Ma première fois au volant : Renault 18 1981
Dans cette série d’articles « ma première fois », les journalistes du Guide de l’auto vous racontent leurs premiers pas derrière le volant.
J’ai 14 ans. L’année scolaire est sur le point de terminer et je me suis trouvé, par l’entremise d’un ami, un petit boulot d’été sur une ferme de Mont Saint-Grégoire. Le travail visera pour 4 $ l’heure à érocher les champs, ce qui consiste à retirer toute la pierre qui a pu s’accumuler sur les terres agricoles au cours de l’année, avant de relancer la culture.
Le fermier en question a tellement de considération pour ma personne qu’il lui faudra au moins deux semaines avant de se rappeler mon nom. Et d’ici là, « heille chose » fera l’affaire ! Samedi et dimanche, jusqu’à ce que se terminent les classes, je marcherai donc des heures et des heures sur ces terres inégales en me penchant toutes les trois secondes pour amasser un caillou et le lancer sur cette vieille remorque, fixée à l’arrière d’un tracteur sans doute cinquantenaire. Rien de très palpitant, vous en conviendrez, sauf qu’avec les quelques blancs-becs qui m’accompagnent, on réussit à s’amuser. Sans bien sûr se lancer des roches!
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En plein travail lors de mon second week-end, l’heure du lunch arrive et nous nous trouvons au bout d’une des terres. Afin de sauver du temps, le fermier me crie « heille chose », me demandant d’aller chercher les lunchs à la maison, préparés par son épouse. Des sandwichs à la viande de Bologne (du baloney!), des carottes, des May West et des jus de pomme chauds.
Je m’en souviens encore! Pour récupérer les lunchs, il me faut toutefois prendre la « minoune » de la ferme qui traîne justement au fond du champ. Une berline Renault 18 1981 de couleur noire, plus crasseuse qu’un conteneur à déchet, et qu’on démarre au moyen d’un tournevis plat, parce que les clés ont été perdues depuis belle lurette.
« Envouèye ! Pogne el’char pis va chercher les lunchs » me lance le sympathique fermier, qui ne m’interroge même pas pour savoir si j’ai déjà conduit une voiture. Je prends donc place à bord de ladite Renault, ne croyant pas qu’une voiture puisse être si sale.
Il faut dire qu’elle ne sert que sur les terres, qu’elle n’est plus immatriculée et que le silencieux brille par son absence, au même titre que la lunette arrière. Comprenez ainsi que lorsqu’il pleut, la banquette arrière jadis de couleur beige, mais désormais d’un gris cendre, se transforme en étang d’eau. Ne manque que les grenouilles.
Du plaisir malgré tout
Tout de même excité parce que je conduirai une voiture pour une première fois, je démarre cette Renault à l’aide du tournevis et tente de la reculer en plaçant le levier de la boîte automatique en position R. C’est alors que le fermier me crie que le « reculon » ne fonctionne pas. Or, devant moi se trouve un fossé creux de six pieds.
Je « crampe » alors à gauche au maximum en priant le seigneur que la voiture ne l’enlise pas dans le vide et j’accélère tout en douceur, position du levier à D. Oh mon Dieu! Ça passe. Yeah! Me voilà soulagé. J’emprunte donc le sentier qui mène à la maison, qui se situe environ à deux kilomètres. Et honnêtement, j’ai du plaisir ! À manœuvrer la voiture sur ces sentiers cahoteux et à voir le compteur de vitesse grimper à 30, puis 35, puis 40 km/h.
Je me rappelle du kilométrage, qui affichait 201 000 km, ce qui m’avait impressionné, de même que cette jauge à essence dont l’aiguille était aussi dansante qu’une poupée hawaïenne qu’on aurait placée sur le tableau de bord. Arrivé devant la maison, je cogne pour récupérer le festin qui a été placé dans une grosse boîte de bois. Celle-ci prendra place sur la banquette arrière puisque le coffre de la voiture est condamné. La serrure est saisie et de toute manière, la clé n’existe plus.
C’est alors que je réalise que la voiture est placée face devant la maison. Aucun moyen de me retourner en avançant la voiture. Gêné, parce que je ne voudrais surtout pas demander l’aide de l’épouse du fermier, je place donc la voiture au neutre.
La légère pente de l’entrée vers la maison sauvera heureusement mon honneur, puisque je pourrai utiliser ce petit élan pour reculer et ensuite repartir vers l’avant. Je l’avoue, l’exercice ne s’est pas fait sans qu’un stress en zone rouge ne s’installe, puisque je reculais une voiture pour la première fois de ma vie.
Cette étape passée, je reprends donc le chemin de ce sentier qui mène à l’équipe en profitant de chaque seconde. Comme s’il s’agissait d’un moment d’extase. Et puis, à bien y penser, c’en était un. Un moment cocasse, mais certainement formateur.
Inutile de vous dire qu’en arrivant à côté du tracteur et de l’équipe qui attendait impatiemment le lunch, j’ai pris soin de garer la voiture de façon à pouvoir repartir avec elle, si l’occasion se représentait. Hélas, je n’aurai conduit cette guimbarde qu’une seule fois. De toute manière, il est clair qu’elle était sur le point de prendre le chemin de la ferraille…ou du fossé.
Maintenant, pourquoi ce fermier avait-il en sa possession une Renault 18? Une voiture si curieuse et si rare en milieu rural. Pourquoi pas une vieille camionnette Chevrolet, ou Datsun, comme on en voyait partout sur les terres à cette époque? Encore aujourd’hui, c'est un mystère. Tout comme mon nom, qui ne reviendrait certainement pas à la mémoire de ce vieux fermier, s’il est toujours de ce monde.