Vous souvenez-vous de la… Ford Mustang SVO?
Figurez-vous qu’au milieu des années 80, la Ford Mustang la plus performante n’avait pas de moteur, V8 mais plutôt un modeste 4 cylindres.
Enfin, modeste… il faut le dire vite!
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Turbo!
Après la première crise pétrolière et alors que le gouvernement américain s’apprête à instaurer les normes de consommation CAFE, les constructeurs américains voient dans le turbo la réponse à leurs problèmes.
Ainsi, dès 1979, pour son renouvellement sur la plate-forme Fox, la Ford Mustang bénéficie d’une motorisation turbocompressée. Elle est basée sur le moteur 2,3 litres Lima (du nom de son usine de fabrication, à Lima dans l’Ohio), inauguré dans les Pinto et Mustang II en 1974. Sur papier, le bloc turbo génère une puissance similaire à celle du V8 5,0 litres (131 et 140 chevaux respectivement) tout en baissant la consommation et en améliorant la tenue de route grâce à un poids réduit sur le train avant. Dans les faits, il s’avère manquer de raffinement (alimentation par carburateur et gestion mécanique de la pression) ainsi qu'avoir une fiabilité parfois douteuse.
Après avoir vu sa puissance monter à 150 chevaux pour les millésimes 1980 et 1981, il est retiré du marché en 1982 pour être profondément retravaillé. La même année, le V8 5,0 litres fait son retour (après avoir été remplacé par un 4,2 litres de 117 chevaux en 1980 pour satisfaire les normes de consommation) sous une forme « High Output » de 157 chevaux. Un fait qui aura son importance plus tard…
En 1983, le moteur 2,3 litres turbo revient, cette fois-ci avec une injection électronique. C’est dans ce contexte qu’arrive une Mustang sous adrénaline, développée par le speed shop interne de Ford…
SVO
Si pour Ford, les années 60 ont été les années Total Performance, les années 70 ont été un peu plus difficiles. Au début des années 80, la direction du constructeur à l’ovale recommence à penser compétition et fonde en 1981 la division Special Vehicle Operations. Le but de SVO est de gérer les programmes de course, la distribution de pièces de performance et de créer des véhicules de route utilisant les apprentissages de la piste. Elle est dirigée par Michael Kranefuss. Une précédente édition limitée avait montré le potentiel du moteur turbo, la McLaren M81 (rien à voir avec le fabricant anglais de supercars). Elle venait avec 175 chevaux, des ailes surgonflées, des roues BBS et des sièges Recaro mais son prix de 25 000 $ US (soit 5 fois celui d’une Mustang) restreindra sa production à 10 exemplaires.
Des prototypes de Mustang SVO courent sur piste en 1982 et 1983 avant la présentation au grand public en 1984.
Un savant jeu de meccano
La gamme Mustang 1984 n’offre pas moins de 6 motorisations : 4 cylindres 2,3 litres (88 chevaux), V6 3,8 litres (120 chevaux), V8 5,0 litres (injection électronique, 165 chevaux), V8 5,0 litres HO (carburateur 4 corps, 175 chevaux), 4 cylindres 2,3 litres turbo (145 chevaux) et, finalement, le 4 cylindres 2,3 litres turbo unique à la SVO (175 chevaux).
Si la Mustang SVO n’est pas plus puissante qu’une GT HO, elle possède d’autres atouts sur la route. Ses concepteurs l’ont intentionnellement voulue capable d’enrouler les virages « à l’européenne ». Pour cela, elle peut compter sur des épures de suspension revues, des amortisseurs Koni réglables en 3 positions aux 4 roues, deux amortisseurs quasi verticaux additionnels afin d’assurer la stabilisation de l’essieu arrière (à partir de décembre 1983), une barre antiroulis plus épaisse, un boîtier de direction plus direct de chez TRW, quatre freins à disque (provenant de la Lincoln Mark VII, aussi basée sur la plate-forme Fox) et des roues de 16 pouces montées sur des Goodyear NCT.
Par rapport au 2,3 litres classique, le moteur de la SVO reçoit une injection recalibrée, un échangeur air-air et un contrôle électronique de pression du turbo Air Research T03. Un sélecteur sur la console centrale permet d’ajuster le souffle du turbo en fonction de la qualité de l’essence : avec de l’essence premium, l’ordinateur EEC-IV autorise jusqu’à 14 psi de pression alors qu’avec de l’essence ordinaire, la pression est limitée à 10 psi. La boîte de vitesses n’est pas en reste puisqu’il s’agit d’une BorgWarner T-5 qui bénéficie d’une tringlerie et d’un levier Hurst. Aucune boîte automatique n’est disponible. L’essieu arrière à glissement limité offre un rapport de 3,45:1.
