Ford Thunderbird 1958-60 : Coup de génie!

Les amateurs considèrent la première génération de Thunderbird comme la plus pure. Certes, mais la Thunderbird Squarebird (chacune des 11 générations porte un surnom en bird) est celle qui sauvera la lignée et établira sa recette pour des décennies à venir.

La première génération de Ford Thunderbird a été une réaction de Ford face à la Chevrolet Corvette de 1953. L’auto a été conçue alors que Lewis Crusoe était directeur général de la marque Ford. Les premiers exemplaires sortirent des chaînes de l’usine de Dearborn, dans le Michigan, le 9 septembre 1954 et les ventes débutèrent le 22 octobre 1954 pour le millésime 1955. Dès son introduction, la T-Bird est mise en question quant à sa rentabilité et l’on évoque rapidement la fin du modèle. La compagnie n’est pas habituée à d’aussi petits volumes (16 155 exemplaires en 1955, 15 631 en 1956 et 21 380 en 1957) et a plusieurs casseroles sur le feu (lancement des divisions Continental en 1956 et Edsel en 1958). Et ça ne va pas s’arranger…

Photo: Ford

Deux sièges qui font toute la différence

En janvier 1955, Robert McNamara prend la place de Crusoe à la tête de la marque Ford. Il est l’un des 10 « Whiz Kids » engagés par Henry Ford II en 1946. Tous sont d’anciens militaires affectés au contrôle statistique durant la Seconde Guerre mondiale. Et du contrôle, Ford en a bien besoin. La compagnie avait pour habitude d’estimer ses dépenses en pesant les factures! Les choses vont rapidement changer et plusieurs des « Whiz Kids » occuperont des postes influents dans la société jusque dans les années 70.

McNamara n’est pas, de son propre aveu, un amateur de voitures. Ce qui l’intéresse, ce sont les chiffres, idéalement ceux des bilans financiers, qui doivent être dans le vert. Dès son arrivée à la tête de Ford, il demande à ce que chaque gamme soit profitable, y compris la Thunderbird. Un rapport interne propose de transformer l’auto en une véritable 4 places pour augmenter son potentiel commercial. En mars 1955, le choix est fait de développer des versions 2 et 4 places simultanément sur deux empattements différents : 102 et 113 pouces (2,59 et 2,87 mètres). La première reposerait sur un châssis modifié du modèle 1955 tandis que la deuxième aurait une construction monocoque. C’est Bill Boyer qui est responsable du style. Il a déjà travaillé sur la première Thunderbird et travaillera par la suite sur d’autres générations du modèle jusqu’en 1985 en plus d’occuper différents postes à travers le monde.

Photo: Ford

La décision officielle viendra au printemps 1956 et c’est paradoxalement McNamara qui va trouver le moyen de sauver la T-Bird. Les équipes de marketing estiment qu’une version 4 portes pourrait réaliser jusqu’à 100 000 ventes par année, un chiffre beaucoup plus satisfaisant pour la direction. Et puis McNamara aime bien le style des premiers prototypes et commence à reconnaître la valeur de l’auto comme porte-drapeau de la marque. La solution est de transférer la production de la Thunderbird sur les mêmes lignes de fabrication que les Lincoln, qui doivent passer à la structure monocoque pour 1958. Elles seront fabriquées dans la toute nouvelle usine de Wixom, au Michigan, qui est en construction depuis 1955 et qui doit démarrer à l’été 1957. Cette unité fonctionnera jusqu’en 2007 et la Thunderbird y sera produite jusqu’en 1976. La décision est logique : en combinant deux lignes de petits volumes, Ford parvient à mieux amortir les coûts d’exploitation d’une nouvelle usine. Reste à concevoir l’auto avec un budget réduit.

Photo: Ford

Fin de la séparation

Le développement de la version deux portes à châssis séparé est donc arrêté. La construction monocoque permet d’obtenir une auto plus basse que ses concurrentes directes tout en offrant un espace intérieur aussi important. Le problème vient d’un imposant tunnel de transmission qui sert de renfort à la structure. Bill Boyer, qui a été dans l’aviation durant la Seconde Guerre mondiale, a l’idée de l’utiliser comme élément fonctionnel en ajoutant une longue console et en y installant les contrôles de chauffage, les cendriers, le haut-parleur de la radio et les commandes des vitres électriques. Le tableau de bord est rembourré, pour plus de sécurité. Les suspensions font appel à des ressorts hélicoïdaux aux 4 coins. Ford prévoyait de monter une suspension pneumatique mais, comme chez les concurrents, elle s’avèrera très peu fiable et sera rapidement retirée du catalogue des options.

Photo: Ford

À un moment, les ingénieurs de Ford ont envisagé d’installer un toit rétractable rigide sur le cabriolet, comme dans les modèles Skyliner des années 1957 à 1959. Ils font même appel à John Hollowell, le concepteur de ce système. Finalement, l’idée n’ira pas plus loin (principalement pour des raisons de coûts) et la seule trace de projet restera l’ouverture du coffre par l’arrière.

