Vous souvenez-vous de… l’Imperial 1981-83?
Elle avait un nom prestigieux, un parrain prestigieux, des équipements prestigieux. L’Imperial nouvelle des années 80 devait aider à renflouer les coffres de Chrysler. Finalement, elle fut un gouffre financier.
La dénomination « Imperial » apparaît pour la première fois chez Chrysler en 1926. Elle représente le sommet de la gamme et va garder ce statut tout au long de sa carrière. En 1955, et parce que c’est à la mode à l’époque, « Imperial » devient une marque à part entière (Ford vient de faire la même chose avec « Continental »).
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Bien que relativement proches des Chrysler, les Imperial ont leurs châssis, leurs carrosseries, leurs intérieurs et sont construites dans une usine séparée. Les choses changent en 1969. Toujours marque distincte, Imperial reprend maintenant les carrosseries de Chrysler et se singularise essentiellement par plus de chrome et plus d’équipement. Avec des niveaux de ventes qui n’ont jamais réussi à inquiéter Lincoln ou Cadillac, Imperial se retire à la fin de 1975 après n’avoir produit que 8 830 exemplaires. Chrysler a (déjà) d’autres chats à fouetter…
C’est qui, le père?
L’histoire va comme ceci : lorsque Lee Iacocca est arrivé à la tête de Chrysler, il a immédiatement lancé un programme pour développer une concurrente aux très rentables Lincoln Mark V et Cadillac Eldorado et doter Chrysler d’un nouveau modèle haut de gamme. Mais voilà, il y a un mais… Iacocca lui-même clame n’avoir eu aucun impact dans le lancement du programme. Évidemment, personne ne prendra la responsabilité d’un échec, direz-vous. Seulement, le calendrier des évènements semble lui donner raison. Revenons en arrière.
Le premier choc pétrolier d’octobre 1973 a mis les constructeurs d’automobiles de luxe dans une situation difficile. Progressivement, le souvenir de cette douloureuse période s’estompe et les ventes de Cadillac et Lincoln repartent dès 1976 et établissent de nouveaux records pour 1977. Problème, Chrysler n’a plus rien à leur opposer puisqu’Imperial a justement disparu, en grande partie mais pas seulement, à cause de la crise du pétrole. En 1976 est prise la décision d’adjoindre une version huppée au programme « J-Body », qui aboutira aux Chrysler Cordoba et Dodge Mirada de 1980. Lancée en 1975, la Cordoba (et son homologue Dodge Charger SE) avait été un succès surprise pour Chrysler. Dès janvier 1977, le designer Steven Bollinger réalise des esquisses qui sont déjà très proches du futur modèle de série, qui doit alors s’appeler Chrysler LaScala. On y retrouve la ligne de brisure qui souligne le coffre, ce qui permet de faire taire la rumeur que Chrysler aurait piqué cette idée à Cadillac et sa Seville de deuxième génération, lancée en 1980 (Lincoln aura aussi une démarche similaire pour sa Continental 1982). Il semble simplement que tous soient allés chercher leur inspiration du côté des Rolls des années 50…
Maintenant, comment expliquer que Iacocca puisse avoir lancé ce projet alors qu’il est à ce moment président de Ford, qu’il sera remercié par Henry Ford lui-même le 13 juillet 1978 et qu’il n’entrera chez Chrysler que le 2 novembre 1978? Il est vrai qu’une auto comme l’Imperial ressemble beaucoup à l’approche de ce dernier en matière de produit (la Lincoln Continental Mark III est son idée). En fait, Iacocca savait qu’il fallait tout miser sur le programme des K-Cars à traction et parler d’économie d’énergie s’il voulait obtenir de l’aide du gouvernement américain. Selon lui, il était juste trop tard pour arrêter le programme Imperial. Il l’influencera cependant en en changeant le nom (Imperial possède une histoire, LaScala non), en exigeant une qualité comme jamais avant sur un produit Chrysler, et en impliquant son ami personnel Frank Sinatra. Nous y reviendrons.
Le bon moment?
