Après ses ratés informatiques, la SAAQ se lance dans la reconnaissance faciale
Par Nicolas Lachance
MISE À JOUR (04/04/2023) : La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, ordonne à la Société de l’assurance automobile du Québec de suspendre son projet de reconnaissance faciale, le temps que la société d’État reprenne le contrôle de son virage numérique. Elle réclame la suspension du projet qui doit « introduire une solution de reconnaissance faciale » pour optimiser la banque photo de la SAAQ.
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« Je pense que je n’ai pas besoin de disserter longtemps sur les défis auxquels est confrontée la SAAQ en termes de transition numérique. Il y a des défis organisationnels dans son ensemble. Alors, jusqu’à nouvel ordre, j’ai demandé qu’on le mette sur pause, bien que les objectifs sont louables », a-t-elle déclaré.
Dans une missive envoyée au PDG de la SAAQ, Denis Marsolais, la ministre affirme que « Québec demeure résolu à améliorer la qualité et la performance de nos services », mais que « le déploiement d’un tel projet est sensible. »
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Après le lancement catastrophique de sa transformation numérique, la SAAQ se lance dans la reconnaissance faciale afin d’assurer l’intégrité des détenteurs de permis de conduire.
Selon le plan annuel des ressources informationnelles du ministre du Numérique, Éric Caire, le projet sert à « introduire une solution de reconnaissance faciale » pour optimiser la banque photo de la SAAQ.
C’est la technologie Cognitec du fournisseur Thales DIS Canada qui a été retenue par la société d’État.
L’entreprise qui utilise les données biométriques est entre autres spécialisée dans la recherche d’images faciales dans des bases de données (voir plus bas).
Récemment, le lancement catastrophique de la nouvelle plateforme numérique SAAQclic jumelé à la mise en service du premier jalon de l’identité numérique québécois a tourné au vinaigre, provoquant une transition chaotique et de longues files d’attente à l’extérieur des SAAQ.
En entrevue, le porte-parole de la SAAQ assure que tout est réalisé dans le respect des règles gouvernementales.
Les autorités de SAAQ ont donné leur aval à la réalisation de ce projet qui a également été désigné d’intérêt gouvernemental par le ministère de la Cybersécurité et du Numérique (MCN).
« On parle de projet de reconnaissance faciale, ça fait toujours un peu peur au monde. Mais nous, le projet, au lieu de dire que c’est de la reconnaissance faciale, on va plutôt parler de gestion documentaire de notre banque de photos », a indiqué Gino Desrosiers, le coordonnateur des relations médias à la SAAQ.
« Faire le ménage » dans les photos
Or, le projet se nomme bel et bien : « solution de reconnaissance faciale pour les photos du permis autorisant la conduite de véhicules routiers. »
Les photos emmagasinées dans son système seront visées par le logiciel. Ceci va permettre à la société d’État de « faire le ménage » de sa banque de photo de permis de conduire et s’assurer d’éviter les doublons, rectifier des erreurs et déceler des fraudes, soutient M. Desrosiers.
« Dans le cas où on aurait deux photos différentes avec les mêmes informations, on pourrait vérifier afin de voir s’il n’y a pas eu une tentative de fraude, si quelqu’un essaie de se faire passer pour quelqu’un d’autre », a-t-il précisé.
Pas de surveillance
La technologie biométrique pourrait servir à faire de la surveillance, mais il ne s’agit pas de l’objectif de la SAAQ, signale le porte-parole.
« Ce n’est pas le but [...] Ce n’est pas prévu que quelqu’un se présente et qu’en franchissant la porte d’un centre de service de la SAAQ, que son dossier apparaisse directement à l’ordinateur. »
La société d’État qui gère près de 5,5 millions de dossiers réfléchit à un tel projet depuis 2017.
L’apparition de nouvelles technologies sur le marché en 2020 a accéléré la réflexion et le projet a été mis en branle à l’interne.
La SAAQ a investi 600 000 $ pour la rédaction du dossier d’affaires ainsi que la réalisation du processus d’appel d’offres public.
Il s’agit du deuxième projet de reconnaissance faciale gouvernemental. Le ministère de la Cybersécurité et du Numérique travaille également sur une technologie du genre pour son projet d’identité numérique.
RECONNAISSANCE FACIALE BIOMÉTRIQUE À LA SAAQ
- Permettre la vérification et l’identification de personnes
- Comparer les nouvelles photos d’identité avec les images existantes afin de prévenir la fraude
- Identifier ou détecter les erreurs de saisie
- Comparer, nettoyer et maintenir les bases de données d’identité avec les images faciales
- Mesurer les caractéristiques faciales
- Traiter les bases de données
- Protéger les données biométriques
* Les coûts et l’échéancier de mise en marche du projet sont encore inconnus
PLUSIEURS ENJEUX DE SÉCURITÉ
La Société d’assurance automobile du Québec devra s’assurer de protéger l’identité de ses clients et l’accès aux données sensibles des citoyens, c'est-à-dire leur visage et leur adresse, signale un expert.
« Ça ne peut pas nuire, de trier tout ça », admet Patrick Mathieu, expert en cybersécurité. « Techniquement, ils ont besoin de quelque chose pour les aider. »
Des risques
Cependant, les risques que la vie privée des détenteurs de permis de conduire soit bafouée sont bien réels, surtout si une multitude de personnes ont accès à cette base de données.
« Il faut faire attention à la vie privée avec Thales. Ce que je veux dire c'est que les données qui sont lues, comme les photos de permis de conduire, peuvent permettre d’identifier quelqu’un. Elle sont donc très sensibles. Sans doute dans les plus sensibles que la SAAQ détient », a dit l’expert qui est cofondateur du Hackfest.
« Basé sur ça, il faut faire attention à qui aura accès à cette base de données. »
Selon lui, la SAAQ devra s’assurer que l’entreprise qui fournit la technologie ne pourra pas avoir accès à ces données, tout comme les employés de la SAAQ.
« C’est sûr qu’en matière de sécurité d’accès des systèmes informatiques, on part déjà avec deux prises, surtout avec ce qui vient de se passer [à la SAAQ] », a illustré Patrick Mathieu, indiquant qu’il s’agit d’un enjeu externe et interne.
« Il faudra protéger la gestion des accès à toutes ces photos-là. S’il y a une brèche de sécurité, qui sera responsable? »
Des Québécois craintifs
Selon une étude publiée l’an dernier par la société Capterra Canada, 35% des Québécois utilisent déjà la reconnaissance faciale, par exemple avec leur téléphone intelligent.
Toutefois, 49% d’entre eux « s’inquiètent aussi de l’utilisation abusive de leurs données biométriques », et « 45% ont peur que la technologie biométrique puisse nuire à la protection de la vie privée ».