Les origines de la Chevrolet Corvette C4 ZR-1
Il y a des titres qui vous placent un homme. Dans le monde de l’auto, peu sont plus prestigieux que « ingénieur en chef de la Chevrolet Corvette »!
En près de 70 ans d’existence du modèle, seules quatre personnes ont occupé ce poste : Zora Arkus-Duntov (1955-1975), Dave McLellan (1975-1992), Dave Hill (1992-2006) et Tadge Juechter (2006-aujourd’hui). Nous allons parler de la Corvette ultime créée sous l’ère McLellan : la C4 ZR-1… et expliquer pourquoi elle ne s’est pas vendue.
- À lire aussi: Les origines de la Chevrolet Corvette
- À lire aussi: Corvette à moteur central : une idée qui ne date pas d'hier
Dave McLellan ne l’a pas eue facile. Parce que déjà remplacer un personnage plus grand que nature comme Duntov n’était pas une mince affaire, mais aussi parce qu’il a dû composer avec l’arrivée de normes antipollution contraignantes qui ont étouffé les performances de son bébé. Entré chez GM en 1959, il deviendra l’assistant de Duntov en 1974 avant de lui succéder lorsque celui-ci prendra sa retraite.
À ce moment, la Corvette vient de commencer une longue descente aux enfers en termes de puissance, comme toute l’industrie soit dit en passant.
Alors que la Corvette générait de 270 à 425 chevaux en 1970, elle n’en crachait plus que 185 en 1978. La tendance tourne enfin dans le bon sens en 1982 avec l’arrivée du V8 350 pc (5,7 litres) L83 et son injection Cross-Fire, livrant 200 chevaux. C’est McLellan qui assure le développement de la Corvette C4 de 1984, qui montre un retour en forme en matière de comportement routier. Il faut maintenant retrouver les chevaux perdus. C’est (en partie) chose faite dès 1985 avec le lancement du 350 pc L98. Ce bloc sera installé dans les Corvette jusqu’en 1991 et produira de 230 à 245 chevaux. Il ne reste plus qu’ à concevoir une « vraie » version de performance.
La filière anglaise
C’est ce que commence à faire McLellan dès 1985. Son équipe joue avec des V6 turbo (qui ne vont pas bien avec le châssis) ou des V8 biturbos (qui ne satisfont pas les normes de consommation). Est alors évoquée la piste high-tech, qui consisterait à installer de nouvelles culasses multisoupapes avec arbres à cames en tête (tandis que le Small Block Chevrolet utilise un arbre à cames central et des poussoirs de soupape depuis son introduction en 1955). Heureux hasard de circonstances, Lotus vient d’être rachetée en janvier 1986 et travaille sur son propre V8 pour le concept, et possiblement futur modèle de série, Etna. Tony Rudd, de Lotus, rencontre Roy Midgley, chargé du développement moteur pour Chevrolet, afin d’évaluer les options.
Quelques mois plus tard, Rudd présente ses conclusions : un tel assemblage sera limité à 350 chevaux. Si Chevrolet veut atteindre 400 chevaux, il faut concevoir un nouveau bloc. Malgré de nombreuses incertitudes sur ce projet, Lloyd Reuss, alors directeur général de Chevrolet, donnera son feu vert (il sera d’ailleurs un support inconditionnel de la Corvette dans des moments difficiles). Lotus a cependant une condition absolue : respecter l’entraxe des cylindres de 4,40 pouces, en vigueur depuis 1955, afin que les têtes puissent éventuellement être installées sur d’autres moteurs plus tard. Le bloc doit être aussi assez compact pour rentrer dans le châssis de la C4 et, bien sûr, satisfaire les normes de consommation.
Pour répondre à ce dernier point, Lotus élabore une stratégie innovante : chaque cylindre est doté de deux soupapes d’admission, une sur un profil de came qui privilégie la consommation et le couple, l’autre sur un profil de came qui favorise la puissance. Sous faible charge, seule la première soupape est activée. Sous forte charge, les deux sont activées simultanément. Chaque conduit d’admission à son propre injecteur. Ce qui fait que le bloc LT5, c’est son nom, embarque 16 injecteurs, dont 8 qui fonctionnent en permanence. Pour gérer tout cela, il faut un puissant calculateur qui, par chance, est déjà en développement chez Delco. Lotus conçoit aussi un système de refroidissement à double flot pour répondre à une gestion thermique différente des têtes et des cylindres. Le taux de compression est plus élevé : 11,0:1 contre 9,5:1 pour le L98. En mai 1987, soit près d’un an après le début de projet, Lotus a un moteur sur le dynamomètre. Mais un problème de lubrification dans les têtes va demander plus de temps et entraînera 6 mois de retard.
Simultanément, Roy Midgley travaille sur l’industrialisation du LT5. Impossible de le fabriquer sur les chaînes de production des V8 classiques. Midgley pense un premier temps à GM Diesel, plus habitué à de petites séries, puis se tourne finalement vers Mercury Marine, spécialiste de moteurs de bateaux qui possède une belle expérience en fonderie d’aluminium. Quant à l’équipe Corvette, elle développe le package de l’auto, qui comprendra de nouveaux pneus Goodyear (275/40ZR-17 à l’avant et 315/35ZR-17 à l’arrière, entraînant un élargissement de l’arrière de 3 pouces et de nouveaux panneaux de carrosserie), une nouvelle boîte manuelle 6 rapports fournie par ZF, une suspension ajustable Bilstein (code FX3) et des freins renforcés. Il restait à trouver un nom à l’ensemble.
