Étape 3 – Mauvais calcul, pénalité mystère et nouveaux miracles

Nous étions en très bonne position au début de la troisième étape. La voiture me semblait solide et musclée après que notre copilote et chef mécano Stewart Hoo ait augmenté légèrement la pression de suralimentation du turbo. Et si cela ne suffisait pas, il allait pouvoir modifier les réglages sur son ordinateur portable tout en roulant. Très cool. Si Stewart a pu occuper sans hésitation et sans malaise le siège du copilote dans la journée de lundi, en remplacement de notre copilote officiel Keith Townsend toujours souffrant, c’est qu’il s’est souvent retrouvé dans le siège de droite de voitures de course, à pleine vitesse, sur des pistes comme le formidable circuit GP de Mosport à modifier la cartographie du moteur sur son portable sans même lever les yeux.

Les choses sont devenues un peu déconcertantes lors de la seconde spéciale de la journée, qui va de Frederickton à Carmanville. Elle débute par une accélération d’un kilomètre vers un virage à droite modéré, suivi immédiatement d’un virage très prononcé, d’une montée étroite, puis d’une série de serpentins précédant un virage à droite à angle droit qui débouche sur une route secondaire dégagée (je commence vraiment à parler comme un copilote...)

Nous nous sommes alors mis à rouler sérieusement vite et Stewart s’est aussitôt inquiété de voir notre calculateur Timewise afficher une avance de plus d’une minute sur ce qu’il avait établi comme chrono-cible pour cette spéciale. On ne doit jamais dépasser une moyenne de 135 km/h, sous peine de pénalité, et nous avons donc ralenti, de beaucoup.

La Nissan GT-R orange de Steve Millen et Mike Monticello nous a rattrapés peu après. Partis trente secondes après nous, ils ont ralenti un instant avant de réaccélérer. Puis ce fut au tour de Frank Sprongl et Rod Hendricksen de passer à bord de la glorieuse Audi Quattro Groupe B. C’est là que Stewart a senti un vrai problème et s’est écrié « Ok, on fonce maintenant. »

J’ai bien aimé cette partie là. En roulant à nouveau à fond, j’ai pu maintenir la cadence du maître Frank alors qu’il lance sa Quattro à haute vitesse dans les virages, en jouant sûrement du pied gauche sur la pédale du centre : « Je ne freine toujours qu’avec le pied gauche » m’avait-t-il plus tôt. Ce n’est pas tous les jours au Targa qu’on peut s’offrir un tel spectacle, avec les départs décalés de 30 secondes dans les spéciales.

Mais un kilomètre plus loin, notre problème restait entier: nous avions encore plus d’une minute d’avance sur le chronomètre et croyions alors risquer l’amende ou la pénalité. Nous avons donc ralenti et presque arrêté complètement pour laisser filer les secondes avant d’arriver aux panneaux rouges « Flying Finish » (quelle ironie) à la vitesse d’un escargot.

Encore complètement déconcerté, Stewart montre les temps cibles que nous avons utilisés à Frank Sprongl, qui reconnaît vite que ce sont là les chronos « Trophy Times » qui viennent après les temps de base du livre officiel. Ces temps déterminent l’admissibilité d’une équipe aux plaques Trophy tant convoitées qui récompensent la constance et la vitesse au Targa Terre-Neuve, et ils sont sensiblement plus longs que les chronos de base. À cette étape, notre chrono-cible correct était de 4:52 et notre temps « Trophy » de 6:24. Les copilotes expérimentés éliminent habituellement les pages affichant les temps Trophy des cahiers de route mais celles-ci sont demeurées alors que Keith préparait les instructions de la journée pour aider Stewart qui n’en était qu’à son troisième jour en tant que copilote.

Ce n’est qu’une des mésaventures de notre équipe, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous aurions facilement pu réussir cette étape, mais nous récolterons plutôt une grosse pénalité. Stewart pense qu’elle sera de 1:32, mais les résultats officiels de l’étape 3 affichent 6:44, ce qui nous relègue à la 24e place, assez loin de notre objectif. Soit qu’il s’agit d’une erreur et que nos pénalités totales de 2:23 nous situent quatorzièmes, soit qu’on nous a imposé une pénalité de cinq minutes pour des raisons obscures. La page « pénalités détaillées » affiche pour l’instant « pas encore disponible ». Keith va faire enquête.

En tête, Glen Clarke et Andy Proudfoot n’ont aucune faute sur leur Porsche 911 Carrera qui dégage autant de fumée grise qu’un dragster diesel au départ. En seconde place arrive l’équipe allemande de
Michael Stoschek et Philipp Spaeth, qui semble-t-il, pilotent leur Porsche 911 1965 vert lime avec des notes de circuit du genre rallye WRC, ainsi que la Acadian Canso 1967 de Jud Buchanan, trois fois deuxième et seul détenteur de la plaque Targa platine, flanqué de son copilote Jim Adams, avec seulement trois secondes de pénalité.

Et c’est toujours une bataille à trois dans la classe Grand Touring entre Brian Jarvis et Daphne Sleigh à bord de leur Mini Cooper S/JCW, Alan Kearley et Greg Martin dans leur Mazda3 GT bleue, ainsi que l’équipe père-fils de Ferdinand et Christoph Trauttmansdorff dans leur BMW 325i 1990 rouge, tous trois sans aucune pénalité après trois jours de compétition.

Cela dit, le plus palpitant de la journée fut de voir Stewart sortir ses outils et démanteler le panneau de contrôle électrique de notre Targa STI quelques minutes seulement avant le départ de Gooseberry Cove. L’allumage était mort sans explication quelques secondes après que j’aie grimpé la colline pour embarquer Stewart. J’étais tout sanglé, prêt à ’action, mais étrangement calme, subjugué par la frénésie de Stewart à tester toutes les possibilités de mauvaises connexions, fusibles et relais de notre voiture. Quelque part, je savais que Stewart nous remettrait en piste, et c’est ce qu’il fit, avec quelques minutes encore à faire. Juste à temps pour enfiler son casque, l’attacher et calmer un peu son rythme cardiaque.

Un autre miracle pour notre Targa. Sans Stewart, nous aurions abandonné ce rallye. C’est mon héros,  absolument. Sur la route du retour, nous sommes arrêtés à l’étonnant musée automobile « Vernon’s Antique Toy Shop » (http://www.vernonsantiquetoyshop.ca) et Stewart a conduit la Targa STI jusqu’à Marystown avec Cathy Cole, sa complice de tous les jours et grande coordonnatrice de toutes les activités de l’équipe de rallye de Subaru Canada, à ses côtés.

Quelle journée. Mais c’est normal au Targa Terre-Neuve.

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