Concept GM LeSabre : l’électrochoc!
« Des autos toujours plus basses, plus longues, plus impressionnantes », telle était la philosophie de design de Harley Earl.
Avec son concept fortement inspiré par l’aéronautique, il signalera le point de départ de la décennie de tous les excès en matière de style.
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Une association fructueuse
À l'automne 1946, l’influent directeur du « Styling Department » de General Motors, Harley Earl, regarde sa Y-Job et se dit qu’il serait temps de faire mieux.
Présenté fin 1939, le premier concept car de l’histoire avait eu un impact majeur sur le public américain. Cependant, l’entrée des États-Unis dans le conflit mondial avait stoppé tout développement. Maintenant que la guerre était terminée, il fallait recommencer à faire rêver les acheteurs d’automobile.
Tout naturellement, il se tourna vers Harlow Curtice, directeur général de Buick, et Charles Chayne, ingénieur en chef de la marque, qui avaient respectivement fourni budget et expertise technique pour la Y-Job. Après discussion, il est décidé de créer non pas un mais deux véhicules expérimentaux, afin de tester un maximum d’idées : XP-8, qui deviendra la LeSabre, et XP-9 qui deviendra la XP-300 (XP pour Experimental). Curieusement, la LeSabre ne portera pas le nom de Buick mais celui de General Motors alors que la XP-300, elle, sera bien une Buick.
Un avion sur roues
Pour Earl, la source d’inspiration est toute trouvée : l’aviation. Il a déjà utilisé le Lockheed P-38 Lightning pour les ailes arrière des Cadillac 1948. Cette fois-ci, ce sera les avions à réaction, comme le North American F-86 Sabre… d’où le nom!
En mai 1947, il promeut Ed Glowacke à la tête d’un nouveau studio : Special Interest Design. C’est lui qui sera chargé de mettre les idées d’Earl sur le papier. Et cela tombe bien, car Glowacke est lui aussi très influencé par l’aviation (il est pilote d’avion dans ses temps libres).
L’avant se caractérise par sa grille ovale faisant penser à des jets de combat. En fait, elle sert à dissimuler l’éclairage (elle se rétracte, tourne de 180 degrés et laisse apparaître les phares).
Les pare-chocs séparés seront surnommés « Dagmar », en rapport à une actrice de l’époque aux proportions généreuses. Le pare-brise panoramique est une première. C’est une idée de Earl qui aura demandé 4 ans de développement au fabricant de glaces Libby-Owens-Ford (on le retrouvera sur des véhicules de production au millésime 1954). Les ailerons arrière sont complétés par une fausse sortie de turbine. La LeSabre est très basse pour l’époque (50 pouces, soit seulement 1,27 mètre) et cela va causer quelques problèmes, comme nous allons le voir plus loin.
Le choix des matériaux et des méthodes de fabrication est également influencé par l’aéronautique. Ainsi, au lieu de recourir à la traditionnelle tôle emboutie, plusieurs éléments de carrosserie font appel au magnésium moulé (comme le coffre arrière), d’autres utilisent de l’aluminium ou de la fibre de verre. La construction en magnésium s’est avérée extrêmement complexe et a demandé beaucoup de travail et d’ajustements pour obtenir un parfait alignement des panneaux.
Débauche technologique
Côté technique, rien ne sera trop beau pour la LeSabre. Chayne demande à Joseph Turlay, responsable des moteurs chez Buick, de concevoir un nouveau V8. Lla marque est alors réputée pour ses 8 cylindres en ligne et un V8, qui n’a rien à voir avec celui du concept, ne sortira qu’en 1953.
Réalisé en aluminium, il est d’une cylindrée de 3,5 litres (215 pc). Il est doté de chambres de combustion hémisphériques et d’un compresseur de type Roots. Avec un taux de compression de 10,0 :1, il développe la puissance faramineuse, pour l’époque, de 335 chevaux (pour comparaison, le V8 Cadillac de 331 pc de 1951 est donné pour 160 chevaux). Alors qu’il n’est pas encore prêt, une maquette du bloc est envoyée au studio de design pour valider la disposition dans le châssis.
Earl exige de Turlay que la hauteur du moteur soit réduite de 6 pouces, afin d’avoir le capot le plus bas possible. Interloqué, Turlay revoit son dessin (lubrification, distribution, implantation du compresseur) et réussit finalement à atteindre l’objectif.
