Vous souvenez-vous de la… Lincoln Versailles?
En 1977, la Lincoln Versailles promettait la vie de château dans un format plus réduit que les traditionnels bateaux américains de l’époque. Le luxe était à la mode mais le public n’a pas embarqué dans le stratagème de Lincoln.
Alors que dans les années 60 les constructeurs américains étaient en situation de quasi-monopole sur leur marché intérieur, les années 70 ont vu la montée en puissance des marques japonaises et européennes. En 1975, Ford décide de s’attaquer à Mercedes en lançant la Granada (et sa cousine la Mercury Monarch).
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Pendant des années, Ford comparera ce modèle à des Classe S, rien de moins, dans ses publicités en expliquant que les deux autos étaient quasiment identiques mais que la Ford coûtait le quart du prix. Mauvais délire de la part de Ford parce que la Granada n’est qu’une Maverick (présentée en 1970) restylée, animée par des moteurs anémiques (le 6-cylindres de base faisait 75 chevaux) et sans grandes manières sur la route. Pourtant, les acheteurs ont suivi et Ford a commercialisé plus de 2,2 millions de Granada et Monarch entre 1975 et 1980. Mais, à cause de Cadillac, il a fallu rajouter à la hâte un troisième membre à la famille.
L’attaque
Afin de lutter contre Mercedes et BMW, qui commençaient tranquillement mais sûrement à manger ses parts de marché, Cadillac présenta en mai 1975 sa nouvelle Seville. Plus petite que la DeVille (5,18 m contre 5,86 m), elle offrait une longue liste d’équipements et une relativement bonne tenue de route. Elle se permettait même le luxe d’être vendue sensiblement plus cher qu’une DeVille (15 004 dollars contre 11 061 au Canada en 1976). Pourtant, en dessous, il ne s’agissait que d’une plateforme X de Chevrolet Nova retravaillée et propulsée par des V8 Oldsmobile (dont l’infâme 5,7 litres diesel de 105 chevaux). Mais les consommateurs ont accroché et Cadillac a produit 16 355 Seville en 1975 (demi-année) et 43 772 en 1976. Elle sera un modèle très rentable pour la division de luxe de General Motors.
La riposte
La Seville fera souffler un léger vent de panique chez Lincoln. Il fallait répliquer. Mais comment? La seule base disponible est celle de la Granada. À partir de là, les designers vont tenter de créer un modèle distinctif, apte à concurrencer la Seville. Mais très vite, ils vont se heurter à la direction qui ne veut pas mettre trop de temps ni d’argent sur le projet. C’est pour cela que la Versailles finira comme une Granada sur la laquelle on aurait flanqué une calandre et un pseudo « continental kit » de Mark V à la hâte.
Côté ingénierie, c’est mieux… à peine. La partie mécanique provient des Granada et Monarch. Pas de 6-cylindres disponibles, le seul moteur offert est un 351 pc (5,8 litres) de 135 chevaux, sauf en Californie et régions haute altitude qui reçoivent un 302 pc (4,9 litres) de 133 chevaux. La seule boîte proposée est la C4 automatique à 3 rapports (rapport de pont de 2,50:1 avec le 351 et 2,75:1 avec le 302). Le pont arrière est différent de celui de ses cousines. Il s’agit du fameux 9 pouces, permettant l’installation de freins à disque (ce qui expliquera que la Versailles sera décimée sur le marché de la collection, beaucoup de hot roddeurs utilisant ce pont pour leurs machines). Mais la Versailles reçoit aussi plusieurs améliorations destinées à réduire les vibrations au niveau des suspensions, de la colonne de direction, de l’arbre de transmission et même sur le câble d’accélérateur alors que près de 50 kilos de matériau insonorisant est ajouté. Elle est aussi la première auto nord-américaine à recevoir une peinture à 2 couches laque/vernis (base coat/clear coat) et bénéficie d’un contrôle de qualité plus poussé que celui des Granada et Monarch.
Chaque Versailles passe sur un simulateur de route à rouleaux où un technicien utilise un stéthoscope pour trouver le moindre bruit anormal, le lustre de la peinture est vérifié électroniquement tout comme le circuit électrique. Même la boîte à gant est testée!
