2 600km en Smart au Cercle polaire, c'est pas si tant pire le calvaire!
Le projet est capoté en soi, Smart/pas Smart. Rejoindre Inuvik est déjà tout un exploit hivernal pour les gros pick-ups et 4x4 de ce monde. Imaginez maintenant en Smart... D'ailleurs, tous ceux à qui nous annonçons notre intention de conduire les petites voitures sur la seule autoroute du Canada à traverser le Cercle arctique nous éclatent d'abord de rire en plein visage. Puis, voyant que nous sommes sérieux, ils nous traitent de fous... Ça promet!
Le périple Smart Winter Expedition organisé par Mercedes Canada compte trois étapes: de Kelowna, B.C. jusqu'à Whitehorse au Yukon, puis une (folle!) virée à Inuvik au 68e parallèle, avant de rentrer à Vancouver tout juste à temps pour le début des Jeux olympiques. Chanceuse comme je suis, j'hérite de la 2e et plus intense des étapes, celle qui nous fera rouler au nord du Cercle polaire. Yé!
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Notre convoi composé de sept Smart, d'une douzaine de journalistes et d'une escouade de sécurité/secours roulera d'abord 530 kilomètres sur l'autoroute du Klondike jusqu'à Dawson, aux frontières de l'Alaska. La petite ville où résident à peine 1500 habitants a été, à la fin des années 1890, le théâtre d'une bien vaine Ruée vers l'or. Elle nous apparaîtra bien tranquille, en cette fin de janvier 2010...
Le second jour, et uniquement si Mère Nature le veut, nous emprunterons l'autoroute Dempster pour rejoindre Inuvik, quelque 775 km plus haut dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous nous trouverons alors à moins d'une centaine de kilomètres de l'Océan arctique.
Les deux jours suivants, nous referons le chemin en sens inverse, pour un grand total de quatre journées passées sans onde cellulaire, sans radio satellite et sans aucune autre connectivité que celle de nos quatre pneumatiques sur les chemins de neige et de glace.
Un mot sur la Dempster : cette autoroute canadienne qui monte le plus au nord accueille, l'été, des touristes en mal de débusquer la nature la plus sauvage de toute l'Amérique du Nord qui soit. Sauvage est le bon mot: si le Québec compte 4,8 habitants au kilomètre carré (et l'Ontario, 11), les territoires nordiques canadiens en comptent... 0,06. La Smart? J'aurais pensé qu'on lui modifierait quelques petites choses ici et là afin de l'adapter aux conditions extrêmes que nous ne manquerons pas d'affronter. Que non: la voiture reste telle qu'on la connaît. Tout au plus lui a-t-on donné à boire du liquide lave-glace -49 degrés et, à chausser, de sapré bons pneus d'hiver Continental. J'ai bien hâte de voir comment la petite urbaine se débrouillera dans l'immensité blanche du presque Pôle Nord. Une chose est sûre, on n'aura pas froid: les versions qui nous sont décernées profitent des sièges chauffants...
JOUR 1: À 120km/h sur la glace, y'en a pas de problème!
Le mot d'ordre, en cette première journée de périple vers le Cercle polaire, est: Don't hit the brakes, Jack! (À ce sujet, lisez le compte-rendu de la première étape, livré par mon collègue Sylvain Raymond.) En effet, cette belle autoroute du Klondike sur laquelle nous roulons aujourd'hui est, comme qui diraient les chroniqueurs de la circulation, "partiellement glacée". Si on m'avait dit que je ferais rouler une Smart à 120km/h sur une patinoire, j'y aurais peut-être pensé deux fois avant d'accepter pareille invitation...
Avant de quitter notre hôtel de Whitehorse tôt ce matin, nous avons réussi notre premier grand miracle du voyage: faire tenir derrière nos sièges les valises, gros sacs et mallettes d'ordinateur qui composent notre bataclan. Bon, vrai que ça ferme juste, mais ça ferme et c'est ce qui compte.
Les 530 kilomètres jusqu'à la petite ville de Dawson, à la frontière de l'Alaska, nous les effectuons à une vitesse assez diligente merci: jusqu'à 120km/h sur le pavé glacé. Les premiers tours de roue sont incertains, mais on s'y fait rapidement. Et vroum sur cet immense ruban soit enneigé, soit glacé, le volant fermement empoigné et les yeux qui scannent la route, à l'affut d'un caribou à qui lui prendrait l'envie de traverser devant. Tout au plus lève-t-on le pied au passage des quelques camions transportant des billots de bois et qui laissent, dans leur sillage, une aveuglante poudrerie blanche.