Sous le capot, on retrouve la version la plus poussée (300 chevaux) du nouveau V8 de la série FE (pour Ford-Edsel) qui remplace le bloc de la famille Y, introduit pour le millésime 1954. D’une cylindrée de 352 pc (5,8 litres), il peut être couplé au choix à une transmission manuelle à 3 rapports (avec overdrive optionnelle) ou une automatique Cruise-O-Matic à 3 rapports.

De record en record!

À cause de différents problèmes d’ingénierie, la production de la Thunderbird démarre en retard, le 13 janvier 1958. Les autos sont disponibles en concession à partir du 13 février 1958. Dans un premier temps, les premiers acheteurs n’ont droit qu’à la nouvelle version coupé. Le cabriolet n’arrivera que bien plus tard chez les concessionnaires, au mois de juin 1958. La T-Bird est présentée comme un modèle de luxe, avec une belle finition intérieure, mais il faut encore mettre la main à la poche pour obtenir la direction et les freins assistés, les sièges électriques, la climatisation ou bien des ceintures de sécurité et des rétroviseurs (bon, on est en 1958…). Le prix de base du coupé est de 3 630 $ aux États-Unis et de 5 059 $ au Canada tandis que le cabriolet demande 3 914 et 5 401 $ des deux côtés respectifs de la frontière.

Photo: Ford

Finies les velléités sportives. Même si la Thunderbird 1958 offre plus de puissance que le modèle 1957, elle est également plus lourde de 350 kilos (en cabriolet). Les performances souffrent et les freins ont fort à faire. Les amateurs de la première heure sont déçus. Mais qu’importe, malgré un millésime raccourci, les chiffres de production montent de 73%! Ce qui n’est pas un mince exploit en cette année de récession économique causant une baisse des ventes chez tous les constructeurs (sauf Rambler). Ford fabrique 35 758 coupés et 2 134 cabriolets. Les études de marketing n’avaient pas menti : il y a un véritable marché pour une Thunderbird 4 places.

Pour 1959, la Thunderbird subit quelques changements esthétiques : le motif hexagonal de la calandre est remplacé par des lignes horizontales (idem pour la décoration des feux arrière), les 4 barres sur la forme arrondie des bas de caisse disparaissent au profit d’un embout en forme de flèche, l’instrumentation devient blanche et la gamme de couleurs est modifiée. Les évolutions techniques sont un peu plus profondes : puisqu’il n’y a plus de suspension pneumatique au programme, les ressorts hélicoïdaux sont substitués pour des ressorts à lames alors qu’un V8 de 430 pc (7,0 litres) de la famille MEL (pour Mercury Edsel Lincoln) développant 350 chevaux est disponible en option (seulement avec la transmission automatique). En cours d’année, le mécanisme manuel de la capote est remplacé par un système entièrement automatique. Malgré ces changements limités, les ventes montent encore : +78% cette fois! Le modèle est produit à 57 195 coupés et 10 261 cabriolets (c’est-à-dire plus en une année que les trois années combinées de la génération précédente, soit 67 456 exemplaires contre 53 166). Conformément aux souhaits de McNamara, la Thunderbird est devenue très profitable. Et ce n’est encore rien…

Photo: Ford

Le millésime 1960 n’apporte pas de grosses évolutions : la grille intègre des croix chromées, il y a six feux arrière au lieu de quatre, la flèche chromée sur la porte disparaît et des barres verticales sont ajoutées sur les ailes arrière. L’équipement est légèrement bonifié alors qu’un toit ouvrant manuel figure sur la liste des options pour le coupé. Cette option est souvent référée comme le « Gold package » mais il s’agit en fait d’une méprise. En réalité, c’est la compagnie allemande Golde, spécialisée dans les toits ouvrants, qui est fournisseur de Ford. Facturée à un bon prix, elle ne sera installée que sur 2 536 Thunderbird. Là encore, la clientèle en redemande et Ford parvient à peine à suivre côté production, laquelle augmente de 35% (78 983 coupés et 11 860 cabriolets, certaines sources citent d’autres chiffres pour les coupés). Il faudra attendre 1977 pour que le total de 90 843 exemplaires soit battu. Plus question de faire disparaître la poule aux œufs d’or cette fois-ci et une nouvelle génération, qui sera baptisée Bulletbird à cause de son avant pointu, sera lancée en 1961.

Photo: Ford

Les succès de Ford dans les années 50 amèneront McNamara à être nommé président de la Ford Motor Company en novembre 1960. Mais il ne restera que quelques semaines à ce poste avant de devenir le secrétaire à la Défense du nouvellement élu président John F. Kennedy. Il occupera ce poste jusqu’en février 1968 (en pleine guerre du Vietnam) avant de devenir président de la Banque mondiale.

En altérant l’idée de base, Ford a peut-être aliéné les acheteurs de la première heure mais a permis à la Thunderbird de trouver sa place sur le marché et ainsi de sauver le nom. La marque a créé le concept de personal luxury coupe, qui connaîtra son apogée dans les années 1970 (Pontiac Grand Prix, Lincoln Continental Mark III, IV et V, Chrysler Cordoba…). Parfois, mais rarement, chercher la rentabilité amène aussi à être visionnaire!

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Pontiac Grand Prix 1988

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