Porsche Carrera GT : l’héritage de la course
Pas de transmission sophistiquée, pas de turbo, pas de rouage intégral, pas de gadgets. Ce que les heureux acheteurs d’une Carrera GT obtenaient, c’était des roues, un châssis en carbone, une boîte manuelle et un V10… avec pédigrée. Parce que justement, l’histoire de ce modèle débute autour d’un moteur… de Formule 1.
Après avoir connu le succès en Formule 1 avec McLaren (3 titres de pilote et 2 titres de constructeur), Porsche se retire de la discipline à la fin de la saison 1987. La compagnie revient en 1991 avec un V12 développé par le légendaire ingénieur Hans Mezger. Ce bloc, baptisé 3512, est essentiellement un assemblage de deux V6 et va se montrer plus lourd, moins puissant et beaucoup moins fiable que la concurrence...
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L’écurie qui l’utilisait, Footwork Arrows, jette l’éponge après seulement 6 Grands prix et recommence à courir avec un V8 Cosworth DFR. Porsche quittera officiellement la F1 à la fin de la saison pour ne plus y revenir… du moins, jusqu’à maintenant. Mais non sans avoir auparavant terminé le développement d’un nouveau V10.
Quelques petits tours et puis s’en va…
S’il y a une discipline où la marque de Stuttgart excelle, c’est en Endurance. Elle a gagné les 24 heures du Mans en 1996 et 1997 avec la WSC-95 et en 1998 avec 911 GT1. Elle décide de concevoir une nouvelle génération pour répondre à la réglementation LMP (Le Mans Prototype) et qui devra être prête pour la saison 2000. Le projet 9R3 démarre en 1998. L’ingénieur responsable, Herbert Ampferer, ressort des tablettes le V10 créé 6 ans avant.
Le moteur est profondément revu et adapté pour l’endurance. La cylindrée passe de 3,5 à 5,5 litres. Il développe alors 680 chevaux et est capable de prendre 10 000 tr/min. Une nouvelle boîte de vitesses et un châssis en fibre de carbone sont conçus avec l’aide de l’écurie Lola. Des essais secrets sont menés sur la piste de Weissach avec les pilotes Alan McNish et Bob Wolleck. Les premiers tours de roue semblent concluants mais, quelques jours après, le projet est tout bonnement annulé et Porsche agira pendant des années comme s’il n’avait jamais existé.
La décision vient de Wendelin Wiedeking, le patron de Porsche. Il se murmure que c’est à la demande du PDG de Volkswagen, Ferdinand Piëch, qui ne voyait pas d’un bon œil une concurrente à son Audi R8 (5 fois victorieuse dans la Sarthe). La réalité est que les fonds pour le projet 9R3 (ou LMP2000) ont été réalloués pour le développement du Cayenne, lequel doit être lancé pour le millésime 2003 et qui est un modèle crucial pour la survie du constructeur (la suite des choses donnera amplement raison à Wiedeking). Ampferer le confirmera dans une entrevue au magazine Total 911 en 2019.
Par contre, c’est le même Wiedeking qui observe l’effervescence dans le segment des supercars et demande à Ampferer de concevoir, autour de ce moteur, un véhicule concept capable de rivaliser avec Ferrari.
Allons enfants!
Les ingénieurs créent alors un châssis monocoque entièrement en fibre de carbone, ce qui est encore une rareté à l’époque. Le V10 est retravaillé et est adapté à une utilisation routière. Quant au style, il est signé par l’Américain Jason Hill (qui travaille aujourd’hui chez le constructeur de véhicules électriques solaires Aptera).
Le 28 septembre 2000 au matin, c’est sous la pluie que le double champion du monde des rallyes Walter Röhrl conduit le concept Carrera GT sur la place de l’Étoile, escorté par des motards (il participera également à la mise au point du châssis). Le véhicule s’apprête à être l’une des vedettes du Mondial de l’auto de Paris. Et effectivement, à la grande surprise de Porsche, il remporte un énorme succès et la marque reçoit même des commandes fermes.
Dans un premier temps, Wiedeking ne croit pas tellement à la viabilité financière d’une Carrera GT de série. Mais avec les mois qui passent, les clients continuent de manifester de l’intérêt. Il faudra attendre le 8 janvier 2002, durant le Salon de l’auto de Detroit, pour que Porsche annonce officiellement la mise en production de sa supercar pour le millésime 2004.
Le jeu des 7 erreurs
Depuis le Salon de Paris, les ingénieurs n’ont pas chômé. Car faire passer un véhicule concept à la série n’est pas chose facile. Il faut respecter de nombreuses normes (pollution, bruit, impact) et s’assurer de la qualité du produit final. Lorsque l’on compare les caractéristiques techniques du prototype et du modèle de série, on constate des différences subtiles sur papier mais majeures en termes d’ingénierie.
