Lincoln Futura : de star des salons à star de la télé

Après être passée proche de la faillite au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la Ford Motor Company entre dans les années 50 avec un enthousiasme renouvelé et commence à se voir numéro 1 à la place de General Motors. Encore fallait-il faire rêver le public et Harley Earl, vice-président du design GM, et ses Motorama faisaient exactement cela. Benson Ford, petit-fils d’Henry Ford et directeur de Lincoln-Mercury, affectionnait les véhicules concepts. C’est pourquoi la division en présente trois (Lincoln XL-500 en 1953, Mercury XM-800 en 1954 et Lincoln Futura en 1955), qui vont aboutir au style des nouvelles Lincoln 56.

C’est Bill Schmidt, designer en chef de Lincoln-Mercury de 1945 à 1955, qui commence dès 1952 les travaux sur la Futura. Ses sources d’inspiration sont le monde aquatique (à la suite d’un voyage aux Bahamas avec Bill Mitchell, futur vice-président de GM et à la tête du design) et, comme c’est souvent le cas dans les années 50, l’aéronautique.

Mais, contrairement à beaucoup de prototypes de l’époque, la Futura sera pleine grandeur et roulante. C’est donc un projet qui est mené de concert avec le département d’ingénierie. Bill Schmidt, chargé du concept et des premiers dessins, dirige le projet. John Najjar, qui sera plus tard le créateur du concept Mustang I, est responsable de la partie carrosserie et Martin Regitko du châssis. Les premières maquettes en argile à l’échelle 3/8 sont réalisées en 1953.

Photo: Ford Motor Company

À l’automne 1954, les plans, une maquette pleine grandeur, un châssis avec ses trains roulants et son moteur sont expédiés chez Ghia, à Turin en Italie, pour la construction en tôle (à l’opposé de beaucoup de concepts qui utilisent la fibre de verre). Paradoxalement, passer par un carrossier italien revenait moins cher que de le faire fabriquer aux États-Unis (finalement, le projet complet coûtera 250 000 $, soit près de 2,6 millions aujourd’hui). Ghia travaille vite et bien et l’auto est prête pour le Salon de Chicago le 8 janvier 1955.

Le futur, c’est maintenant

Lincoln croit fermement au concept Futura et s’assure que tout y soit fonctionnel. Le châssis est l’un des deux construits par Hess & Eisenhardt pour le développement de la Continental Mark II cabriolet (qui ne verra jamais le jour) et que Lincoln recycle. Le moteur est un Lincoln 53 modifié (filtre à air sur le côté pour s’accommoder des lignes plus basses du capot ainsi que des carburateurs plus gros). Le dossier de presse annonce 330 chevaux mais personne n’a jamais été en mesure de le vérifier. La couleur est un blanc iridescent (effet multicolore selon l’angle d’où on le regarde), obtenu en broyant des écailles de poisson dans la peinture.

Le toit transparent est réalisé en Plexiglas et s’ouvre et se referme automatiquement en même temps que les portes (il y a aussi une sécurité qui l’empêche de s’ouvrir si la boîte n’est pas sur Park). À l’extérieur, il y a un micro rond sur le coffre qui permet d’entendre l’environnement. À l’intérieur, l’instrumentation est placée au milieu du volant, la boîte automatique est commandée par boutons et il y a un téléphone dans la console centrale. Le haut de la planche de bord, d’où dépasse une boussole, est recouvert de cuir noir alors que les sièges sont du même blanc iridescent, avec des inserts noirs.

Photo: Ford Motor Company

Après Chicago, elle est exhibée au Salon de Detroit fin janvier puis au Salon de New York, début mars. Chaque fois, l’auto fait sensation. Le 3 mars, Benson Ford (avec Bill Schmidt comme passager) conduit la Futura du bâtiment des Nations Unies jusqu’à Central Park (vous pouvez voir la vidéo ici). Sous le toit transparent, la climatisation et la ventilation ne fonctionnent pas bien et c’est un vrai sauna. Qu’importe, le public est impressionné!