La Smart aime le Nord... à date
Étonnement, malgré sa nature de citadine, la Smart garde le cap. Il faut dire qu'avec le poids de nos bagages, la petite voiture est bien assise sur ses roues motrices arrière. Aussi, pardonnez le cliché mais c'est vrai: la direction est d'une belle précision et elle nous mène là où on la pointe. Le freinage? Allez savoir! Car ici, il n'est pas question d'appuyer sur la pédale des freins, sinon c'est le champ assuré. Pour ralentir, nous utilisons plutôt les commandes manuelles (optionnelles) des vitesses qui se trouvent au volant. Ces dernières sont également fort pratiques pour faire révolutionner le moteur en montée et tirer un peu plus de puissance du petit trois cylindres de 70 chevaux. Pour notre plus grand bonheur, nos petites roues (chaussées avec du Continental d'hiver) sont moins malmenées par les sillons du sol que ne le sont les plus gros pneumatiques des véhicules de sécurité.
Bref, jusqu'à date, la Smart aime le Grand Nord - et nous aussi, par conséquent.
C'est vers 15h30 que notre convoi entre dans Dawson. Les quelques rues bordées de bâtiments rappelant le Far West sont tout à fait désertes, au point où nous les traversons sans même regarder des deux côtés. "C'est comme ça que les Touristes se font tuer, ici," nous lance-t-on... Le moment fort est sans conteste ces quelques instants que nous passons à... rouler sur la rivière Yukon. Une avenue y a été aménagée, tel un pont de glace, et on s'en donne à coeur joie dans des dérapages pleins d'allégresse.
Demain, nous tenterons d'emprunter la mythique Dempster. Ces derniers jours, l'autoroute a été fermée à la circulation en raison d'un blizzard plus au nord, mais la tempête s'est enfin calmée et les autorités devraient nous y laisser passer. Un grand trajet nous attend: 780 kilomètres. Nous nous préparons à une journée de 12 heures de route et nous commençons à comprendre pourquoi les gens, ici aussi, nous traitent de fous. Au Dawson City Museum, la préposée à l'accueil a même tenu mordicus à nous rappeler, immenses cartes géographiques à l'appui, que c'était bien loin, Inuvik...
JOUR 2: Nos Smart le traversent, le Cercle Arctique!
Nos Smart - et nous à leur bord, évidemment! - le traversent finalement, le Cercle arctique. Dame Nature a été assez conciliante pour nous laisser enfiler l'autoroute Dempster jusqu'au bout. Et après 11 longues heures et quelques sorties de route, nous sommes entrés dans Inuvik par la porte d'en arrière: c'est-à-dire par la route de glace aménagée à même le delta MacKenzie.
Avouez, ce n'est pas tous les jours qu'on peut se targuer de conduire sur une rivière. Mais l'Arctique étant ce qu'il est, nous avons aujourd'hui plusieurs occasions de traverser des ponts de glace. Il faut voir ce convoi de sept Smart poser leurs pneumatiques sur la large bande glacée des cours d'eau nichée entre les grandes montagnes blanches et désertiques. C'est carrément irréel.
D'ailleurs, ce périple aux confins de l'Océan Arctique est irréel en lui-même. Par exemple, vers 9h15 ce matin, nous assistons au plus beau spectacle que la Nature puisse offrir: alors que la pleine lune s'élève au-dessus des pics neigeux qui bordent l'ouest, le soleil fait de même au-dessus des montagnes à l'est. Jamais nos photos ne rendront ce que nos yeux ont pu admirer là. Et si la lune n'était pas là pour nous éblouir, j'aurais franchement cru qu'on était en train d'y rouler, sur cette lune, tellement le paysage est loin de tout ce que l'on peut imaginer.
La Dempster, complétée en 1979 et qui, depuis, relie Inuvik au reste du réseau routier canadien, n'est pas une route pour les fanfarons. D'ailleurs, nos organisateurs l'avaient prédit: cette portion du voyage est la plus exigeante. Sorte de très large chemin aménagé sur les sentiers autrefois empruntés par les équipages de traîneaux à chien, l'autoroute totalise 747 kilomètres jusqu'à Inuvik et traverse la taïga, des cols de montagne venteux et plusieurs rivières. Sa surface de gravier est travaillée par des niveleuses géantes qui lui insèrent des sillons, question de mieux faire adhérer les pneumatiques.
