GM Ecojet : Jay Leno et son concept à réaction
Disons que vous ayez une idée pour une nouvelle voiture. Vous faites quelques dessins sur un bout de papier. Et ensuite? Quand vous êtes Jay Leno, vous appelez General Motors… et ils vous répondent!
Tout le monde sait que Jay Leno aime les autos. Sa collection en compte plus de 180 et est l’une des plus belles et des plus éclectiques du monde. Il possède probablement le plus brillant assortiment de Duesenberg de la planète. Mais il ne se contente pas d’acheter des modèles déjà existants. Il réalise aussi, avec l’aide de son équipe de mécaniciens baptisée « Big dog garage », des véhicules sur mesure.
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On peut notamment penser à sa Buick 1955 avec un V8 de 620 chevaux, son Oldsmobile Toronado 1966 biturbo de plus de 1 000 chevaux (et convertie en propulsion) ou bien à sa Tank car à moteur de char d’assaut Patton M47 de 29,5 litres. Par ailleurs, Jay s’intéresse à tous types de motorisations (vapeur, charbon, électricité) et plus particulièrement les turbines.
Carnet d’adresses
En 1999, il devient le propriétaire du premier exemplaire de production de la MTT Y2K, une moto équipée d’une turbine Allison C18 de 350 chevaux. Les gaz d’échappement sont tellement chauds qu’une fois, Jay a fait fondre le pare-chocs d’une auto derrière lui! En 2009, il appelle Chrysler, alors en faillite, et se porte acquéreur de l’une des trois Chrysler Turbine encore en possession de la corporation (sur les neuf restantes) et devient ainsi l’un des deux seuls propriétaires privés au monde de ce modèle.
C’est justement en pensant à la Turbine vers 2004-2005 qu’il se met à rêver d’un véhicule moderne à réacteur. Après quelques esquisses sur des serviettes en papier, il contacte Ed Welburn, alors vice-président chargé du design chez GM, qui l’oriente vers Frank Saucedo, directeur du studio de design avancé en Californie. Ensemble, ils travaillent sur les lignes du futur bolide. Jay aime bien le concept Cadillac Cien de 2002, réalisé pour célébrer les 100 ans de Cadillac. Plusieurs semaines sont nécessaires au studio pour exécuter les dessins définitifs. La construction peut commencer.
Une Corvette à réacteur… ou presque!
L’Ecojet utilise de nombreux composants de Corvette. Le châssis est fourni par Alcoa et provient d’une C6 Z06 avec des pièces de renfort en aluminium et magnésium spécifiques. La carrosserie en fibre de carbone/kevlar est fabriquée par Metalcrafters, une compagnie californienne spécialisée dans la construction de prototypes pour l’industrie automobile depuis 1979.
La peinture est fournie par BASF. Alcoa s’est également chargée des roues. Chacune d’entre elles est usinée dans un bloc solide d’aluminium de 180 kilos. Les pneus sont du 255/35R20 à l’avant et du 305/30R22 à l’arrière. Les trains roulants sont aussi dérivés de ceux d’une C6 Z06 alors que les freins, après avoir été simplement en acier, sont des Brembo en carbone à 6 pistons, similaires à ceux de la C6 ZR1.
Le cœur de l’engin niche une turbine Honeywell LT-101 de 650 chevaux et 400 lb-pi (chiffres indiqués lors de la présentation) principalement utilisée dans des hélicoptères (Bell 222A, Eurocopter AS350) ou de petits avions. Elle est capable de tourner jusqu’à 40 000 tr/min. Son ralenti est à environ 60% de ce chiffre, ce qui implique quelques modifications dans la transmission de puissance par rapport à une auto normale.
En sortie de turbine, un réducteur (fabriqué par les mécaniciens de Jay) est installé pour abaisser le régime de rotation de 40 000 à approximativement 6 000 tr/min. Ensuite, une boîte automatique traditionnelle de Corvette C5 à 4 rapports, placée en dessous de la turbine, est utilisée mais avec le glissement du convertisseur de couple ajusté à 3 500 tr/min.
La planche de bord fait appel à quatre écrans : un pour les informations principales, un pour l’infodivertissement et deux pour la rétrovision (une caméra est montée de chaque côté). Les sièges ont une structure en fibre carbone et presque tout l’habitacle est fini en Alcantara. « Aucune vache n’a été tuée durant la fabrication de la voiture », précise Jay Leno.
L’ensemble de la construction et de la finition est assuré par le Big dog garage, dirigé par Bernard Juchli.
C’est bio, on vous dit!
L’Ecojet est présentée par Jay Leno (qui se déclare alors président du club More money than brains) au SEMA Show de Las Vegas à l’automne 2006. « Eco » parce que le biodiesel qu’elle abrite est encore vu à l’époque comme quelque chose d’écologique et « jet » parce que… vous comprenez. Ed Welburn en personne participe à la présentation. Toutefois, la voiture n’est pas encore roulante à ce moment-là et il faudra au total près de trois ans de travail pour arriver à ce que Jay se promène dans son auto en toute quiétude… enfin, il faut vite le dire car l’engin est assez bruyant et demande des casques audio pour que les passagers puissent discuter.
La procédure de démarrage est sensiblement plus complexe que de tourner une clé de contact. Elle est affichée sur l’écran central. Pour faciliter le démarrage, la turbine brûle du kérosène d’aviation JP-4. En conduite « normale », c’est du biodiesel B100 qui est utilisé (en théorie, une turbine peut brûler tout ce qui se consume avec de l’oxygène, comme de l’huile de friture ou de l’alcool par exemple). Puis, avant d’arrêter la voiture, il faut repasser au kérosène pour nettoyer les lignes d’alimentation afin d’éviter que le biodiesel ne les encrasse. Pour cela, il y a deux réservoirs séparés de 95 litres (25 gallons) chacun.
Au ralenti, l’Ecojet demande 8 à 9 gallons par heure (le L/100 ne veut rien dire puisqu’il s’agit d’un moteur d’hélicoptère), à 70 miles à l’heure, cela passe à 14 et à pleine charge, la consommation monte à 57 gallons par heure. Autant dire que les réservoirs risquent vite d’être siphonnés! La température des gaz d’échappement varie entre 425 degrés Celsius au ralenti et 760 degrés en charge, et ceux-ci sont évacués vers le haut (Jay a appris de ses démêlés avec la MTT Y2K!).
Une fois le développement terminé, Jay conduira l’Ecojet régulièrement. En 2016, pour son émission sur CNBC, Jay Leno’s garage, il y embarque le scientifique Neil DeGrasse Tyson afin de réaliser un essai à haute vitesse sur une piste d’aéroport. À 130 milles à l’heure (210 km/h), la vitre du côté conducteur s’envole. Jay réagit simplement en disant « Tiens, c’est arrivé » mais ne lève pas le pied et pousse l’engin jusqu’à 165 mph (265 km/h). Selon Jay, l’auto est en théorie capable d’atteindre 245 mph (395 km/h). Pas sûr qu’il soit tenté de s’y rendre après ce petit incident … Mais, comme il l’a dit lui-même, il a plus d’argent que de cerveau!