Vous souvenez-vous de la… Volvo 262C?
La Volvo 262C ne gagnera jamais de prix de beauté. En fait, on a connu des chars d’assaut plus élégants qu’elle. Elle a été dessinée en Suède et construite en Italie. Ils auraient peut-être dû penser à faire l’inverse…
Vendu à partir du millésime 1961, le coupé P1800 sera un joli petit succès commercial pour Volvo avec 47 492 exemplaires écoulés jusqu’en juin 1973. Grâce à sa visibilité dans la série Le Saint avec Roger Moore, il a aussi été un excellent vecteur d’image pour la marque. Arrivent le millésime 1974 et son lot de nouvelles normes de sécurité aux États-Unis. Les ingénieurs de Volvo estiment que le coupé n’y survivra pas, les adaptations coûtant trop cher. Comment le remplacer? D’autant que les Suédois ont un autre problème.
- À lire aussi: Volvo P1800 : le secret
- À lire aussi: Vous souvenez-vous de la… Volvo 780?
On ne change pas une équipe qui gagne!
À partir des années 70, le dollar américain devient plus fort face aux monnaies européennes, y compris la couronne suédoise. Volvo voit sa rentabilité baisser à cause de cette évolution des taux de change. Pour la maintenir, la marque décide de monter progressivement en gamme. En 1970, elle introduit sur le marché nord-américain la 164 S, dotée d’un 6 cylindres en ligne de 3,0 litres et d’une belle calandre à 4 phares.
Faisons immédiatement un aparté pour expliquer la nomenclature des modèles Volvo de l’époque. Avec le lancement de la 140 (en 1967 en Europe et 1968 en Amérique du Nord), les véhicules du constructeur adoptent une dénomination à trois chiffres : le premier concerne le numéro de la série, le second le nombre de cylindres et le troisième le nombre de portes. Ainsi, la nouvelle série sera déclinée en versions 142, 144, 145 et 164. Elle sera très populaire à travers le monde et portera Volvo vers de nouveaux niveaux de production avec 1,2 million d’exemplaires fabriqués.
Pour celui qui l’a dessinée, Jan Wilsgaard, se pose une question cruciale lors de son remplacement : comment faire mieux? Engagé chez Volvo en 1950 comme apprenti, ce dernier réalise sa première auto complète en 1956, à l’âge de 26 ans : l’Amazon (alias 122S aux États-Unis). À partir de là, c’est lui qui signera les lignes de toutes les grosses Volvo jusqu’à son départ à la retraite, en 1991 : 140, 240, 740/760/780 et 850, y compris les traditionnelles versions familiales. Il résume sa philosophie par « Les solutions fonctionnelles et censées sont souvent les plus attrayantes ». Wilsgaard sera l’un des 25 finalistes au trophée du Designer automobile du siècle, organisé en 1999. C’est dire s’il a eu de l’influence!
Pour la série 200, il adopte une approche évolutive en partant de la 140 mais introduit nombre de lignes développées pour le concept VESC (pour Volvo Experimental Safety Car), notamment à l’avant. Sa vision séduira les acheteurs du monde entier puisque la 240, sous toutes ses formes, sera produite pendant 19 ans à près de 2,9 millions d’exemplaires.
En 1974, Pehr Gyllenhammar, le président de Volvo, le charge de dessiner un nouveau fleuron pour la marque, autant capable de remplacer la P1800 que d’assurer la salvatrice montée en gamme, génératrice de devises. Le constructeur s’apprête à lancer en Amérique la 262 GL (qui est simplement un coupé 242 avec une mécanique de 264), cependant Gyllenhammar songe à quelque chose de plus exclusif. Il ne sait pas encore que cette dernière passera totalement inaperçue auprès des acheteurs et ne sera vendue qu’à 3 329 exemplaires entre 1975 et 1977.
Légende urbaine
En 1974, Volvo inaugure son usine, située à Kalmar. Ultramoderne pour l’époque, elle attire la curiosité d’autres constructeurs. Cette année-là, Henry Ford II viendra la visiter. Ce dernier est arrivé en Suède avec ses propres voitures, expédiées par avion. On raconte que Jan Wilsgaard aurait été inspiré par les lignes du coupé Lincoln Continental d’HFII pour la 262C. Jolie histoire... mais qui ne semble pas trop réaliste. À ce moment, Wilsgaard a déjà près de 25 ans de métier et il est évidemment bien renseigné sur ce qu’il se fait sur le premier marché d’exportation de Volvo. Ce qui est pratiquement certain, c’est qu’il a effectivement plus ou moins copié les modèles les plus populaires de l’époque : Lincoln Continental Town Coupe et Cadillac Coupe DeVille.
Il y a aussi la contrainte du coût : il faut reprendre un maximum de pièces existantes, car la marque n’a pas beaucoup de budget pour le projet, baptisé « Tre Kronor » (trois couronnes). C’est pour cela que tout ce qui est sous la ligne de caisse est inchangé et l’empattement reste à 2,64 mètres, comme sur l’ensemble de la gamme 200. Le toit est abaissé de 7 centimètres, le parebrise est incliné tandis que le montant arrière est plus large et intègre un opera window, cette petite vitre alors très à la mode dans les grosses bagnoles américaines. Il est recouvert d’un joli vinyle, lui aussi très années 70. Le problème est que ce qui fonctionne sur des véhicules de près de 6 mètres de long crée des proportions maladroites sur une auto de seulement 4,88 mètres.