Ford continue d’utiliser la Futura à des fins promotionnelles pendant encore 4 ans après les grands salons. Comme bon nombre d’autres concepts, elle aurait dû être pilonnée mais elle connaîtra ultimement un destin plus glorieux.

Batmaaaaan!

Entre en jeu George Barris, le « kustomiseur » des stars. Il parvient à placer l’auto dans le film It started with a kiss, produit en 1959 par la MGM avec Glenn Ford et Debbie Reynolds. La peinture iridescente ne passe pas à l’écran et Barris doit repeindre la voiture en rouge. Après, la Futura se languit et se détériore lentement sur un stationnement pendant plusieurs années. En décembre 1965, Barris, qui travaille régulièrement avec Lincoln-Mercury, la rachète pour un dollar symbolique. Ford songe alors sérieusement à la détruire. Barris avait toutefois d’autres idées en tête.

Dès le 1er septembre, il signe un accord de collaboration avec la production de la série télé Batman, avec Adam West et Burt Ward, pour la fourniture de la Batmobile. Le contrat détaille toutes les améliorations qui doivent être apportées à l’auto. Elle doit être livrée le 11 octobre 1965 (donc Ford est au courant des projets de Barris). Pour tenir des délais aussi serrés, Barris sous-traite le travail de la tôle à Bill Cushenberry, pendant qu’il s’occupe de la fibre de verre, du Plexiglas et des accessoires. Une fois la tôlerie finie, il peint l’auto en noir brillant. La Batmobile était née!

Photo: Ford Motor Company

Homme d’affaires avisé, il garde les droits intellectuels du dessin (il déposera même une demande de brevet en octobre 1966) ainsi que la propriété de la voiture, qu’il loue 150 $ par jour de tournage. Bien lui en prendra, quand on imagine les millions de jouets vendus à travers le monde!

La production intense (120 épisodes en 3 ans) aura raison du châssis et des trains roulants. Barris les remplacera par un châssis de Ford Galaxie rallongé de 11 pouces avec sa mécanique. Plusieurs répliques, sur base de Galaxie, seront également construites pour la série.

À la fin, l’auto sera exposée dans le musée personnel de George Barris. En 1973, il essaiera de la vendre pour 5 000 dollars… sans succès. Quarante ans plus tard, il la fera passer aux enchères Barrett-Jackson et le marteau retentira à la somme de 4,2 millions (avant les frais). Des fois, la patience, ça paye!

En vidéo : la fin des voitures chez Lincoln et la mort de la mythique Continental

