Plymouth Barracuda 1964-66 : victime de la Mustang
Plymouth avait fait ses études de marché. Elle arrivait la première, le 1er avril 1964, dans le segment des autos destinées aux jeunes et comptait bien en profiter. Et puis 16 jours plus tard… patatras!
Le début des années 60 n’est pas une période facile pour Plymouth (et pour Chrysler en général). La marque a connu d’importants problèmes de fiabilité et le millésime 1962 s’est avéré un désastre (à cause de mauvaises décisions de la direction). Parmi les bonnes nouvelles, il y a pourtant la Valiant. Entre les 3 compactes lancées en 1960 (avec les Ford Falcon et Chevrolet Corvair), elle est la moins populaire mais Plymouth écoule tout de même 196 252 exemplaires en 1960, 145 039 en 1961 et 109 256 en 1962. Cette relative désaffection est probablement due à un physique… original (lire tarabiscoté!). Heureusement, cela change pour la génération du millésime 1963. Les lignes sont plus classiques et les ventes remontent à 238 091 exemplaires, se permettant de coller de près les Falcon et Corvair, alors en perte de vitesse. Et cela tombe bien, car Plymouth a quelque chose d’autre qui s’en vient.
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Une armoire à glace
L’histoire de la Barracuda commence avec des dessins réalisés par le designer Irv Ritchie au studio Plymouth. L’idée d’une large vitre arrière incurvée avait déjà été explorée dès 1959 lors du développement de la première génération de Valiant mais rien n’était allé plus loin. Les sketches de Ritchie plaisent à la direction, notamment au chef de produit Joe Strum. Celui-ci a observé l’explosion démographique d’après-guerre (le fameux baby-boom) et comprend qu’une toute nouvelle génération arrivait ou allait arriver sur le marché et pense qu’il serait bon d’offrir des véhicules différents de ceux de leurs parents. Lee Iacocca, chez Ford, a fait la même observation et est parvenu aux mêmes conclusions. Nous y reviendrons…
John Samsen est adjoint à Ritchie pour finaliser le design. C’est lui qui ajoute le pilier inversé et dessine la bande chromée sous la vitre arrière pour cacher habilement les charnières de coffre apparentes. La fabrication de la fameuse vitre est confiée à Pittsburgh Plate Glass (PPG) mais la compagnie doit retoucher le design afin de pouvoir la produire en série, au grand dam des designers. En somme, il s’agit d’un morceau de verre de 1,34 mètre carré, le plus grand monté sur une auto américaine à l’époque. Si la partie avant est presque intégralement reprise de la Valiant (à part la calandre, plus expressive), le châssis (de construction monocoque) est renforcé dans sa partie arrière, en avant et en arrière de la vaste surface transparente.
Il reste un dernier problème à régler : trouver un nom pour ce nouveau produit. Au départ, la direction penche fortement vers Panda (???) puis choisira finalement Barracuda, d’après une liste de noms potentiels fournie par John Samsen. Le lancement est prévu pour le 1er avril 1964.
Un VUS avant l’heure!
Une sportive? Une utilitaire? Initialement, Plymouth semble ne pas bien savoir. Il faut dire que la Barracuda offre de nombreux aspects pratiques. En plus d’un coffre de 161 litres, les occupants bénéficient aussi d’un volume de chargement derrière les places arrière de 238 litres. En outre, le panneau de séparation avec le coffre peut s’abaisser et la banquette se rabattre, créant un plancher plat de 7 pieds (permettant de charger des planches de bois ou de surf) et un volume total utile de 660 litres. Dans la documentation, Plymouth vante quasiment davantage la capacité de faire « des siestes impromptues » que les performances!
Mécaniquement parlant, on est dans une Valiant : empattement de 106 pouces (2,69 mètres), suspension à barres de torsion à l’avant et essieu rigide sur ressorts à lames à l’arrière, direction à recirculation de billes et 4 freins à tambour. Trois moteurs sont initialement au catalogue : deux 6 cylindres en ligne de 170 (2,8 litres, 101 chevaux) et 225 pouces cubes (3,7 litres, 145 chevaux) et le nouveau V8 de la série LA (qui connaîtra une longue carrière jusqu’en 2003) de 273 pc (4,5 litres, 180 chevaux). Trois boîtes de vitesses sont disponibles : manuelle à trois rapports avec levier à la colonne de série, automatique à trois rapports avec boutons poussoirs optionnelle pour tous les moteurs et manuelle à 4 rapports avec levier au plancher et tringlerie Hurst optionnelle pour les deux plus gros moteurs.
