Relâchement inquiétant du port de la ceinture en auto
Par Valérie Gonthier
Plus du tiers des automobilistes et passagers décédés sur les routes du Québec n’avaient pas pris la peine de boucler leur ceinture de sécurité l’an dernier. Un bilan qui inquiète des experts, qui craignent une nouvelle tendance.
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« C’est ridicule. C’est tellement un geste simple et ça réduirait de beaucoup le nombre de décès et de blessés graves si tout le monde la bouclait », déplore l’ancien policier et directeur de la Fondation CAA-Québec Marco Harrison.
En 2020, près de 35% des morts sur les routes du Québec, conducteurs et passagers confondus, ne portaient pas leur ceinture de sécurité. Il s’agit d’un important bond de 14% par rapport à l’année précédente.
« On voit un relâchement pour le port de la ceinture. C’est assez difficile à comprendre, parce que l’obligation date des années 1970 », s’inquiète M. Harrison.
Les 25-49 ans au banc des accusés
Plus de 55% de ces morts avaient de 25 à 49 ans. C’est peut-être simplement parce qu’ils étaient plus présents sur les routes l’an dernier, estime l’expert en reconstitution Pierre Bellemare.
Mais pourquoi de plus en plus de gens négligent--ils cette protection ?
« Simplement parce qu’ils peuvent ne pas la porter. Quand on connaît l’humain, on sait que dès qu’une situation est possible, on la prend », suggère l’enseignante à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Marie Claude Ouimet.
Pourtant, en cas de collision ou d’embardée, c’est la ceinture de sécurité qui retient le corps. Elle peut faire toute la différence « entre s’en tirer avec des blessures ou mourir », insiste M. Bellemare.
« Si tu roules à 100 km/h et que tu n’es pas attaché, au moment de l’impact, tu continues à être projeté à 100 km/h », illustre-t-il.
Autres témérités
« La personne est projetée contre la première chose qui se trouve dans sa trajectoire : siège avant, tableau de bord, pare-brise, autre passager », ajoute la porte-parole de la Société de l’assurance automobile du Québec, Sophie Roy.
Et c’est sans compter ceux éjectés de l’auto.
« L’éjection d’un véhicule, ça ne pardonne pas du tout, tu n’as rien pour te protéger », soulève le coroner Me Alain Manseau.
Et ceux qui ne s’attachent pas vont aussi être portés à rouler vite et à conduire avec les facultés affaiblies.
« Ne pensez pas que ça peut seulement arriver aux autres. Vous pouvez être le suivant », avertit Patrick Vaillancourt, qui vit depuis 15 ans dans un CHSLD parce qu’il ne s’était pas attaché.
Plusieurs observateurs pointent du doigt une sensibilisation insuffisante et la pandémie pour expliquer le laisser-aller quant au port de la ceinture de sécurité.
« En sécurité routière, on voit souvent le phénomène du petit enfant. Il faut répéter souvent. Quand on remarque un relâchement par rapport à une problématique, comme la ceinture de sécurité, c’est que les gens oublient rapidement. La nature humaine est comme ça, on oublie, on reprend les mauvaises habitudes », expose Marco Harrison, de CAA-Québec.
Dans le milieu des années 1990, les Québécois--- avaient été bombardés de publicités sur les dangers de ne pas s’attacher--- en voiture, se souvient la psychologue experte en sécurité routière Louise Nadeau.
« Ce qui est clair, c’est que si tu arrêtes de faire de la prévention, tu as une génération, la jeune, qui n’est pas exposée à l’information. Conséquence ? Certains ne s’attachent pas », indique la professeure émérite au département de psychologie de l’Université de Montréal.
Pas d’autres campagnes
Au Québec, la dernière campagne de sensibilisation sur le port de la ceinture de sécurité remonte à 2018, confirme la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
L’organisme ne prévoit pas à court terme marteler le message pour inciter conducteurs et passagers à s’attacher.
« On veut voir si 2020 a été une année atypique. Si on voit qu’il y a une tendance, on va intervenir », indique la porte-parole, Sophie Roy.
La COVID-19 a eu son effet sur le bilan routier. Même si les routes ont été désertées pendant plusieurs semaines au début de la pandémie, l’année 2020 a malgré tout été particulièrement mortelle, alors qu’on a déploré neuf décès de plus que l’année précédente.
Et la vitesse était également largement surreprésentée parmi les causes d’accidents graves et mortels, selon l’organisme du gouvernement québécois.
« Est-ce que c’est la population active qui a eu à se déplacer qui s’est permis d’aller vite puisqu’il y avait moins de monde sur les routes ? Est-ce que les gens se sentaient légitimés de rouler sans respecter les règles ? On devra l’analyser », dit Sophie Roy, de la SAAQ.
« On a tellement été mobi-lisé dans la contrainte depuis un an, l’importance de s’attacher--- était peut-être loin derrière », ajoute la psychologue Diane Thibodeau.
Bien viser
Cette dernière prône également la sensibilisation, mais à condition que le message « touche » ceux qui ne la bouclent pas.
« Pour certains, porter la ceinture, c’est bon pour les autres. Ça reste un vœu pieux, comme si ça ne représentait pas un réel danger. Tant que tu n’as pas eu peur d’y laisser ta peau, qu’un proche ou un ami se ramasse quadriplégique ou décède, c’est pour les autres et non pour toi, la ceinture », insiste-t-elle.