La Chrysler Cordoba de deuxième génération et la Dodge Mirada arrivent pour le millésime 1980 sur un marché déprimé, à cause du second choc pétrolier. Elles reposent sur la plate-forme J ou « J-Body », largement dérivée de la plate-forme M (Chrysler LeBaron, Dodge Diplomat), elle-même extrêmement proche de la plate-forme F, introduite en 1976 avec Dodge Aspen et Plymouth Volare. Ce qui permettra d’ailleurs à quelques mauvaises langues de dire que l’Imperial était « la Volare la plus chère de l’histoire ». On retrouve donc des barres de torsion transversales à l’avant et un essieu rigide monté sur des ressorts à lames à l’arrière. Comme les berlines M-Body, elles ont un empattement de 112,7 pouces. L’accueil est frileux et, par rapport à 1979, les ventes de Cordoba baissent de 39%. Ça n’augure rien de bon…
C’est le 2 octobre 1980 que les Imperial millésime 1981 arrivent en concession avec le slogan « It’s time for Imperial » ou « L’Imperial… il est grand temps! » au Québec. Attention, pas les Chrysler Imperial, le nom Chrysler n’est jamais mentionné dans la documentation ou les publicités. Apparemment, on essaye encore de faire croire qu’il s’agit d’une division à part entière. Mais l’Imperial n’est pas qu’une Cordoba recarrossée et se distingue par de nombreux éléments : moteur à injection électronique, équipement ultracomplet, tableau de bord électronique, ajout massif de matériau insonorisant , contrôle de qualité exhaustif… Même la carrosserie utilise de l’acier plus épais!
Ça cale!
Le très connu, très classique, très solide 318 pc (5,2 litres) de la série LA, introduit en 1964, bénéficie d’une exclusive injection électronique sur l’Imperial qui fait passer la puissance à 140 chevaux et le couple à 240 lb-pi contre 130 chevaux et 230 lb-pi dans la Cordoba. Développée par la division électronique de Chrysler de Huntsville, en Alabama (la même qui a travaillé sur les projets Apollo pour la NASA), elle utilise une technologie à flux continu. Ce procédé s’avérera capricieux à froid et l’électronique se montrera très sensible à l’environnement électromagnétique (des lignes à haute tension par exemple) ainsi qu’aux moindres fuites de pression. Résultat, les acheteurs feront régulièrement face à des impossibilités de démarrer ou à des calages brutaux. Chrysler, s’apercevant que les gens qui , choisira de sortir un ensemble de conversion à carburateur et presque toutes les Imperial en seront dotées sous garantie. En plus d’installer le carburateur, il fallait changer le réservoir, la ligne d’échappement et des modules d’instrumentation. L’ensemble valait 3 500 dollars US et demandait 50 heures de main-d’œuvre. C’est pour cela qu’il est dit que chaque Imperial aurait coûté à Chrysler en moyenne 10 000 USD de frais de garantie! La boîte de vitesses était par contre la très solide TorqueFlite à 3 rapports.
Toute garnie
Qui dit voiture de luxe, dit équipement complet. Facturée 23 544 $ au Canada (contre 8 940 pour une Cordoba de base), l’Imperial vient entièrement équipée et ne propose qu’une option, le toit ouvrant électrique. Ainsi, l’acheteur bénéficie de logos Pentastar en cristal provenant de chez Cartier (sur la calandre, le volant et les panneaux de porte), d’un intérieur Mark Cross, de sièges / vitres / rétroviseurs électriques, d’un ouvre-porte de garage, d’une colonne de direction inclinable, du régulateur de vitesse, de la climatisation (manuelle uniquement alors que la concurrence est déjà à l’automatique). De plus, il peut choisir sans coût entre 4 systèmes audio (classique, 8 pistes, à cassette ou avec la CB ), l’intérieur en cuir (7 couleurs) ou en tissu Yorkshire (6 couleurs), des enjoliveurs à rayons ou des roues en aluminium. Enfin, chaque voiture vient avec un ensemble cadeau Mark Cross exclusif comprenant un parapluie, un porte-document et un porte-clés en cuir et une cassette de musique. Il ne faut bien sûr pas oublier le tableau de bord électronique, une première chez Chrysler. Développé lui aussi à Huntsville, il intègre un ordinateur de bord à 8 fonctions. Tout cet équipement, ainsi que l’ajout massif de matériaux insonorisants, fait passer le poids à 1 800 kilos (contre 1 552 pour une Cordoba V8). Mais, comme va s’en apercevoir la presse de l’époque, les freins (disques à l’avant et tambours à l’arrière) restent ceux de la Cordoba et s’avéreront un peu justes!
