Infiniti à la traine?
L’automobile est un marché sans pitié où la compétition est féroce. Les acheteurs se procurent une image, du rêve, des technologies, ou craquent pour un design, une odeur de cuir, voire même un porte-parole!
Dans le monde du luxe aujourd’hui clairement dominé par les Allemands, une dizaine de marques tentent aussi d'accaparer une part du gâteau. Parce que si même si Cadillac a jadis dominé le segment, cette division de GM ne se contente aujourd’hui que de 4,5% du marché du luxe au pays.
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Il faut dire que depuis les années de gloire de Cadillac, plusieurs nouveaux joueurs ont débarqué. Pensez bien sûr au trio de marques japonaises (Acura, Infiniti, Lexus), mais d’abord à Audi, BMW, Jaguar et Volvo, jadis considérées comme marginales. Même les Coréens ont récemment emboîté le pas, signe que le luxe attire et qu’il est payant. Parce que s’il est lucratif pour General Motors de vendre un Chevrolet Tahoe, imaginez alors le profit réalisé sur un Cadillac Escalade, qu’on facture à 30 000$ de plus ! Et en comprenant cela, vous avez donc l’explication sur l’existence de l’Infiniti QX80, cloné à partir d’un Nissan Armada.
Pour Infiniti, il s’agit bien sûr d’une formule simple et efficace, qui permet de renflouer les coffres d’une division qui s’apprête à vivre une sérieuse métamorphose. Des changements radicaux et qui seront indispensables pour la survie de cette marque, pour qui les jours ont déjà été plus heureux.
Les chiffres
Bien sûr, vous pourriez analyser les chiffres de vente (12 000 ventes canadiennes en 2018) et penser que tout roule sur des roulettes. Or, Infiniti vit actuellement une période difficile et complexe sur le plan stratégique. Pensez d’abord à l’échec de la marque sur le marché européen, qu’on a récemment laissé tomber, mais aussi au départ de Christian Meunier, qui a quitté la tête d’Infiniti pour reprendre ce rôle du côté de Jeep. M. Meunier, à qui l’on doit notamment le succès des Nissan Micra et Qashqai au Canada, a gravi les échelons de l’entreprise en cumulant les succès stratégiques. Son départ constitue donc un réel problème pour Infiniti, qui ciblera désormais que l’Amérique du Nord et la Chine. Puis, cette semaine, on annonçait le départ du designer montréalais Karim Habib, portant aujourd’hui le chapeau de chef du design de Kia.
En matière de produit, l’abandon du QX30 débarqué en 2016 dans un segment qui ne cesse pourtant de gagner en popularité illustre clairement une mauvaise décision stratégique de la part d’Infiniti, qui s’était associé à Mercedes-Benz pour son développement. Quant au nouveau QX50, dont les ventes demeurent symboliques à l’échelle nord-américaine par rapport à la compétition, on ne peut là non plus parler d’une réussite. Un produit certes élégant et bourré d’innovations technologiques, mais dont la conduite est loin d’être aussi dynamique que le laisse présager la ligne de sa carrosserie.
Bien sûr, le QX50 doit tenter de séduire une clientèle n’étant pas déjà acquise par Infiniti, mais il faut comprendre que le constructeur, qui a pourtant connu un succès monstre avec son FX35/45, n’a pas su s’adapter à un marché en pleine transformation. Résultat, il se vend aujourd’hui quatre Audi Q5 pour un QX50, et trois fois plus d’Acura RDX, de BMW X3 et de Lexus NX. Même Porsche, qui vend pourtant son Macan à prix drôlement plus élevé, et qui n’a certainement pas le même réseau de concessionnaires, a réussi à vendre 35% plus de véhicules dans ce segment que la division de luxe de Nissan, au Canada.
Les concessionnaires Infiniti peuvent cependant toujours compter sur le vieillissant QX60, cloné à partir des bases du Nissan Pathfinder, pour atteindre leurs objectifs de ventes mensuelles. Un véhicule spacieux, confortable, polyvalent et d’une grande fiabilité, mais qu’on se procure beaucoup plus par raison que par passion.
Et les voitures, elles?
Franchement impressionnantes, et toujours aussi belles. Autant la berline Q50 que le coupé Q60, qui illustrent à merveille le réel ADN de cette marque. Une marque qui a vendu la performance avant le luxe, mais qui réalise hélas que la clientèle n’est désormais plus en quête de puissance et d’adrénaline comme c’était jadis le cas. Voilà donc pourquoi le duo Q50-Q60 vend moins, représentant à peine 25% des ventes de la marque. Sachez d’ailleurs que la dépréciation de ces voitures est très forte, autre signe du désintérêt de la clientèle pour cette voiture. À preuve, l’exemple d’un ami personnel ayant payé environ 65% du prix d’une Q50 neuve chez un concessionnaire Infiniti, qui liquidait alors plusieurs véhicules âgés d’un an, affichant entre 9 000 et 15 000 km au compteur!
Par cela, comprenez que l’image de la marque Infiniti bât de l’aile. Que les gens ne voient aucun prestige dans cet emblème, et qu’ils achètent pour le produit, non pas pour l’image. Une réalité pourtant bien différente du côté des marques allemandes.
Comprenez également qu’il peut être intéressant de regarder (dans le cas des voitures) du côté des modèles d’occasion, pour mettre la main sur une réelle aubaine. Parce d’obtenir une berline Q50 S 3.0t AWD usagée d’un an avec 15 000 km au compteur pour le prix d’une Altima SV (milieu de gamme), en obtenant de surcroît une garantie équivalente à celle d’une Nissan flambant neuve, ça peut être fort alléchant.
Maintenant, les prochaines années seront critiques pour Infiniti, qui promet une offre électrifiée à hauteur de 50% d’ici 2025. Mais il faudra que les stratèges de l’entreprise empruntent une voie qui plaira aux consommateurs, en peaufinant surtout l’image de sa marque. Car rien n’est plus néfaste pour un constructeur que d’offrir des produits qui sont plus forts que le logo qu’on y appose. Parlez-en à Lincoln…