J'ai conduit une Trabant à Berlin et c'est toute une expérience!
À l’image de la Volkswagen Beetle, de la Citroën 2CV, de la Fiat 500 ou de la Mini, la Trabant est un modèle emblématique de l’histoire de l’automobile. Elle est aussi un symbole de l’ex-Allemagne de l’Est, une voiture populaire qui a transporté toute une génération de l’autre côté du rideau de fer.
À la fin de sa carrière, elle illustrait surtout le contraste qui existait entre les deux Allemagnes, avant que la réunification n’ait lieu en 1990. Il faut dire qu’à la fin des années 80, la production des constructeurs allemands de RFA possédait des décennies d’avance sur la modeste Trabant. En 2022, c’est la bienveillance et la sympathie qui dominent quand il est question de celle que l’on surnomme affectueusement la « Trabi ».
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De passage à Berlin pour prendre le volant du nouveau BMW iX M60, je me suis rendu dans le centre-ville pour conduire une Trabant, une voiture aux antipodes du nouveau VUS électrique bavarois. Depuis plusieurs années, il est possible de faire un « Trabi Safari » à Berlin, c’est-à-dire de conduire la voiture dans les rues de la ville, en passant devant plusieurs points d’intérêt. Pour ma part, j’ai opté pour le forfait de base, vendu 59 euros pour 1 h 15 de conduite.
Ayant constaté que les Berlinois raffolent des familiales, j’ai opté pour une Trabant 601 S, en version « Universal ». Mais n’imaginez pas un modèle différent de la berline avec un empattement rallongé et des modifications structurelles importantes. Mis à part le toit allongé et le hayon à la place du coffre, cette minifamiliale est identique à une Trabant classique.
Esthétiquement, la Trabant 601 possède un design typique des années 1960, ce qui est logique puisqu’elle a fait ses débuts en 1964. Certains lui trouvent des airs de Ford Anglia, mais c’est surtout à la Peugeot 404 qu’elle ressemble, en particulier la partie arrière.
Plutôt réussi esthétiquement à sa sortie en 1964, son design était complètement dépassé lorsque la dernière voiture est sortie de l’usine… le 30 avril 1991!
Pénuries et pragmatisme
Dans l’ex-Allemagne de l’Est, les pénuries de matières premières n’étaient pas rares, et les concepteurs de la Trabant ont été obligés de limiter l’utilisation d’acier au maximum. On retrouve donc un châssis métallique, mais une carrosserie en Duroplast, un matériau fait de fibres de coton mélangées à de la résine.
Pour le moteur, les ingénieurs ont développé un bicylindre, comme Citroën pour sa célèbre 2CV. La différence, c’est que les cylindres sont disposés en ligne plutôt qu’à plat. Mais surtout, il s’agit d’un 2 temps! Un choix technique à la mode pour les motocyclettes contemporaines, mais très rare dans l’industrie automobile. Grâce à sa cylindrée de 0,6 litre (594 cc), il déploie la puissance stratosphérique de… 26 chevaux!
En optant pour un refroidissement par air forcé (un petit ventilateur évacue l’air chaud autour du moteur), on continue les économies puisque l’on se passe aussi d’un radiateur, d’une pompe à eau et du liquide de refroidissement nécessaire. Pour alimenter le petit bicylindre en essence, le réservoir est placé sous le capot, juste au-dessus du moteur. Grâce à cette disposition, il n’y a pas besoin de pompe à essence, puisque c’est la gravité qui se charge d’acheminer le carburant. C’est vrai qu’elle ne tombe jamais en panne!
Et pour connaître votre autonomie restante, oubliez la jauge au tableau de bord. À la place, on dispose d’une tige en plastique à plonger dans le réservoir. La dernière chose qui m’a étonné en regardant le moteur de plus près, c’est la présence de deux bobines d’allumage, une par cylindre. Quand on veut faire des économies à ce point, mettre deux bobines, c’est presque une de trop!
Pas de superflu, juste l’essentiel
Le Duroplast de la carrosserie est un matériau très léger. Cela se remarque tout de suite en ouvrant la porte! On l’entend aussi au bruit de claquement prononcé qui arrive à nos oreilles quand on la referme. À l’intérieur, l’équipement est réduit à sa plus simple expression. Un indicateur de vitesse, un totaliseur à rouleaux que l’on peut remettre à zéro, une commande pour les phares, les feux de détresse, les essuie-glaces, un levier pour les clignotants aussi fin qu’un crayon et… c’est à peu près tout! Le tableau de bord en plastique est recouvert d’une espèce de feutre dans sa partie basse, et découpé grossièrement pour accueillir un système de chauffage rudimentaire.