Quitte ou double
Là où Chrysler ne va pas mégoter, c’est sur le contrôle de qualité. L’Imperial est fabriquée à l’usine de Windsor, aux côtés des Cordoba et Mirada. Elle bénéficie par contre d’attentions spéciales dès la construction (meilleurs composants et matériaux). Puis, chaque auto est testée sur un circuit de 8,8 kilomètres avant de subir de multiples inspections (étanchéité, systèmes électroniques, ajustements des trains roulants, tests moteurs, peinture…). Avant de quitter l’usine, chaque véhicule profite d’un dernier polissage. Pour ce faire, Chrysler a engagé plus de 100 inspecteurs en qualité. Sûre de son coup, la compagnie doublera sa garantie en la portant à deux ans ou 50 000 kilomètres (30 000 miles aux É.-U.) … une grosse erreur, comme nous l’avons vu précédemment! Au lancement, Chrysler précise qu’il ne produira pas plus de 25 000 exemplaires par année, quelle que soit la demande, afin de maintenir l’exclusivité du modèle. En fait, c’est l’usine de Windsor qui ne pouvait de toute façon pas en fabriquer davantage.
Le président du conseil
Lee Iacocca parviendra à convaincre son ami Frank Sinatra d’assurer la promotion de l’Imperial. Chacun appelait l’autre « Le président du conseil » (Chairman of the board). Une publicité portant ce titre et comprenant un entretien entre les deux hommes sera d’ailleurs publiée. Frank en chantera le refrain et apparaîtra dans les messages publicitaires. Pour célébrer cette association, un ensemble optionnel spécial est proposé. Il comprend des logos spéciaux « fs » à l’extérieur, une peinture Cristal bleu jour (pour aller avec la couleur des yeux de Frank, précise la publicité) avec un intérieur bleu (cuir ou tissu), une console centrale en bois renfermant 16 cassettes de Sinatra (les albums ayant été choisis personnellement par le chanteur) ainsi qu’un sac à main en cuir personnalisé de chez Mark Cross. Il se dit que devant la situation financière « délicate » de Chrysler, Warner Brothers Record, propriétaire des droits et fabricant des cassettes, aurait exigé d’être payé d’avance! En échange de ses services, Sinatra recevra l’une des premières Imperial sorties de la chaîne. Il sera lui aussi l’une des malheureuses victimes de la capricieuse injection électronique et exprimera son déplaisir à son ami Lee.
Chaque fin est un nouveau commencement
Il existe plusieurs chiffres de production concernant l’Imperial, mais nous allons utiliser ceux fournis directement par Chrysler dans un courrier émis le 9 juin 1987 par le service des relations à la clientèle. Le millésime 1981 se solde par une production de 8 113 exemplaires (7 370 pour les États-Unis et 743 pour le Canada). L’option « fs » n’a trouvé que 147 preneurs aux États-Unis et 21 au Canada. En comparaison, la Cordoba n’a réalisé que 20 293 ventes.
Peu de changements sont apportés pour 1982 (intérieur en velours Kimberley, radios à réglage électronique, disparition du toit ouvrant), mais le prix de base passe à 26 936 dollars canadiens. Rapidement, les concessionnaires sont obligés de pratiquer des rabais pour que les autos sortent de leurs salles d’exposition. L’année se termine avec 2 717 exemplaires produits (2 540 pour les États-Unis et 177 pour le Canada). Frank Sinatra séduit quelques acheteurs de plus : 305 aux États-Unis et 43 au Canada. Les ventes de Cordoba continuent de baisser : 14 898 exemplaires.
Le millésime 1983 connaît lui aussi des changements mineurs : logo de calandre en plastique et non plus en cristal (apparemment, ils étaient très convoités par les voleurs), disparition de l’option « fs » et nouvelle suspension Touring. Les prix reviennent au niveau de 1981 (24 042 dollars canadiens), mais cela ne suffit pas à stimuler les clients : seuls 1 555 exemplaires sont produits (1 449 pour les États-Unis et 106 pour le Canada). La Cordoba ne fait guère mieux : 13 471 exemplaires.
C’est logiquement la fin pour des « J-Body », que le marché a clairement rejetés. Au total, l’Imperial aura été fabriquée à 12 385 exemplaires sur trois ans, soit à peine la moitié de l’objectif annuel de Chrysler. À ce moment, la compagnie a heureusement réussi à se refaire une santé grâce aux K-Cars et a pu payer ses emprunts fédéraux avec 7 ans d’avance. L’usine de Windsor est alors réoutillée pour produire ce qui deviendra l’un des véhicules les plus profitables de l’histoire de Chrysler : la T-115 alias les minifourgonnettes Dodge Caravan et Plymouth Voyager. Lee Iacocca retentera l’aventure Imperial en 1990 avec une berline sur base de K-Car allongée… avec toujours aussi peu de succès. Cette fois-ci, il était grand temps… que ça cesse!