Qu'adviendra-t-il de Jaguar?
J’ai pu, au cours des dernières années, assister à l’arrivée de plusieurs nouveaux modèles Jaguar, participant parfois aux événements médias, comme celui de la berline XE et du F-PACE. L’impression d’une renaissance de la marque planait alors, puisque de nombreuses erreurs stratégiques avaient affecté l’image de ce constructeur par le passé. Pensez par exemple à la berline S-TYPE, partageant ses gènes avec la Lincoln LS, ou encore à la X-TYPE, se traduisant par une mauvaise Ford Contour.
Il faut dire qu’à l’époque où j’étais enfant, Jaguar évoquait la richesse et le prestige, bien au-delà de BMW ou Mercedes-Benz. En fait, j’avais l’impression d’une marque qui, dans l’échelle du luxe, faisait le pont entre les voitures allemandes et les Bentley et Rolls-Royce. Parce que l’élégance d’une XJS et la grâce d’une XJ-12 Sovereign ne se retrouvaient pas chez Mercedes-Benz. Et sans doute aussi, parce que je savais que le seul type qui possédait une Jaguar dans mon quartier était immensément plus riche que mon grand-père, qui roulait en Cadillac Deville!
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Souvenirs de jeunesse
Je me remémore même qu’en visitant le Salon de l’auto de Montréal, je me gardais le kiosque Jaguar pour la fin, parce qu’il s’agissait pour moi de la cerise sur le sundae. En 1993, à l’âge de 16 ans, j’avais passé environ 30 minutes à contempler cette sublime Jaguar XJ220 qui tournait sur un plateau, en plein centre du Stade olympique. J’en ai encore des frissons!
Évidemment, l’industrie automobile a beaucoup évolué depuis, et on ne peut pas dire que Jaguar a su le faire de façon aussi spectaculaire que les constructeurs allemands. Parce que Ford qui, à l’époque, en était majoritairement propriétaire, n’a pas fait les efforts nécessaires, mais aussi parce qu’à la fin des années 2000, la marque faisait carrément du sur place. Lorsque la compagnie indienne Tata Motors a racheté Jaguar, l’emblème anglais a connu un nouvel essor. Or, parce qu’au début des années 2010, les voitures commençaient déjà à plafonner en termes de popularité, on peut certainement affirmer que Jaguar a payé les frais du succès de Land Rover, l’autre marque anglaise acquise par Tata Motors, dont la popularité grimpe en flèche année après année.
Ainsi, et malgré l’arrivée de plusieurs nouveautés au cours des dix dernières années, les ventes de Jaguar n’ont cessé de fléchir, avec un court temps de pause suite à l’arrivée de l’utilitaire F-PACE. Un véhicule qui allait bien sûr changer le visage de la marque, assurant néanmoins la survie de celle-ci. Partageant l’ensemble de ses éléments techniques avec le Range Rover Velar, le F-PACE demeure encore aujourd’hui le seul produit véritablement populaire de Jaguar. Car, bien que l’entreprise ait depuis tenté une immersion dans le monde des VUS compacts de luxe avec le E-PACE, on ne peut pas dire que les ventes soient au rendez-vous.
En fait, Jaguar n’écoulait en 2020 que 265 E-PACE au pays, alors qu’Audi vendait tout près de 6 000 Q3. On peut donc conclure à l’échec, puisque même aux États-Unis, les ventes de ce nouveau venu sont symboliques. Ainsi, des 2 144 véhicules vendus par Jaguar au pays en 2020, 1 445 étaient des F-PACE. Une proportion alarmante considérant que la gamme compte cinq modèles, considérant l’abandon soudain des berlines XE et XJ. Puis, même constatation chez nos voisins du Sud, où les ventes dépassaient à peine 20 000 unités. Un nombre de ventes qui, à quelques centaines d’unités près, se compare aux chiffres de 1985. Ouch!
Qu’aimait-on des Jaguar du passé?
Certainement pas leur fiabilité, direz-vous! Et je seconde. Or, leur design unique, la richesse de leurs cuirs et boiseries, le vrombissement des moteurs, mais par-dessus tout, leur unique personnalité, faisaient en sorte qu’on les considérait comme des véhicules d’une classe à part.
Malheureusement, force est de constater que l’on a perdu cette image et que l’exercice de comparaison avec la concurrence est à présent trop facile, et loin d’être à l’avantage de Jaguar.
Alors, est-ce que Jaguar est condamnée à survivre dans l’ombre de Land Rover? Choisira-t-on un jour de tout simplement jeter l’éponge ? Ou est-ce que l’on se retroussera les manches pour redorer le blason d’une marque qui mérite que l’on s’y attarde? Chose certaine, on ne pourra pas continuer sur cette route pendant encore longtemps. Car pour l’heure, Jaguar ne se compare avantageusement qu’à Alfa Romeo et Maserati, étant même sur le point de se faire doubler par Genesis.
En terminant, bien que Jaguar ait lancé en 2019 un formidable véhicule électrique, sachez que seulement 64 I-PACE ont trouvé preneur au pays en 2020. Presque six fois moins qu’en 2019. Est-ce parce que l’on a manqué d’inventaire ou parce que son succès ne fut qu’un feu de paille?