Concept (2000) |
Production (2004) |
|
Moteur |
V10 à 68 degrés |
V10 à 68 degrés |
Cylindrée |
5 500 cm3 |
5 733 cm3 |
Puissance |
558 chevaux |
605 chevaux |
Couple |
442 lb-pi |
435 lb-pi |
Régime maximum |
8 200 tr/min |
8 400 tr/min |
Transmission |
Manuelle 6 rapports |
Manuelle 6 rapports |
Pneus avant |
265/30R19 |
265/35ZR19 |
Pneus arrière |
335/30R20 |
335/30ZR20 |
Poids à vide |
1 250 kg |
1 380 kg |
Longueur |
4 556 mm |
4 613 mm |
Largeur |
1 915 mm |
1 921 mm |
Hauteur |
1 192 mm |
1 166 mm |
Empattement |
2 700 mm |
2 730 mm |
Vitesse max |
+ 330 km/h |
330 km/h |
0 à 100 km/h |
Moins de 4 s |
3,9 s |
0 à 200 km/h |
Moins de 10 s |
9,9 s |
(Source : Porsche)
L’empattement est allongé de 30 millimètres pour une meilleure habitabilité. Ensuite, les ingénieurs ont réussi à abaisser l’auto de quasiment 30 millimètres, ce qui n’est pas une mince affaire (nous y reviendrons). Le poids est en augmentation de près de 10%, ce qui a entraîné, afin de maintenir les chiffres de performance initiaux, de faire passer la cylindrée du moteur de 5,5 à 5,7 litres.
Le style extérieur est finalisé par Harm Lagaay, le directeur du design de Porsche de 1989 à 2004. Le Cx n’est que de 0,39 et l’aileron arrière se déploie de 160 mm au-delà de 120 km/h et peut être commandé manuellement. L’intérieur est substantiellement revu alors que des cadrans analogiques remplacent l’écran digital du concept. Finalement, Porsche a réussi l’exploit de coller très près à son dessin initial. Comme on dit : chose promise, chose due!
Précision obsessionnelle
Le châssis est presque entièrement en fibre de carbone (fait par la compagnie ATR). L’ensemble ne pèse que 100 kilos et s’avère extrêmement rigide. Mais la pièce de résistance, c’est bien évidemment le V10. Comme sur les vraies autos de course, il est une partie portante du châssis et utilise une lubrification par carter sec calibré pour prendre 2,5 g d’accélération latérale. Vilebrequin forgé et bielles en titane complètent le tout pour un poids de seulement 214 kilos. La boîte manuelle à 6 rapports est accouplée à un embrayage comprenant, pour la première fois chez Porsche, des disques de friction en fibre de carbone et carbure de silicium. En utilisant deux disques de seulement 169 mm de diamètre, les ingénieurs ont réussi à créer un ensemble très compact, permettant d’abaisser le moteur, donc le centre de gravité, et d’améliorer l’aérodynamisme.
Toujours issue de la compétition, la suspension est à poussoirs aux 4 roues et les freins de 15 pouces font appel au carbone-céramique. Étonnamment, pour celle que l’on surnomme parfois « la dernière supercar analogique », la Carrera GT offre l’antiblocage de frein et le contrôle de traction (désactivable, quand même…). Les jantes sont en magnésium.
À l’intérieur, le carbone (coque des sièges), le magnésium (console centrale), l’aluminium et le cuir dominent. L’embout du levier de vitesses est en bouleau stratifié, en rappel des 917 victorieuses aux 24 heures du Mans 1970. L’équipement de série comprend la climatisation, la navigation par satellite et un système audio Bose. Un ensemble de 5 bagages sur mesure assorti à la couleur de l’auto est également fourni. Le toit démontable peut être installé sous le capot avant, où il est retenu par deux lanières en cuir.
Trouver la limite
La version finale de la Carrera GT est présentée au Salon de l’auto de Genève, en mars 2003. À ce moment, Porsche prévoit une production limitée à seulement 1 500 exemplaires. La fabrication des autos commence en début d’année 2004 dans la nouvelle usine de Leipzig, sur une chaîne parallèle à celle des Cayenne.
L’accueil de la presse est évidemment enthousiaste. Les envolées lyriques du moteur, la tenue de route phénoménale, le freinage violent et le confort préservé font l’unanimité. L’embrayage difficile à doser (le problème sera corrigé en cours de production) et le caractère brutal à la limite sont moins appréciés.
Dans l’édition 2005 du Guide de l’auto, on peut lire : « Sur la piste, la Carrera GT est une voiture très sensible à la moindre sollicitation, le châssis est parfaitement équilibré mais la transition entre une voiture collée à la route et une voiture en glissade se fait avec la rapidité presque instantanée propre à une voiture de course. » Vous voilà prévenu! L’auto est proposée à 440 000 USD. Au Canada, elle n’a pas de prix. C’est le taux de change avec le dollar américain en vigueur au moment de la commande qui fait foi.
La Carrera GT ne connaîtra que des évolutions mineures au cours de sa carrière… qui s’arrêtera le 6 mai 2006 après que seulement 1 270 exemplaires aient été construits. Porsche justifiera cette décision par de nouvelles normes de coussins gonflables aux États-Unis. Mais il se peut aussi que le comportement très entier de l’engin ait dissuadé quelques frimeurs (et ils auront raison, plusieurs Carrera GT seront impliquées dans des accidents graves, y compris celui ayant entraîné le décès de l’acteur Paul Walker).
Il ne faut pas non plus oublier la concurrence sérieuse d’autres supercars proposés au même moment : Mercedes McLaren SLR, Ferrari Enzo et Ford GT.
Un peu plus de la moitié de la production se retrouvera en Amérique du Nord (644 exemplaires aux États-Unis et 31 au Canada). Si Porsche n’a pas rempli ses carnets de commandes à l’époque, la Carrera GT est rapidement devenue un engin mythique. Aujourd’hui, un beau modèle coûte entre 1,5 et 2 millions de dollars américains. Juste retour des choses!