Concept BMW Turbo : retour vers le futur
Regardez bien la BMW Turbo. Quel âge lui donnez-vous? Perdu… Elle a 50 ans! Si la fonction d’un véhicule concept est de proposer une vision du futur, peu d’entre eux ont aussi bien réussi à lire l’avenir dans la boule de cristal.
Mille neuf cent soixante-douze est une grosse année pour la ville de Munich et pour l’une de ses compagnies phares : BMW. La métropole accueille les Jeux olympiques d’été du 26 août au 11 septembre. Quant à la marque bavaroise, elle s’apprête à finaliser son nouveau siège social et son musée (en construction depuis 1968 et qui seront inaugurés en mai 1973), vient d’établir sa nouvelle division de performance M au mois de mai et profite des Jeux pour présenter l’un des modèles les plus importants de son histoire : la Série 5 E12.
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Priorité à la sécurité
C’est à l’initiative de Bob Lutz, embauché chez BMW en décembre 1971, et du designer français Paul Bracq que la marque décidera de réaliser le premier véhicule concept de son histoire, afin de célébrer les Jeux de Munich. Bracq a été l’un des designers les plus influents des années 60 et 70. Il a travaillé pour Mercedes-Benz de 1957 à 1967, où il a, entre autres, dessiné les 600, SL à toit pagode, W108, les séries Heckflosse (W108, W109, W110, W111, W112) et Strich-Acht (W114, W115).
En 1967, il part chez le carrossier français Brissonneau et Lotz. Il y réalisera différents modèles de petite série (y compris pour BMW) ainsi que le prototype du train à grande vitesse TGV 001. En 1970, il est engagé par BMW comme directeur du design pour remplacer Wilhelm Hofmeister. Là, il pourra remodeler le style de la marque et la faire rentrer dans une ère moderne en signant les premières Série 5 (E12, 1972), Série 3 (E21, 1975), Série 6 (E24, 1976) et Série 7 (E23, 1977). En 1974, il partira travailler chez Peugeot en tant que responsable des intérieurs. Il concevra aussi plusieurs concepts pour ce fabricant avant de prendre sa retraite en 1996. Bracq est également un sculpteur et dessinateur reconnu.
Les délais sont courts : à peine six mois avant le début des Jeux. Heureusement, Bracq exécute les premiers dessins en une nuit. Ils sont très proches du véhicule final, les différences majeures étant le passage de roue arrière et la couleur. Il imagine un coupé à portes papillon avec des pare-chocs en plastique intégrés à la carrosserie et remplis de mousse pour absorber les impacts. Les fameux haricots, symbole de la marque, y sont incorporés et les phares sont escamotables. Le Français utilise une fine ligne noire qui fait tout le tour de l’auto pour modifier la perception de la ceinture de caisse et ainsi faire paraître la voiture encore plus basse (une technique qui sera utilisée plus tard sur la Ferrari F40).
Pour ce concept, la direction de BMW a une demande : imaginer « la voiture de sport la plus sûre jamais construite ». C’est pourquoi, outre la cage de sécurité intégrée et de la colonne de direction déformable à trois joints, la Turbo embarque de nombreuses technologies innovantes : moniteur de distance de freinage à radar, freins ABS, capteur d’accélération latérale, ceintures de sécurité reliées à l’allumage (l’auto ne peut pas être démarrée si les ceintures ne sont pas mises) et des pare-chocs montés sur vérins hydrauliques.
La plate-forme est un châssis profondément modifié de 2002 (produite de 1966 à 1977) avec le groupe propulseur placé en position centrale arrière. Le moteur est le M10 (lancé en 1962) dans sa version 2 litres auquel les ingénieurs ont greffé un turbo KKK BLD et une injection mécanique Schafer. Selon l’ajustement de la pression du turbo, il développe de 200 à 280 chevaux. Il est couplé à une boîte manuelle à 4 rapports Getrag alors qu’un différentiel à glissement limité ZF est aussi installé. BMW revendique des performances de haut niveau : 0 à 100 km/h en 6,6 s et une vitesse de pointe de 250 km/h, malgré un poids de 1 272 kilos.
L’intérieur est réalisé par Wolfgang Seehaus et Hans A. Muth. Il institue une tradition BMW pour de nombreuses années à venir (et introduite en série sur la E21 de 1975) : la console centrale inclinée vers le conducteur. L’instrumentation est complète et comprend un système d’analyse des fonctions de la voiture, le précurseur du « Centre de Contrôle » qui sera inauguré avec la Série 6.
Un bel héritage
Afin de respecter le calendrier, la construction du prototype est confiée au carrossier turinois Michelotti, qui a déjà travaillé avec BMW sur les Neue Klasse de 1962 et Série 02 de 1966. La voiture, code E25, est dévoilée à la presse le 23 août 1972, soit trois jours avant le début des Jeux. Mais la direction préfère mettre l’accent sur la Série 5. Alors, le public ne pourra la voir qu’à partir du 5 octobre, au Salon de l’auto de Paris. Il est largement séduit par le modèle qui est, à ce moment, dans une livrée rouge uniforme et n’a pas de couvre roues à l’arrière.
En septembre 1972, la marque décide de la construction d’un deuxième exemplaire, toujours par Michelotti. Il sera dédié, dans un premier temps, à de nombreux tests en soufflerie et sur route puis, dans un second temps, à faire le tour des salons internationaux. BMW ressort ce concept l’année suivante, au Salon de Francfort 1973, pour soutenir le lancement de la 2002 Turbo. Ce modèle embarque le même moteur M10 turbo mais il développe « seulement » 170 chevaux. Il bénéficie d’un ensemble d’autocollants qui feront scandale en Allemagne.
Le mot « Turbo » est placé à l’envers sur le pare-chocs avant afin de signifier à ceux qui regardent dans leur rétroviseur « Tasse-toi mon onc’! ». Seuls 1 672 exemplaires seront fabriqués. Le concept Turbo est alors dans une finition de rouge dégradé tirant sur le bordeaux (à la demande de Bob Lutz) et reçoit des caches sur les roues arrière. Ensuite, il continuera le tour des salons, notamment en Amérique, durant 1973 et 1974. Entre-temps, il aura reçu le titre de « Concept de l’année 1973 », décerné par la Revue automobile suisse.
Au-delà des différentes innovations qui se retrouveront sur des BMW de série, l’héritage le plus important de la Turbo est bien sûr la M1. Ce coupé, produit à 455 exemplaires de 1978 à 1981, laissera une trace indélébile chez les amateurs de la marque à l’hélice et obtiendra un joli palmarès en compétition. Et dire qu’au départ, la direction n’était pas très chaude à l’idée de réaliser un concept…