Chevrolet Impala SS 1994-96 : cœur de Corvette

Prenez une berline bien tranquille. Mais alors bien tranquille! Ajoutez-lui un bon moteur et de quoi coller au pavé, modifiez l’esthétique et ressortez un logo mythique pour faire bonne mesure. La recette du succès?

Après deux chocs pétroliers, l’Amérique du Nord évolue et désire des autos plus petites. Pourtant, les modèles pleine grandeur de Chevrolet (Caprice et Caprice Classic sur base B-Body) assurent encore d’excellents chiffres de ventes : 191 096 exemplaires en 1988, 197 044 en 1989 et 223 857 en 1990 (alors qu’il s’agit d’un modèle lancé en 1977).

Et puis arrive la génération de 1991. Si elle repose essentiellement sur la plate-forme de l’ancienne (propulsion, châssis séparé), la nouvelle Caprice Classic arbore une allure plus aérodynamique et très moderne. Trop sûrement… Car malgré le titre de Voiture de l’année 1991 du magazine Motor Trend, le style semble dérouter (l’auto est surnommée « l’orque ») et les ventes baissent de plus de la moitié, à 104 297 exemplaires. Jim Perkins, le directeur général de Chevrolet, veut tenter quelque chose pour sauver les meubles.

Photo: Chevrolet

Inspirée par la rue

En 1992, John Albert est à l’époque designer pour Chevrolet. Un soir, il remarque une Caprice Classic pas ordinaire. D’un ton noir uni, elle est rabaissée, avec des pneus taille basse sur des jantes en aluminium, une grille exclusive et des sièges baquets à l’intérieur. Elle est d’autant plus menaçante que le son qui sort de ses pots d’échappement ne provient pas d’un bloc habituel de Caprice (5 ou 5,7 litres) mais bien d’un big block à l’ancienne, un 454 pc (7,4 litres). John suit l’auto jusqu’au domicile de son propriétaire, Rob Powers, un passionné de Chevrolet. Albert présente Powers à Perkins, qui désire faire un tour dans cette Caprice pas ordinaire.

Impressionné, Perkins souhaite produire en quantité limitée un tel modèle, qui pourrait améliorer l’image de la Caprice. Il demande à Jon Moss, responsable du département des véhicules spéciaux chez Chevrolet (Specialty Vehicles Group), de réaliser un concept pour tester la réaction du public. À partir du châssis d’une voiture de police (option 9C1), Moss fait installer un moteur LT1 de Corvette, rabaisser la suspension, changer la grille et les roues, ajouter un décroché au niveau de la vitre arrière (dessiné par Clay Dean) et un aileron ainsi que des logos d’Impala.

Le concept est réalisé en à peine 14 jours, juste à temps pour le SEMA Show de Las Vegas, en novembre 1992. Le public est absolument enthousiaste. Jim Perkins aussi et veut produire l’auto. Mais la résistance interne est forte. Alors, à une convention quelques semaines plus tard, ce dernier montre le concept et s’adresse aux concessionnaires : « Je souhaite mettre cette auto en production et j’ai besoin d’au moins 2 000 commandes pour le faire ». Deux heures plus tard, il en avait 2 800. Le feu vert était donné.

Photo: Chevrolet

Super Sport

Le nom Impala est inauguré pour le millésime 1958. La bagnole reçoit pour la première fois l’option SS (pour Super Sport) en mai 1961. Il s’agit d’un ensemble qui comprend des logos et enjoliveurs spéciaux, les freins et la direction assistés, un compte-tours, une barre de support passager inspirée par la Corvette et des pneus à fine bande blanche. Cinq moteurs sont disponibles, dont le nouveau 409 pc (6,7 litres) développant 360 chevaux et qui équipera seulement 142 Impala SS.

Au fil des années 60, cet emblème prend de l’importance dans la gamme Chevrolet et est apposé à d’autres modèles (Chevy II, Nova, Chevelle, Camaro). La dernière Impala SS est produite pour le millésime 1969. Elle est offerte avec un 427 pc (7 litres) de 390 chevaux. Seuls 2 425 véhicules recevront cette option. Le nouveau modèle allait combler 25 ans d’absence.

Les bonnes pièces aux bons endroits

Les Impala SS se distinguent esthétiquement des Caprice Classic par un déchromage presque complet, une nouvelle calandre, un décroché de la vitre « à la BMW » (réalisé par une insertion en plastique collée avec le logo Impala), des roues à 5 branches de 17 pouces spécifiques montées sur des BF Goodrich Comp T/A en 255/50ZR17. Toutes les Impala SS 1994 sont noires.

Photo: Chevrolet

À l’intérieur, la finition est grise avec des sièges baquets (tissu ou cuir en option) provenant de la Buick Roadmaster et une console centrale… mais le levier de vitesses reste au volant! L’équipement est complet : sièges et vitres électriques, air conditionné, volant ajustable en hauteur, régulateur de vitesse, radio AM/FM cassette, volant gainé de cuir et ouverture électrique du coffre. La partie châssis reprend l’option police 9C1 (barre antiroulis arrière, supports de châssis renforcés, 4 freins à disque avec ABS) à laquelle les ingénieurs ont ajouté des amortisseurs en carbone, un essieu arrière à glissement limité et une direction plus directe (3,06 tours de butée à butée).