Il est facile de reconnaître une Mustang SVO du premier coup grâce à sa calandre, ses roues et ses feux arrière spécifiques. Elle aurait dû avoir des phares affleurants dès son lancement mais la législation américaine ne les autorisait pas encore, d’où les affreux phares rentrés des premiers modèles. À l’arrière, on retrouve un aileron double en polycarbonate (une idée copiée à la Ford Sierra XR4i européenne, la future Merkur XR4 Ti, mais un aileron simple reste disponible en option) et le capot est orné d’une entrée d’air supplémentaire pour alimenter l’échangeur. Quatre couleurs de carrosserie sont disponibles.
L’intérieur est lui aussi revu. Il revêt une seule teinte le gris. Les sièges, fournis par Lear-Sigler, ont un soutien latéral renforcé et un support lombaire ajustable. Le tableau de bord possède une jauge de pression de turbo et le compteur de vitesse n’est gradué que jusqu’à 85 mph (conformément à la loi américaine) mais l’aiguille peut se rendre jusqu’à 140 mph. Le volant, gainé de cuir, est inclinable de série et même les pédales sont revues pour favoriser le talon-pointe. Un système audio premium fait partie de l'équipement de base et les seules options sont les vitres électriques, la condamnation centrale, la climatisation, les sièges en cuir et le toit ouvrant. Le régulateur de vitesse ne peut pas être installé.
Sans contestation. Bravo SVO!
C’est par ces mots que le magazine Autoweek conclut son essai comparatif entre une Mustang SVO 84 et une BWM 320i. La presse américaine et canadienne sont unanimes pour reconnaître les qualités routières de la SVO.
Le moteur aussi est apprécié mais tous le trouvent bruyant à haut régime. Les chiffres de performance sont bons, pour l’époque : 0 à 60 mph en 7,7 secondes et le quart de mille en 15,8 secondes. Le magazine Road & Track considère qu’il s’agit « probablement de la meilleure voiture pour l’amateur de conduite jamais produite par l’industrie automobile américaine ».
Malgré ce concert de louanges, Ford n’atteint pas ses objectifs de 10 000 exemplaires par année et n’a immatriculé que 4508 SVO (dont 250 au Canada). Il faut dire qu’elle n’est pas donnée : 19 152 CAD contre 11 941 $ pour une Mustang GT V8 de 165 chevaux, mais moins agile et moins bien équipée. Et puis, le réseau ne semble pas très apte à vendre ce type de Mustang. Qu’importe, Ford continue.
Le demi qui fait la différence
Le millésime 1985 apporte son lot classique de nouveautés : direction plus directe, rapport de pont de 3,73:1, 7 couleurs proposées, équipement enrichi (vitres électriques, condamnation centrale et climatisation de série) et pneus Goodyear Gatorback. Les performances évoluent à peine : 0 à 60 mph en 7,6 secondes et le quart de mille en 15,7 secondes.
C’est en avril 1985 que la SVO subit d’importantes modifications (millésime 85 ½). Le moteur est profondément revu : nouveau collecteur d’échappement, nouveau turbo refroidi par eau avec pression montant jusqu’à 15 psi, plus gros injecteurs, ordinateur d’injection reprogrammé et échappement double. La puissance passe de 175 à 205 chevaux et le couple de 210 à 248 lb-pi, demandant que l’embrayage soit renforcé. Les chiffres de performance sont en progrès : 0 à 60 mph en 7,3 secondes et le quart de mille en 15,3 secondes. À l’extérieur, les phares affleurants sont enfin installés.
Malgré tout cela, les ventes ne sont toujours pas au rendez-vous : 1 515 exemplaires (dont 19 au Canada) en 1985 et 439 exemplaires (dont 11 au Canada) pour le millésime 85 ½. La GT V8 HO a vu aussi sa puissance grimper à 210 chevaux et la GT V8 de 165 chevaux conserve encore son avantage de prix : 12 885 $ canadiens contre 19 368 $ pour la SVO. Quant au moteur turbo de 145 chevaux, il a tout simplement disparu de la gamme.
Le clou dans le cercueil
On l’a compris, la plus grosse concurrente de la Mustang SVO, c’est la Mustang GT V8 HO. Et la situation ne s’arrange pas pour 1986. Le V8 de base à injection disparaît et la HO troque son carburateur pour une injection (200 chevaux) et devient le seul V8 proposé. La SVO voit sa puissance passer à 200 chevaux pour pouvoir mieux s’accommoder d’une essence de mauvaise qualité, par contre les performances ne changent pas. Le troisième feu-stop est ajouté et huit couleurs sont disponibles.
Les prix évoluent peu au Canada et sont toujours en faveur du V8 : 13 731 $ contre 20 272 $ pour la SVO. Pourtant, les ventes remontent significativement : 3 382 exemplaires (dont 476 au Canada). Mais c’est trop peu trop tard et Ford s’apprête à lancer pour 1987 une Mustang restylée avec un V8 encore plus puissant (225 chevaux).
La SVO n’a pas su trouver son public, l’ovale bleu tourne la page. Il faudra attendre 2015 pour retrouver un turbo sous le capot d’une Mustang avec le 2,3 litres EcoBoost de 310 chevaux. Mais ceci est une autre histoire…