Partager sur Facebook

Plus sur le sujet

Voitures anciennesLe tragique destin du Chrysler Norseman
Presque personne n’a pu le voir en vrai. Et pourtant, le Chrysler Norseman est l’un des véhicules concepts les plus fameux de l’histoire, grâce à son destin tragique. Voici son histoire. Une collaboration fructueuse Véhicule concept… Virgil Exner (1909-1973), alors directeur du design de Chrysler, n’aimait pas trop cette expression.
Voitures anciennesConcept classique : la Buick Y-Job
Les véhicules concepts sont aujourd’hui une évidence. Ce sont des créations exploratoires destinées à montrer ou à tester les nouvelles tendances auprès du public. Seulement voilà, en 1939, l’idée était totalement novatrice. Et la Buick Y-Job est le tout premier véhicule concept de l’histoire. La vision d’un homme Harley Earl …
Voitures anciennesConcepts GM Firebird : fusées roulantes
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie automobile américaine est obsédée par l’aéronautique : ailerons, décorations, noms de V8... Cet intérêt n’est pas seulement esthétique. Les constructeurs conçoivent aussi un nouveau type de moteur pour leurs voitures : la turbine. GM vs Chrysler Dans les années 50, plusieurs constructeurs …
Voitures anciennesChrysler Turbine : un jet à 4 roues
Dans les années 50, le style automobile est fortement influencé par l’aéronautique et ses nouveaux avions à réaction. Mais pas seulement le style, car plusieurs constructeurs, dont GM, Ford, Fiat et Rover, travaillent sur des autos utilisant une turbine à la place du classique moteur à combustion interne. Mais c’est …
guideauto.tvEn studio : que se passe-t-il avec Lincoln?
Alors que plusieurs constructeurs se tournent vers l’électrification de leur flotte automobile, certaines marques trainent de l’arrière. Dans cette capsule En studio , Antoine Joubert et Daniel Melançon se penchent sur le cas de Lincoln . « Depuis 15 ans, Lincoln nous parle de la renaissance de la marque, de …
Voitures anciennesConcept GM LeSabre : l’électrochoc!
« Des autos toujours plus basses, plus longues, plus impressionnantes », telle était la philosophie de design de Harley Earl. Avec son concept fortement inspiré par l’aéronautique, il signalera le point de départ de la décennie de tous les excès en matière de style. Une association fructueuse À l'automne 1946, …
Voitures anciennesAlfa Romeo Carabo : en ligne droite vers le futur
C’est l’un des concepts les plus importants de l’histoire de l’automobile et l’un des plus saisissants. Il a directement inspiré les tendances stylistiques de deux décennies. Pourtant, tout est parti d’un échec commercial… Pour comprendre les origines de la Carabo, il faut remonter à 1964. Alfa Romeo commence alors le …
Voitures anciennesLe concept Mustang avant la Mustang
Le début des années 60 s’annonçait prometteur. En effet, Henry Ford II dévoila en 1962 la nouvelle politique de la Ford Motor Company : « Total Performance ». Et un beau concept pour l’illustrer ne pouvait pas faire de mal… À cette époque, les cadres de Ford marchent sur des …
Voitures anciennesConcept Buick Centurion : l’idée du futur… en 1956
En plus d’arborer des lignes radicales, ce concept de Buick est le premier de l’histoire à utiliser une technologie qui nous est aujourd’hui familière. Le 19 janvier 1956, les visiteurs de l’hôtel Waldorf-Astoria de New York découvrent les nouveaux concepts du Motorama de GM. Parmi eux, la Chevrolet Impala, l’Oldsmobile …
Voitures anciennesLes origines de la Lincoln Continental
Avant d’être l’un des noms les plus courants de la gamme Lincoln , la Continental a été l’un des designs les plus célébrés du 20e siècle. En 1951, elle sera l’une des 7 autos exposées au Musée d’art moderne de New York. Mais au départ, elle était un exercice de …
Voitures anciennesSix concepts Ford étonnants
Systèmes de propulsion exotiques, voitures à deux ou six roues, matériaux composites originaux, habitacle reconfigurable, moteur amovible… les ingénieurs et les designers de Ford ne manquaient pas d’idées. Encore fallait-il qu’elles soient un tant soit peu réalistes… Ford « Soybean car » 1941 Le plastique, c’est fantastique! C’est du moins …
Voitures anciennesFord Skyliner 1957-59 : toit (littéralement) ouvrant
Souvenez-vous : au début des années 2000, le futur des cabriolets passait par le toit rigide rétractable. Cette technologie est aujourd’hui tombée en désamour. Cependant, ce n’était pas la première tentative, loin de là. Ford l’avait déjà expérimentée dans les années 50. Avec le même résultat et essentiellement pour les …
Voitures anciennesLincoln Continental Mark IV : la guerre des égos
Derrière une automobile se trouvent des designers, des ingénieurs, des essayeurs, des ouvriers… et des dirigeants qui prennent les décisions finales. La Continental Mark IV s’est retrouvée au milieu de deux personnalités en conflit ouvert. Qu’importe, elle sera tout de même un succès commercial. La première Lincoln Continental est lancée …
Voitures anciennesConcepts Ford Probe : sculptés par le vent
Généralement, les véhicules concepts sont développés pour tester de nouvelles tendances ainsi que les réactions des acheteurs potentiels. Les prototypes Probe ont eu deux autres fonctions : éduquer le public et la direction de Ford et acquérir un nouveau savoir-faire. Dans les années 70, le design de Ford se limite …

À lire aussi

Et encore plus

En collaboration avec nos partenaires