Vous souvenez-vous de… l’Audi V8?

Dans les années 80, Audi a réussi à se débarrasser d’une image de marque un peu poussiéreuse en proposant des produits modernes et en se distinguant avec le système quattro. Il était donc temps de monter en gamme.

Mais pour s’imposer face à des valeurs sûres, il fallait bien commencer quelque part…

Concurrente crédible

La première incursion d’Audi dans le haut de gamme date de 1979 avec la présentation de la 200, sur la base de la 100 (respectivement 5000 T et 5000 S en Amérique du Nord). Le lancement de la troisième génération d’Audi 100 au Salon de Paris, en octobre 1982, a été un succès (renommée Audi 5000 chez nous, introduite au millésime 84).

Grâce à une aérodynamique poussée, une construction de qualité et la disponibilité de la transmission intégrale quattro, elle devient enfin une alternative sérieuse aux BMW Série 5 et Mercedes 200/300 (pas encore baptisées Classe E). Elle recevra d’ailleurs le titre de Voiture européenne de l’année en 1983.

Photo: Audi

Le progrès par la technologie

L’étude d’un modèle digne d’aller concurrencer les reines du segment haut de gamme (Mercedes-Benz Classe S, BMW Série 7 et, dans une moindre mesure, Jaguar XJ) débute en 1983. Contrairement à Toyota et sa Lexus LS400, sortie quelques mois après la V8, Audi a eu un budget limité pour le développement de son vaisseau amiral. C’est pourquoi sa plate-forme est dérivée de celle des Audi 100/200.

L’empattement est légèrement allongé et ce sont surtout les sections avant et arrière qui sont redessinées alors que les ailes sont élargies. Les lignes sont signées par l’Autrichien Erwin Leo Himmel, qui travaillera chez Audi de 1982 à 1994. La carrosserie est entièrement galvanisée, ce qui permet d’offrir une résistance à la corrosion de haut niveau. Cependant, Audi préfère investir dans la technologie, illustrant bien son slogan : Vorsprung durch Technik (À la pointe de la technologie ). Et à ce niveau-là, beaucoup est à faire… avec un mot d’ordre : réutiliser un maximum de pièces existantes.

Photo: Audi

La décision de développer le premier V8 de la marque sera prise début 1984. Si de loin, on peut croire qu’il s’agit de deux blocs de Golf GTI accolés, les choses sont un peu plus compliquées. Parce qu’il est placé en porte-à-faux avant, ce moteur doit être léger et compact afin de ne pas pénaliser le comportement routier. La course et l’alésage sont identiques à celui du 1,8 litre Volkswagen, en revanche, la fonderie est nouvelle (bloc tout aluminium avec un alliage à forte teneur en silicium) ainsi que le système de lubrification (avec brevet à la clé).

Résultat, le poids total du moteur est de 215 kilos et sa longueur de seulement 41 centimètres. Pari relevé! On retrouve aussi une culasse à 4 soupapes par cylindres avec deux arbres à cames en tête et une injection Bosch Motronic, dont c’est la première application sur un V8. L’Audi V8 génère 250 chevaux (240 en Amérique du Nord).

Photo: Audi

Ensuite, il faut revoir le système quattro afin de pouvoir l’adapter à une boîte automatique, absolument indispensable à ce niveau de gamme. Entièrement automatique, il reçoit un embrayage multidisque à pilotage électronique au niveau du différentiel central et un différentiel Torsen (TORque SENsitive) dans le pont arrière. En conditions normales, la répartition du couple est de 50/50 entre l’avant et l’arrière. En cas de glissement, jusqu’à 80% du couple peut être envoyé sur un seul essieu. La boîte automatique est une ZF 4HP24A qui comprend trois modes de fonctionnement : Sport, Économique ou Manuel.

L’Audi V8 inaugure aussi un  type de freins à disque (à l’avant uniquement). Développés par ATE-Teves, ces derniers utilisent des étriers non plus placés à l’extérieur du disque mais à l’intérieur, ce qui permet, à diamètre de jante égal, une surface de contact supérieure de 17%. Efficace mais complexe et chère, cette technologie n’arrivera pas à s’imposer.