Quelques 360 degrés qui font peur
L'un des grands défis, pour nous conducteurs, est de ne pas trop rouler sur les flancs de la route. La neige compactée y kidnappe traîtreusement les roues, ce qui entraîne alors la voiture dans une série de 360 degrés incontrôlables. Quelques Smart l'ont appris à leurs dépens et pour résumer ces sorties de route sans trop briser d'orgueils masculins, disons simplement que le visage des rescapés étaient pas mal blancs et leurs genoux, pas mal mous...
L'autre grand défi est la visibilité: toujours réduite, elle devient tout à coup, sous la force du vent, complètement nulle. Jamais plus je n'entendrai un bulletin de circulation parler de "visibilité réduite" sans repenser à ces kilomètres parcourus au nord du Cercle polaire, alors que nous tentons de conserver une vitesse moyenne de 100km/h. Tâche guère facile, quand le vent fait s'élever la neige des congénères qui bordent notre trajet et que l'on se perd dans le brouillard blanc laissé par la Smart qui roule devant. On ne distingue alors plus rien, ni de la route, ni du ciel - au demeurant tout aussi blanc - et l'impression d'être seuls au monde est aussi saisissante que... tout à fait véridique.
En effet, affirmer que la circulation est fluide sur la Dempster est un euphémisme. Une petite devinette pour vous: à votre avis, combien de véhicules avons-nous croisé sur une distance de 200km? Un seul. Nous n'avons croisé qu'un seul véhicule pendant plus de deux heures de route! De voir nos Smart ainsi galoper sur l'autoroute glacée, on se dit cependant que ces petites voitures peuvent très bien affronter l'hiver québécois - bien qu'elles n'aiment pas trop la neige épaisse, s'y retrouvant vite coincées. Non plus, leurs éléments suspenseurs n'apprécient pas les cahots gelés mais avec surprise, et malgré tous ces kilomètres qui défilent sous la calandre, le petit habitacle nous héberge confortablement.
Envers et contre tous, on franchit le 66e parallèle
Le moment fort de la journée reste cet arrêt au 403e kilomètre de la Dempster, point qui marque l'entrée du Cercle polaire. La simplicité de l'endroit étonne: une affiche de bois, une table de pique-nique et un stationnement désert, soudain envahi par sept Smart et leurs véhicules de sécurité. Pas de démarcation physique sur le terrain, uniquement des montagnes et des arbres. Et de la neige. Et du vent. À perte de vue. Magnifique.
En traversant ce 66e parallèle, nous pénétrons dans la zone la plus au nord de la planète où l'on compte annuellement au moins une pleine journée sans lumière (30 jours par hiver à Inuvik, principalement en décembre) et une autre pleine journée sans que le soleil ne se couche jamais (56 jours sans nuit par été à Inuvik).
Curieusement, le froid au Cercle arctique n'est pas aussi craquant qu'escompté. Tout au plus notre Smart a-t-elle enregistré un minimum de -23 degrés Celsius. Et -23 degrés secs, c'est nettement plus confortable que -10 degrés humides. Certes, ça donne du fil à retordre à nos portières, qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se refermer. Mais c'est là le seul problème que rencontrent nos voitures, outre quelques pare-brise étoilés par le gravier. Même les Smart qui ont malencontreusement visité des bancs de neige d'un peu trop près s'en tirent sans une égratignure, sauf un pare-choc amoché. Ça en dit long sur leur solidité.
Enfin, la Dempster rejoint Inuvik. Notre odomètre indique 1300 kilomètres pile entre notre point de départ à Whitehorse et cette localité de 3500 habitants du 68e parallèle. Inuvik étonne par sa relative grande taille. On y compte une grande école en construction, un hôpital, plusieurs hôtels, un "North Mart" (en lieu et place d'un Walmart) et, évidemment, la petite église toute blanche en forme d'Igloo (1958) qui fait sa renommée.
Parce que le ciel est couvert, nous n'apercevons aucune des aurores boréales que l'on dit si magistrales, ici. De fait, nous ne voyons pas grand-chose d'Inuvik. Nous n'avons qu'une courte nuit à passer dans ce bled érigé à un jet de pierre de l'Océan Arctique. Avoir eu plus de temps - et d'énergie! - nous aurions pu pousser jusqu'à Tuktoyaktuk, rejoignable seulement l'hiver par une route de glace aménagée à même la MacKenzie gelée.
Mais le buffet et les oreillers de l'hôtel MacKenzie nous interpellent davantage - d'autant plus qu'il nous faut reprendre la route dès 7h demain matin, question de rentrer à Dawson avant minuit. Une autre grande journée de route nous attend au Cercle polaire!