Pour obtenir un tel niveau de puissance, il y a un truc. Deux carburateurs Bendix-Eclipse sont installés. Le premier sert à alimenter le moteur en essence, le deuxième en méthanol. Lorsque le conducteur met un coup d’accélérateur, le deuxième carburateur embarque et le premier est désactivé. Des réservoirs de 20 gallons sont placés de chaque côté du coffre (les bouchons de réservoir sont intégrés dans les ailes arrière), un pour chaque carburant.
La boîte automatique Dynaflow (remplacée plus tard par une HydraMatic) n’est pas accouplée au moteur, mais est installée dans le train arrière pour une meilleure répartition des poids. Elle entraîne une pompe hydraulique pour le système de cric intégré aux quatre côtés. Les freins arrière à tambours sont accolés à la boîte tandis que ceux à l’avant ont une largeur double et 4 mâchoires au lieu des traditionnelles deux (pour compenser l’utilisation de roues plus petites, destinées à rabaisser l’auto). Il faut bien arrêter les 3 800 livres de l’engin! Les suspensions avant font appel à des éléments en caoutchouc travaillés en torsion pour l’amortissement. Plus tard, lorsqu’ils sécheront, ils seront remplacés par des barres de torsion traditionnelles. À l’arrière, on retrouve de classiques ressorts monolames. Tout le système électrique est en 12 volts (technique qui sera introduite dans la grande série en 1953).
Un toit magique
La thématique de l’aviation se poursuit à l’intérieur. L’instrumentation est ultracomplète et comprend même un chronomètre et un altimètre. Les sièges en cuir sont chauffants (température ajustable par rhéostat) et celui du conducteur est à réglage électrique. Il y a bien sûr un régulateur de vitesse.
Le plat de résistance se situe entre les baquets. La console centrale contient un capteur de pluie qui permet à la capote de se relever automatiquement aux premières gouttes. On raconte que Harley Earl garait tout le temps l’auto capote baissée et aimait voir la réaction des passants quand le toit remontait tout seul.
Une vedette!
La LeSabre est dévoilée au grand public, alors qu’elle n’est pas tout à fait finie, dans un article du magazine Life de décembre 1950. En février 1951, les visiteurs du Salon de Chicago la découvrent en métal et en chrome. Puis, à l’été 1951, quelques membres de la presse peuvent la conduire sur la piste d’essai de GM, à Milford dans le Michigan.
Ensuite, elle est envoyée en France et en Belgique pour des salons de l’auto. La réaction est unanime à travers le monde : c’est un choc. On n’avait rien vu de tel jusqu’à maintenant. Plusieurs carrossiers tenteront de la copier. La compagnie de bus Van Hoole ira jusqu’à coller un avant et un arrière identique sur l’un de ses modèles. Même les Russes en feront un clone (maladroit) avec le prototype ZIS 112. Pour toute une génération de jeunes designers à Detroit, elle traçait le chemin à suivre. Enfin, il a été un moment envisagé d’utiliser la calandre de la LeSabre pour les Buick 1958 (des maquettes à l’échelle 1 seront réalisées avant d’aller dans une autre direction).
Lorsqu’elle n’est pas exposée, la LeSabre est le moyen de transport principal de Harley Earl. Il peut compter sur ses deux mécaniciens personnels. Et au début, ils ne manquent pas de travail : la voiture chauffe. C’est pourquoi, quand vient le temps de la montrer au premier Motorama de 1953 (qui coïncide avec le cinquantenaire de Buick), elle reçoit des entrées d’air additionnelles dans la calandre et un fini en aluminium sur les flancs (qui cache des écopes d’aération dans les ailes) afin d’améliorer le refroidissement. Elle bénéficie aussi de nouvelles roues et d’ailes arrière modifiées.
Après, Earl l’utilisera jusqu’à sa retraite en décembre 1958. À ce moment, l’auto a parcouru 45 000 milles. À partir de là, elle sera remisée dans les locaux du musée GM Heritage, où elle réside encore aujourd’hui. Quant au nom LeSabre, il fera partie de la gamme Buick de 1959 à 2005.
La LeSabre est l’un des concepts les plus importants de l’histoire de l’automobile. Avec elle, Earl voulait marquer les esprits et faire mieux qu’avec la Y-Job. Pari réussi, et haut la main!