Enfin, la V8 viendra de série avec le Procon-ten (pour Programmed Contraction-Tension). Il s’agit d’un ingénieux système de retenue entièrement mécanique conçu par Audi et inauguré sur les 80/90 de troisième génération. Des câbles en acier inoxydable reliés à la colonne de direction et aux ceintures de sécurité avant sont installés sur un support placé sur la boîte de vitesses. En cas d’impact frontal, l’ensemble moteur/boîte commence à reculer, ce qui met les câbles en tension, tirant le volant vers la planche de bord et tendant les ceintures. Ce système sera proposé par Audi jusqu’en 1994.

Photo: Audi

De grandes ambitions

La grande Audi est officiellement introduite au Salon de l’auto de Paris en octobre 1988, pour le millésime 1989. Le constructeur avait un temps envisagé de l’appeler 300 (trop proche de Mercedes) ou Horch (l’une des 4 compagnies symbolisées dans le logo aux anneaux mais finalement sans vraie valeur marketing) avant de choisir simplement V8. À ce moment, le nouveau patron de la marque, Ferdinand Piëch, prétend pouvoir en écouler 14 000 exemplaires par année (5 000 en Allemagne, 5 000 en Amérique du Nord et 4 000 dans le reste du monde). Déjà, la presse subodore que ces objectifs sont « extrêmement » ambitieux. Les ventes nord-américaines débutent en 1990.

Pour se distancer de la concurrence, Audi mise sur son système quattro (les autres sont toutes des propulsions) et sur un équipement « tout compris » (les Mercedes et BMW sont encore chichement équipées de série à l’époque, spécialement en Europe où les listes d’options sont interminables). De série, la V8 vient avec climatisation automatique, sièges chauffants, système de son Bose, régulateur de vitesse, ordinateur de bord, finition en cuir, véritable ronce de noyer et moquette en laine vierge. Ainsi dotée, elle se positionne plutôt favorablement face à ses rivales allemandes sur le marché canadien : 73 800 $ contre 95 400 $ pour une Mercedes 420 SEL, 71 600 $ pour une BMW 735iA (tarifs millésime 1991). Seule la Lexus LS400 semble faire mieux avec un prix de 64 200 $ pour une version tout équipée.

Les essayeurs apprécient la tenue de route et la motricité, le fonctionnement de la boîte automatique, la qualité de finition et l’équipement de haut niveau. Ils regrettent par contre la puissance un peu juste du moteur et un manque de différenciation par rapport aux modèles 100/200 (dénomination finalement introduite en Amérique en 1989).

Photo: Audi

La leçon

Si l’Audi V8 ne venait au départ qu’avec une boîte automatique, des clients ont demandé une boîte manuelle. Leur vœu sera exaucé en 1991 avec une boîte 5 à rapports disponible sans surcoût (le système quattro est alors modifié et reçoit un différentiel central Torsen). Cette boîte ne sera proposée en Amérique qu’une seule année.

Partout ailleurs, elle sera remplacée l’année suivante par une mouture à 6 rapports. Toujours en 1992, une variante 4,2 litres du V8 apparaît. Selon les marchés, elle remplace le 3,6 litres ou est vendue en parallèle (remplacement en Amérique). La puissance est alors de 280 chevaux (276 chez nous). Les évolutions seront extrêmement limitées, la plus importante étant l’introduction au millésime 1991 d’une déclinaison L avec un empattement rallongé de 32 centimètres. Elle sera fabriquée en Autriche chez Steyr-Daimler-Puch à seulement 272 exemplaires (la V8 normale est fabriquée en Allemagne, dans l’usine de Neckarsulm).

Photo: Audi

Il reste enfin à signaler qu’Audi engagera avec succès sa V8 en DTM (championnat allemand de voitures de tourisme), remportant les titres de 1990 et 1991 (par Hans-Joachim Stuck et Frank Biela respectivement).

La commercialisation de l’Audi V8 s’arrêtera à la fin de 1994. Elle n’aura su convaincre que 21 565 acheteurs à travers le monde (y compris les versions L). Toute sa carrière, elle souffrira d’une filiation trop proche des 100/200 engendrant un vaste déficit d’image, composante pourtant indispensable dans ce segment (la concurrence interne des 100/200 de quatrième génération et le lancement réussi de Lexus n’aideront pas).

Audi retiendra la leçon pour sa remplaçante, l’A8, en lui offrant un design spécifique et en allant plus loin dans la technologie, notamment avec un châssis tout aluminium exclusif, démarrant ainsi une lignée à succès qui existe encore aujourd’hui. Mais bon, il fallait bien commencer quelque part!

En vidéo: notre essai de la Audi RS e-tron GT 2021

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