La filière italienne
Dès le début, Volvo envisage des volumes de production réduits : 1 200 unités par année (1 000 pour les États-Unis et 200 pour le reste du monde). Impossible de se servir des lignes de fabrication de la marque. Elle se tourne alors vers le carrossier italien Bertone. Les deux collaborent déjà pour la construction des limousines 264TE (des berlines 264 allongées de 70 centimètres qui seront utilisées par l’État suédois ainsi que par plusieurs politiciens d’Allemagne de l’Est, elles seront produites à 335 exemplaires).
Les pièces de série sont envoyées de Suède vers l’usine Bertone de Grugliasco, proche de Turin. Là, le carrossier réalise la fabrication du toit et de l’intérieur (conçu en Italie) ainsi que l’assemblage final. La présence du logo « Bertone » sur l’aile avant fera que la vénérable maison turinoise sera moquée pour les lignes empâtées du coupé. Mais elle n’y était pour rien, puisqu’elle n’assurait que la construction du modèle.
La filière française
Le coupé 262C est dévoilé au Salon de l’auto de Genève, en mars 1977. La partie mécanique est similaire à celle de la 264 GLE : V6 de 2 664 cm3 développant 125 chevaux (en Amérique du Nord, code interne B 27 E) accouplé à une boîte manuelle à 4 rapports avec overdrive à commande électrique ou bien à une automatique Borg Warner à 3 rapports (option sans frais). Le moteur est le « célèbre » V6 PRV, issu de l’association de Peugeot, Renault et Volvo. Initialement, il devait être un V8 (d’où son ouverture à 90 degrés) mais la crise pétrolière de 1973 a chamboulé les plans des trois constructeurs. Fabriqué à Douvrin, dans le nord de la France, il sera monté en Amérique du Nord dans différents modèles Volvo (260, 760, 780, 960) ainsi que dans les Eagle Premier et Dodge Monaco, sans oublier la DeLorean DMC12.
C’est à l’intérieur que la 262C se distingue. Si l’on retrouve la planche de bord standard de la 264, de superbes cuirs épais et souples spécifiques au coupé sont omniprésents (sièges, contre-portes, appui-têtes) ainsi que des placages en loupe d’orme. L’auto vient particulièrement bien équipée : vitres électriques, sièges chauffants, régulateur de vitesse, direction assistée, climatisation, compresseur à air (pour la miniroue de secours), tapis dans le coffre, antenne électrique… La seule option est le type de radio (AM-FM, cassette ou avec CB intégrée).
Pour la première année de commercialisation, au millésime 1978, la 262C n’est disponible qu’en gris métallique avec un intérieur noir. Au Canada, Volvo la propose à 20 350 $ CDN et cherche à concurrencer les Cadillac Coupe DeVille (14 999 $) et Lincoln Continental Coupe (16 126 $) ainsi que les BMW 633 CSi (35 630 $), Jaguar XJ-S (35 995 $) et Mercedes-Benz 280 CE (35 190 $) (tarifs de l'année modèle 1980).
Manque de place
Dans son essai du mois d’août 1978, le magazine Road & Track apprécie la finition intérieure, l’ergonomie (c’est une Volvo…) et la position de conduite (même s’il trouve les assises trop dures) ainsi que la tenue de route neutre. Il regrette par contre l’espace limité pour la tête (pourtant, les supports de siège ont été abaissés par rapport à la berline) et l’absence de raffinement du moteur. Signalons que les modèles à destination de l’Amérique du Nord se distinguent par une calandre à 4 phares.
Les années suivantes ne connaîtront que des évolutions graduelles. Pour le millésime 1979, les feux arrière et l’ouverture du coffre sont redessinés. De nouvelles couleurs métalliques apparaissent (selon les marchés) : bleu, or, noir ou brun. En 1980, le V6 PRV est révisé et voit sa cylindrée passer à 2 849 cm3 (code B 28 E) et sa puissance à 130 chevaux. Un aileron est ajouté à l’avant. Le modèle prend la désignation de « Coupé » de ce côté de l’Atlantique. L’année suivante, le toit en vinyle, jugé comme dépassé, disparaît alors que la calandre et la planche de bord sont légèrement revues. Le coupé est à ce moment vendu 22 665 $ CDN.
La 262C est souvent considérée comme un gros flop commercial. Pourtant, sans être un succès, avec 6 622 exemplaires produits (1978 : 1 670, 1979 : 2 120, 1980 : 1 920, 1981 : 912), elle a rempli les objectifs initiaux de Volvo. De ce total, environ 5 000 ont atteint les rivages de l’Amérique du Nord. Non, le vrai problème, c’est qu’elle n’a pas réussi à rehausser l’image de de Volvo et qu’elle a rapidement été l’objet de nombreuses plaisanteries. Cela ne dissuadera néanmoins pas la marque, qui lancera une remplaçante en 1986 : la 780 (cette fois-ci heureusement codessinée avec les Italiens). Mais ceci est une autre histoire…