Il reste à parler du moteur. Jusqu’en 1993, les Caprice devaient se contenter de V8 small blocks 5 ou 5,7 litres d’ancienne génération. Pour 1994, la gamme reçoit des moteurs dits « Gen II » : le L99 4,3 litres de base (200 chevaux) et le LT1 5,7 litres (260 chevaux) optionnel. La deuxième génération de small blocks a été développée par les ingénieurs de GM en réaction au bloc LT5 conçu par Lotus pour la Corvette ZR-1 de 1990. Le LT1 est pour la première fois installé dans la Corvette 1992. Il produit 300 chevaux.

Pour les Caprice et Impala (ainsi que les Buick Roadmaster et Cadillac Fleetwood), il est revu afin de faire moins de bruit et, surtout, et fonctionner à l’essence ordinaire. Les nouvelles têtes, tubulures et arbres à cames font baisser la puissance à 260 chevaux et le couple à 330 lb-pi. La seule boîte disponible dans l’Impala SS est la 4L60-E à 4 rapports des autres Caprice. Par contre, l’Impala SS se distingue par son rapport de pont arrière plus court : 3,08:1 contre 2,93:1, autorisant un 0 à 60 mph (96 km/h) en 6,5 secondes.

Photo: Chevrolet

Digne de son héritage

La première Impala SS sort de l’usine d’Arlington, au Texas, le 23 février 1994. Au lancement, Chevrolet espère écouler 4 000 exemplaires par année. Mais les clients sont emballés, aidés en cela par la réaction positive de la presse. Le magazine Car and Driver réalise le quart de mille en 15 secondes à 148 km/h et obtient 0,86 g d’accélération latérale, faisant honneur à ses ancêtres des années 60.

Mais contrairement à ces derniers, la nouvelle venue tient aussi bien la route. « Les changements apportés transforment le flottement habituel de paquebot de la Caprice sans ajouter de dureté. Le contrôle du châssis est excellent » souligne le journal, qui regrette cependant l’absence de contrôle de traction. Et l’auto freine bien : les essayeurs obtiennent 54,5 mètres depuis 112 km/h (70 mph). Pas mal pour un véhicule de 1 915 kilos! Son prix de 21 920 USD (contre 21 435 pour une Caprice Classic LS) finit d’emporter la décision des acheteurs. Finalement, seulement 6 303 exemplaires seront produits pour le millésime 1994 à cause d’un problème d’approvisionnement chez ROH, le fabricant des roues.

Photo: Chevrolet

Pour le millésime 1995, toutes les Caprices obtiennent le décroché de vitre arrière de l’Impala SS (cette fois estampé dans la tôle). Celle-ci bénéficie de deux couleurs additionnelles : le rouge cerise et le vert foncé. Les rétroviseurs, au lieu d’être montés sur la porte, sont placés en bout de fenêtre. Mais la vraie, bonne, grosse nouvelle, c’est l’arrivée du modèle au Canada.

Facturée 27 965 $ CDN (contre 24 415 pour une Caprice Classic de base), l’Impala SS enthousiasme à son tour le Guide de l’auto, qui écrit « L’Impala SS nous impressionne par ses performances, ses pneus super adhérents et un comportement routier surprenant pour les dimensions de la voiture ». Le constructeur prévoit de vendre 15 000 exemplaires, il en écoulera finalement 21 434! Et le meilleur reste à venir.

Le millésime 1996 voit l’installation du levier de vitesses sur la console (ce qui en fait l’année préférée de Jon Moss) et l’arrivée (enfin!) d’un compte-tours dans un nouveau tableau de bord classique, qui remplace la version numérique.

Photo: Chevrolet

Et le succès est au rendez-vous. Les clients se ruent en concessions et Chevrolet livre 41 941 exemplaires! La répartition totale des ventes par année et par couleurs s’établit comme suit :

Année

Noir

Rouge cerise

Vert foncé

Total

1994

6 303

0

0

6 303

1995

9 858

7 134

4 442

21 434

1996

19 085

12 180

10 676

41 941

Total

35 246

19 314

15 118

69 678

Les améliorations apportées ne sont pas les seules raisons de cet engouement. L’Impala SS n’a pas réussi à endiguer la chute des ventes de la Caprice Classic (116 781 exemplaires en 1992, 106 648 en 1993, 97 745 en 1994, 59 303 en 1995 et seulement 27 640 en 1996, ce qui fait que l’Impala SS est plus populaire que la Caprice cette année-là!).

Les clients savent que 1996 est la dernière année de production des modèles pleine grandeur de GM et se disent que des autos comme l’Impala SS ne seront peut-être jamais plus construites (ils auront tort car Ford lancera un modèle avec un concept similaire en 2003, la Mercury Marauder, mais avec un succès limité, seulement 11 052 exemplaires en deux ans). Le dernier exemplaire sort de l’usine d’Arlington le 13 décembre 1996. Cette usine sera ensuite reconvertie pour la fabrication de VUS, plus demandés et plus rentables.

Photo: Chevrolet

L’Impala sera relancée en tant que modèle à part entière en 2000 et aura droit à une version SS en 2004 (V6 3,8 litres à compresseur de 240 chevaux). La génération suivante (2006) aura aussi une déclinaison SS, cette fois-ci avec un V8 de 5,3 litres développant 303 chevaux.

Mais la magie n’opèrera pas car, d’abord et avant tout, ces autos sont des tractions avant (et le train avant était joyeusement dépassé par les évènements!). L’Impala SS aura été le point d’orgue des berlines pleine grandeur « à l’ancienne » chez GM. Son statut de collector est aujourd’hui totalement mérité.

À voir aussi : Antoine Joubert présente la Mercury Marauder 2003

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