Les origines d’un nom
En 1970, Chevrolet lance un groupe performance optionnel qui comprend le moteur LT1 prêt pour la piste (350 pc, poussoirs mécaniques, arbre à cames de performance, 370 chevaux), la boîte manuelle à 4 rapports M22 Rockcrusher, les freins, la suspension et le refroidissement renforcés et l’impossibilité d’installer une direction assistée, la climatisation, le dégivrage, la radio ou une alarme (pour réduire le poids et la charge sur le moteur, même si, curieusement, on pouvait installer cet ensemble sur des cabriolets).
Baptisé ZR1, il est très cher par rapport au prix de base d’une Corvette (968,25 $ US sur une voiture de 5 192 $), ce qui explique sa très faible diffusion : 25 exemplaires en 1970, 8 en 1971 et 20 en 1972. De retour dans les années 80, le nom apparaît adapté puisqu’il est basé autour d’un small block de performance. Seule différence, on ajoutera un tiret : ZR-1.
L’Europe tremble!
Le projet avance rapidement. Fin 1987, Mercury Marine construit son premier moteur sur sa chaîne d’assemblage, en Oklahoma. Lotus et Chevrolet se livrent à d’intenses séances de tests et tout se passe bien. En janvier 1989, les 20 premiers exemplaires de série sont fabriqués. Pas moins de 15 sont envoyés en Europe pour le Salon de Genève en mars 1989 puis pour les essais avec la presse, qui auront lieu dans le sud de la France, à Mireval, près de Montpellier, sur la piste de test de Goodyear.
L’accueil est enthousiaste! Il faut dire que les performances sont impressionnantes pour l’époque : 375 chevaux à 5 800 tr/min, 370 lb-pi à 5 600 tr/min, 0 à 100 km/h en 4,4 secondes, 290 km/h en vitesse de pointe, 0,94 g d’accélération latérale. On n’avait jamais vu ça : une bagnole américaine capable de tenir la dragée haute à des Porsche 911 Turbo, Lamborghini Countach ou Ferrari Testarossa… et pas seulement en ligne droite!
Pour enfoncer le clou, Chevrolet bat plusieurs records de vitesse en février 1990, à Stockton dans le Texas : celui des 24 heures (à 282,99 km/h de moyenne), celui des 500 miles (à 279,62 de moyenne) et celui des 5 000 km (à 282,72 km/h de moyenne), le tout avec un véhicule de série, simplement monté sur des pneus de course. Époustouflant!
Lorsque les autos arrivent finalement en concession au printemps 1990, l’excitation est palpable. Les premiers exemplaires sont parfois vendus avec d’importantes majorations de prix. Pourtant, la ZR-1 n’est pas donnée : 79 995 $ canadiens contre 47 525 $ pour un coupé L98. Malgré tout, Chevrolet espère en commercialiser entre 3 000 et 4 000 annuellement (de toute façon, la capacité de production de Mercury Marine est limitée à 18 moteurs par jour). Pour sa première année, la ZR-1 est effectivement écoulée à 3 049 exemplaires. Rapidement, l’excitation disparaît et les ventes baissent (2 044 exemplaires en 1991 et 502 en 1992. En 1993, Lotus apporte des améliorations au LT5 et fait passer sa puissance à 405 chevaux. Mais cela ne suffit pas et 448 Corvette ZR-1 sont vendues en 1993, 1994 et 1995, soit un total de seulement 6 939 exemplaires en 6 ans. Qu’est-il arrivé?
Concurrence interne
Plusieurs raisons peuvent expliquer ces chiffres de ventes. D’abord, la ZR-1 est chère et ne se distingue par assez de sa sœur « roturière » (notamment à partir de 1991, alors que toutes les Corvette adoptent les feux arrière de la ZR-1). De plus, certains équipements de la ZR-1 deviendront disponibles sur la L98 (boîte manuelle 6 rapports, suspension adaptative). Ensuite, il y a la récession de 1991. Mais surtout, il y a la concurrence du bon vieux small block pushrods. Piqués au vif de ne pas s’être vus confier la conception du LT5, les ingénieurs de GM ont commencé à travailler sur une nouvelle génération de leur moteur. Ces efforts aboutiront au lancement du LT1 Gen II en 1992 (300 chevaux) puis du LT4 en 1995 (330 chevaux). Lotus avait pourtant continué le développement du LT5 et avait prévu une évolution de 475 chevaux pour 1997. Mais l’introduction du LS1 Gen III en 1997 (345 chevaux), pouvant être assemblé sur les chaînes de GM à bien moindre coût, enfonça le clou final de ce projet. Le nom a néanmoins marqué les esprits et il sera réutilisé pour les C6, C7 et bientôt C8.
Aparté : le gros chien-chien!
En 1971, Chevrolet présenta l’ensemble ZR2, semblable au ZR1, mais pensé autour du LS6 de 454 pc (7,4 litres) déployant 425 chevaux. Encore plus cher que le ZR1, 1 747 $ US, il ne sera écoulé qu’à 12 exemplaires (dont 2 cabriolets!). En 1988-89, les ingénieurs de Chevrolet décidèrent de tester une variante big block de la Corvette, équipée d’un 454 pc avec injection électronique. Logiquement, ce concept fut appelé ZR-2, en interne, il portait le surnom de big doggie (gros chien). Avec 400 chevaux estimés, il engendrait une puissance similaire à la ZR-1, mais sensiblement plus de couple, le tout à un prix bien moins élevé. Un prototype fut fabriqué sur une base de cabriolet 1989, mais avec le toit rigide vissé en place, et avec une boîte manuelle à 6 rapports. Il paraît qu’il était vraiment dément à conduire. La consommation gargantuesque de l’engin a toutefois probablement tué le projet dans l’œuf.