Objectivement, les plastiques sont durs et laids, la qualité de finition est déplorable mais c’est avec indulgence que l’on monte dans cette voiture d’une autre époque. L’espace pour le haut du corps est étonnamment bon considérant le gabarit réduit du véhicule. Cependant, les arches de roue proéminentes ont obligé les ingénieurs à décaler le pédalier vers la droite. À tel point que la pédale d’accélérateur se trouve presque alignée avec le milieu du tableau de bord!
En tournant la clé, le petit bicylindre démarre sans difficulté. La sonorité rappelle davantage un engin de jardinage qu’une voiture. Et une accélération au neutre démontre que ce moteur ne se comporte pas du tout comme celui d’une moto. Son inertie est importante, chose rare pour un 2 temps, et il met du temps à redescendre en régime lorsque l’on relâche l’accélérateur.
La boîte de vitesses compte 5 rapports (4 vitesses et une marche arrière) et se commande grâce à un levier à droite du volant. On pousse et on abaisse pour passer la première, on relève le levier vers le haut pour passer la seconde, on tire vers soi et on abaisse pour la troisième et on tire de nouveau vers le haut pour la quatrième. La boîte se montre plutôt souple, il faut dire que la cavalerie à transmettre n’est pas démesurée…
En revanche, l’embrayage est d’une mollesse surprenante et n’a strictement aucune progressivité. Quand on relâche la pédale de gauche, il n’y a aucune résistance pour nous renseigner sur le point de patinage. Alors dans le doute, on donne du gaz et on relâche la pédale un peu au hasard.
Peu de chevaux mais beaucoup de plaisir
Avec 26 petits chevaux, je m’attendais à une voiture impossible à lancer correctement dans la circulation berlinoise de 2022. Contre toute attente, la boîte de vitesses très courte permet d’accélérer promptement au démarrage. Il ne faut pas hésiter à appuyer généreusement sur l’accélérateur, mais avec le pied suffisamment pesant la Trabant atteint les 50 km/h très facilement. Il faut dire qu’avec un peu plus de 600 kg à déplacer, on est loin des standards actuels. Cela dit, quand le compteur affiche 50 km/h, on a déjà passé le troisième rapport sur les quatre disponibles…
Du côté du châssis et des trains roulants, soulignons la direction à la précision correcte… pour une voiture des années 1960. La suspension dotée de ressorts à lames fait ce qu’elle peut pour garantir un roulement correct. Elle conserve un semblant de stabilité si l’asphalte est parfait, mais se désunit complètement au moindre nid-de-poule. C’est la même chose dans les virages, où on mesure à quel point les choix techniques archaïques de la Trabant ont été dictés par une rationalité outrancière. Le freinage est correct en ville, mais il faut probablement anticiper davantage quand on s’aventure sur une voie rapide.
Même à basse vitesse, la sonorité stridente typique du 2 temps envahit l’habitacle, agrémentée de vibrations et bruits en tout genre. Et quand on s’arrête à un feu rouge, il arrive souvent que l’odeur d’essence et d’huile brûlée rentre dans l’habitacle lorsque les vitres sont ouvertes! Pour l’anecdote, mon chandail sentait le mélange 2 temps à la fin de l’essai!
Si je vous parlais comme un journaliste automobile qui s’efforce d’être objectif, je vous dirais que la Trabant 601 est dépassée, peu performante et bourrée de défauts. Mais quel plaisir de conduire ce morceau d’histoire!
Le grand sourire que j’arborais au départ ne m’a jamais quitté pendant la conduite, et je me suis surpris à rire plusieurs fois quand la bagnole m’a invité à une danse maladroite et remuante dans les virages. Sans oublier son petit bicylindre 2 temps, dont le côté suranné et imparfait participe pleinement au charme de la Trabant.
À son volant, on remonte le temps, et on comprend à quel point le marché automobile est-allemand n’avait rien à voir avec le nôtre. Ce qui est certain en tout cas, c’est que si vous passez par Berlin et que vous aimez l’histoire de l’automobile (et l’histoire tout court), le « Trabi Safari » est une activité incontournable.