La défaite
La Lincoln Versailles est dévoilée en mars 1977. Comme la Seville, elle est plus courte (5,10 m contre 5,92 m pour une Continental) tout en étant plus chère (15 084 dollars contre 12 123 dollars pour une Continental, tarifs canadiens de 1978). Elle est de présentation luxueuse (toit vinyle, montre Cartier, planche de bord recouverte de cuir, poignées de maintien et volant en cuir, banquette avant électrique, radio AM/FM/MPX avec haut-parleurs arrière) mais de nombreux équipements sont encore en option (toit ouvrant électrique, sièges baquets, sièges en cuir, console centrale, verrouillage électrique, régulateur de vitesse, peinture deux tons, commande d’ouverture de porte de garage, volant inclinable et même le dégivreur de vitre arrière).
À ce moment, Lincoln compte en vendre 20 000 par année. Pour le millésime 1977, la production se situe à 15 434 exemplaires, ce qui est bon puisqu’il ne s’agit pas d’une année pleine. En même temps, Cadillac écoule 45 060 Seville et Chrysler 46 100 de sa nouvelle LeBaron (basée sur la plateforme des Aspen et Volare).
Logiquement, il y a peu d'évolutions pour 1978 (disparition du 351 pc, remplacé par le 302 pc avec un nouveau contrôle électronique mais toujours avec 133 chevaux). Mais les ventes baissent à 8931 exemplaires (contre 56985 Seville et 128 392 LeBaron). Le millésime 1979 voit l’introduction du seul changement significatif de la carrière de la Versailles : un nouveau toit. Ce même toit que les dirigeants de Ford avaient refusé de financer deux ans avant. Il donne cependant une allure exclusive à l’auto et la clientèle s’en aperçoit : 21 007 exemplaires sont immatriculés (contre 53 487 Seville et 113 863 LeBaron). Quelques modifications d’équipements marquent le millésime 1980 mais les ventes s’effondrent à 4784 exemplaires (contre 39 344 Seville de nouvelle génération et 63 479 LeBaron). Les Granada et Monarch sont en fin de carrière et Ford décide d’arrêter la Versailles.
Il faudra attendre 1982 pour qu’elle soit remplacée par la Continental, basée sur la plateforme Fox (les modèles pleines grandeurs s’appelant alors Mark VI ou Town Car). Sans être un gros succès, elle se vendra sensiblement mieux que la Versailles (136 069 exemplaires en 5 ans contre 50 156 en 4 ans, soit essentiellement les ventes d’une année pour la Seville).
La direction de Ford s’est apparemment tiré une balle dans le pied en n’investissant pas assez dans la Versailles. Comme la Seville, elle partageait des dessous plus « roturiers » mais Cadillac avait doté sa berline d’une allure totalement distinctive et d’un équipement plus complet, faisant ainsi mieux passer la pilule d’un prix élevé. Pourtant, il semblerait que la compagnie à l’ovale bleu ait dégagé de jolies marges même si les objectifs de ventes n’ont pas été atteints. Mais alors, comment mesure-t-on le succès d’une auto? Par ses chiffres de ventes ou par les profits qu’elle génère pour son constructeur?
Aparté : avant la Versailles
En 1973, Lincoln réalisera une première tentative de berline compacte de luxe à saveur européenne. Mais cette fois-ci, ils iront chercher leur plateforme de base… en Europe. Chez la filiale allemande de Ford, pour être plus précis. À cette époque, les constructeurs généralistes européens comme Ford, Opel, Fiat ou Peugeot ont tous encore des modèles statutaires dans leurs gammes capables de rivaliser avec des marques spécialisées. Le concept Mark I, réalisé par le carrossier italien Ghia, est basé sur la Granada (même nom mais véhicule totalement différent qu’en Amérique du Nord), introduite en 1972 (modèle en photo). La recette est assez similaire à celle de la Versailles : greffe de calandre de Lincoln avec 4 phares et toit vinyle. Et c’est tout! Elle aurait peut-être pu devenir une alternative intéressante aux Mercedes 280 ou BMW 2800 de l’époque.
Il est aussi à noter que Lincoln développera une Versailles deux portes, basée sur le coupé Monarch, mais celle-ci n’ira pas plus loin que le stade prototype.