La planche de bord est directement reprise de la Valiant Signet 200. Parmi les équipements en option, on retrouve un différentiel à glissement limité, direction et freins assistés, air conditionné et radio AM. La Barracuda offre un ensemble attirant à un prix contenu : 2 365 USD pour la 6 cylindres et 2 496 USD pour la V8 (respectivement 2 897 et 3 029 $ au Canada). À la fin d’un millésime tronqué, Plymouth a réussi à en produire 23 443 (2 647 6 cylindres et 20 796 V8), ce qui est plutôt bien. Mais…
Mais sur la même période, Ford a réalisé l’exploit de vendre 126 538 Mustang. Cette dernière a été présentée le 17 avril 1964, soit exactement 16 jours après la Barracuda. Que s’est-il passé? Plymouth a commis l’erreur de sortir une auto trop proche de la Valiant. Au lancement, elle se nomme d’ailleurs Valiant Barracuda (au Canada, les Valiant sont une marque à part et les Barracuda sont distribuées indistinctement dans le réseau Dodge ou Plymouth). Est-ce que la Mustang se serait aussi bien vendue si elle s’était appelée Falcon Mustang? Car cette dernière est bel et bien largement basée sur une plate-forme de Falcon mais tout ce qui est visible est différent. Impossible de faire le lien avec l’auto économique de « mon onc’ ». La Mustang était bien moins pratique que la Barracuda mais elle était plus cool. De plus, Ford a tout de suite proposé une version cabriolet et offrait une plus vaste gamme d’options. Des fois (souvent?), cela ne suffit pas d’arriver le premier sur le marché. Et ça ne va pas s’arranger par la suite…
Domination totale
Le millésime 1965 amène son lot de changements : le nom Valiant disparaît, les V8 ont droit à de plus gros tambours de frein, des bandes décoratives et des freins à disque sont en option (ces derniers installés en concession), le chauffage vient de série et le 6-cylindres 170 pc de base est retiré du catalogue (pas au Canada). Trois nouveautés marquent particulièrement l’attention. Une inédite version du V8 273 pc est disponible. Baptisé « Commando », il génère 235 chevaux grâce à un carburateur Carter AFB 4 corps, de nouveaux arbres à cames et des composants internes renforcés. Une suspension Rallye, comprenant des barres de torsion plus épaisses, une lame supplémentaire à l’arrière et une barre antiroulis, est également proposée. Afin d’adresser les critiques d’un certain manque de sportivité, Plymouth présenta la version « Formula S » qui combine le V8 Commando, la suspension Rallye, des roues de 14 pouces, des amortisseurs plus fermes, un compte-tours et des enjoliveurs sport. Selon la presse de l’époque, il s’agit d’un ensemble tout à fait désirable.
Par contre, Ford n’a pas ménagé ses efforts. Pour le millésime 1965, le constructeur a produit la quantité incroyable de 559 451 Mustang. En comparaison, Plymouth a fabriqué 64 596 Barracuda. La marque à l’ovale bleu s’impose en force!
Si la technique a bien évolué en 1965, c’est l’esthétique qui change en priorité en 1966. La calandre est revue et incorpore deux grilles séparées avec un motif à carreaux alors que les phares sont complètement intégrés et que les clignotants sont déplacés vers le pare-chocs. Le retour en épingle de la ligne de caractère sur les ailes avant est supprimé tandis que la ligne de caisse, qui était jusque-là limitée entre les roues, est étendue jusqu’aux pare-chocs. À l’arrière, le motif rond des feux est remplacé par un motif rectangulaire et le pare-chocs est élargi. Un emblème spécifique de barracuda est aussi ajouté à l’avant et à l’arrière, probablement une leçon apprise de la Mustang. Celui-ci a été dessiné par Milt Antonick. Un nouveau toit vinyle (en blanc ou en noir) est disponible en option. À l’intérieur, le combiné à instruments est revu et la console centrale est allongée. Peu de changements mécaniques donc : le 6 cylindres n’a plus droit à la boîte manuelle 4 rapports et le V8 Commando ne peut plus recevoir la boîte manuelle 3 rapports, alors que les ratios des rapports sont modifiés et que les freins à disque optionnels sont dorénavant installés en usine.
Rien n’y fait : l’enthousiasme du public pour la Barracuda retombe (38 029 exemplaires) mais pas pour la Mustang (607 568 exemplaires). Pire encore, Chrysler sait que GM va lancer des concurrentes directes au cheval de Ford pour le millésime 1967 (Chevrolet Camaro et Pontiac Firebird). Plymouth a appris sa leçon (fini le côté pratique) et s’apprête à introduire, aussi pour 1967, une nouvelle Barracuda avec cette fois-ci des lignes exclusives et une version cabriolet. Mais ceci est une autre histoire…