhicules GM y apparaît, ce qui n’est pas un problème considérant la qualité de cet élément. Cela dit, la planche de bord affiche un dessin plus traditionnel avec une instrumentation exempte d’un compte-tours avec un rétroéclairage verdâtre.
Les sièges, qui ne proposent ici aucun réglage électrique, offrent un confort étonnant. On apprécie le tissu haut de gamme de la version d’Élégance, rehaussant le niveau de luxe par rapport aux sièges mi-vinyle, mi-tissu du modèle Classic. La console centrale de la version d’Élégance comporte un petit vide-poche bien pratique de même qu’un range-monnaie. Offrant un espace généreux, l’habitacle impressionne surtout par son volume cargo. Il suffit d’abaisser la banquette arrière pour obtenir 56,6 pi cubes d’espace, ce qui en fait une voiture très pratique.
Confort assuré
La suspension passablement souple de la JA280 permet d’obtenir un niveau de confort remarquable, en conjoncture avec l’empattement de 2 664 mm. Chaussée de pneus radiaux de taille P205/70R15, la voiture propose une tenue de cap intéressante de même qu’une bonne stabilité. Un certain roulis est évidemment perceptible en virage, comparable à ce qu’affichent les modèles américains de la compétition. À ce chapitre, il est toutefois clair qu’une Toyota Camry à quatre roues motrices, bien que plus coûteuse, se distingue davantage. En revanche, et bien qu’on fasse appel à des freins à tambours à l’arrière, la voiture s’immobilise avec aplomb.
Bien connu, le V6 de 2,8 litres produisant 135 chevaux propose un rendement des plus honnêtes. Hélas, puisqu’il fait équipe avec le rouage intégral emprunté à la Pontiac 6000, le choix de la boîte automatique à trois rapports est inévitable. Cela entraîne donc une consommation passablement élevée enregistrée à 12,3 litres aux 100 km, ce qui aurait probablement pu être abaissé d’un litre avec une boîte à quatre rapports. Quant au traditionnel 0-100 km/h, il a été enregistré en 11,7 secondes, ce qui est raisonnable sans être exceptionnel.
Notons qu’à l’instar des voitures A de GM, la JA280 émet une sonorité plutôt agréable en accélération. On pourrait toutefois reprocher à Bombardier de ne pas avoir mieux insonorisé la cabine, puisque les bruits de route se font nombreux. Aussi, on a pu noter une certaine difficulté pour adéquatement désembuer la lunette avant, par temps pluvieux. Est-ce que le système de ventilation serait à revoir? Il faut dire que notre modèle d’essai n’était pas pourvu de la climatisation, une option de 595 $ sur les deux modèles offerts.
La première d’une grande série
Suite à l’introduction de la JA280, Bombardier nous promet aussi l’arrivée d’une berline intermédiaire 100% maison de même qu’un modèle plus compact, qui pourrait faire appel à des composants provenant d’un modèle d’importation de GM. Celui qui viendrait remplacer l’actuelle Chevrolet Spectrum, sur base d’Isuzu I-Mark. Aucun détail n’a encore été dévoilé, mais il est clair qu’une telle voiture pourrait connaître chez nous un franc succès. N’oublions pas qu’avec un prix de 16 395 $ pour la version Classic, et de 19 995 $ pour la version d’Élégance, la JA280 1988 est passablement coûteuse.
En terminant, sachez que Bombardier s’affaire actuellement à développer son réseau de concessionnaire canadien, comptant débarquer dès l’an prochain chez nos voisins du sud avec une forte stratégie de mise en marché. En attendant, c’est à Pierre Verville qu’a été confié le mandat de faire connaître la Bombardier JA280, probablement en réplique au succès des publicités de GM par André-Philippe Gagnon !