La visite en concession est-elle encore nécessaire?
La façon de magasiner une voiture pour une majorité d’acheteurs passe aujourd’hui par les recherches sur Internet. Des plateformes comme Otogo.ca, Kijiji Autos, Hebdo.net et Marketplace permettent de trouver le véhicule idéal, neuf ou d’occasion. Ainsi, il arrive qu’un acheteur de Baie-Comeau se déplace à Saint-Hubert pour mettre la main sur un produit bien précis, et il arrive aussi qu’un acheteur de Montréal choisisse un véhicule basé à Québec, voire en dehors de la province.
Qu’il s’agisse d’un client éloigné ou d’un acheteur souhaitant optimiser son temps, nombre de consommateurs sont prêts à effectuer une transaction en ligne d’un bout à l’autre, avec livraison du véhicule à l’endroit de leur choix. Voilà pourquoi des constructeurs comme Tesla et Genesis ont développé des stratégies allant en ce sens. Hélas, la Loi sur la protection du consommateur exige toujours que la vente d’un véhicule au Québec d’un marchand à un particulier soit faite à l’adresse du commerçant. En somme, que le contrat de vente à itinérance soit signé sur place, après quoi le véhicule pourrait être livré à l’endroit désiré par le client.
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Selon des informations obtenues par l’Office de la protection du consommateur, l’article 260.29 de la LPC a déjà donné lieu à quelques condamnations, plus récemment à Auto M.G. qui s’est vu dans l’obligation de payer une amende de 2 100 $, pour avoir conclu des contrats de vente ailleurs qu’à l’adresse de son établissement. Son permis de commerçant de vente de véhicules routiers a également été révoqué par la présidente de l’Office.
C’est donc dire que bien que les condamnations soient rares, elles existent. On peut s’interroger sur la pertinence de cette loi, instaurée il y a belle lurette, laquelle aurait pu être révoquée ou modifiée, lors des changements législatifs de 2015. C’est en effet à ce moment que la responsabilité des permis de commerçants de vente de véhicules est passée de la SAAQ (Société de l’assurance automobile du Québec) à l’OPC. Un sondage auprès des commerçants avait alors été effectué, lesquels avaient majoritairement statué qu’il était à leur avantage de conserver cette loi en place. Peut-être parce qu’un trop grand nombre d’entre eux craignaient de perdre le contrôle ou faisaient face à l’inconnu.
Chose certaine, s’il fallait refaire aujourd’hui un tel sondage, les réponses seraient fort probablement différentes. Bon nombre de commerçants, et particulièrement durant la pandémie de COVID-19, se sont adaptés à cette réalité et sont maintenant prêts à procéder. Ne soyez pas dupes, plusieurs le font déjà à l’occasion, parce que cela fait l’affaire du client. Et je me permets de vous dire que j’ai déjà été l’un d’eux, alors que l’on m’avait livré chez moi une nouvelle voiture pour laquelle le contrat avait été signé sur son capot, à mon domicile. Or, pour qu’une condamnation puisse être effectuée, il faut une plainte de la part du consommateur ou d’autrui. Plainte que je n’ai évidemment pas déposée, puisque j’en étais très satisfait et parce que je suis en faveur du retrait de cette loi qui, par ailleurs, est unique au Québec.
Fait cocasse, le groupe Automobile En Direct, qui a élaboré une sérieuse stratégie de vente en ligne, livre à l’occasion des véhicules à des clients de l’Ontario ou des Maritimes où cette loi ne s’applique pas. Il est donc possible de livrer un véhicule et de faire signer le contrat de vente au domicile d’un client d’Ottawa, mais pas de Gatineau. Patrick Lavallée - vice-président à la commercialisation de ce regroupement de marchands de véhicules d’occasion, détenant aussi la bannière Stellantis - est d’avis que cette loi est obsolète et qu’elle brime le désir d’une partie de la clientèle qui voit un avantage à pouvoir effectuer une transaction complète, en ligne. « Les clients qui se présentent en succursale pour magasiner se font aujourd’hui plutôt rares. Ceux-ci arrivent généralement préparés, en sachant exactement ce qu’ils désirent, et souvent après avoir réservé leur voiture en ligne pour s’assurer de sa disponibilité, par l’entremise d’un dépôt évidemment remboursable. » M. Lavallée ajoute que l’entreprise qui fait affaire avec plusieurs institutions pour le financement de ses véhicules a réussi à obtenir l’accord de l’ensemble de celles-ci, afin que les contrats de vente puissent être signés par voie électronique. Comme quoi, tout a été mis en place pour s’adapter à cette nouvelle réalité et bien sûr, aux exigences de certains clients qui ne sont pas au fait de la loi. Ainsi, si les commerçants et les prêteurs sont fin prêts à emboîter le pas, qu’attend l’OPC pour agir? D’autant plus que les condamnations se comptent pratiquement sur les doigts d’une main, et que durant la pandémie, on a été un peu plus « lousse » quant à certaines règles.
Pour le moment, l’Office n’envisage pas de modifier cette loi, qui ne s’applique pas qu’à l’automobile. Une loi plus complexe d’ailleurs, qui implique tout contrat de vente par itinérance. Cela dit, il faudra tôt ou tard que quelqu’un mette son pied par terre, puisqu’encore une fois, le Québec fait figure de dinosaure face aux autres provinces, où cette question ne s’applique pas. Je terminerai en mentionnant qu’au tournant des années 2000, tandis que je sortais tout juste de l’école, le Groupe Spinelli situé dans l’ouest de Montréal m’avait embauché à temps partiel afin de conclure des ventes en ligne. Oui, il y a plus de 20 ans. Au cours des six mois où j’ai été à leur emploi, une seule transaction complète a été effectuée en ligne. Demande de prix, de renseignements, négociations, évaluation de l’échange et demande de financement. Or, la livraison et le contrat avaient été signés en concession. Si cela était possible alors que la voiture hybride en était à ses balbutiements, imaginez les possibilités avec les technologies d’aujourd’hui. Pourtant, à peu près rien n’a changé...