La voiture média prise pour acquis

Au Québec, nous sommes une cinquantaine chaque lundi matin à récupérer des véhicules média. Des véhicules immatriculés au nom des constructeurs automobiles et spécifiquement dédiés aux chroniqueurs automobiles.

De la Nissan Micra au Bentley Bentayga, nous avons l’embarras du choix. Suffit de demander et, la plupart du temps, on obtient. Aussi simple que ça. Bien sûr, le constructeur automobile demandera en retour de ce prêt que le chroniqueur partage ses impressions sur ledit véhicule. Qu’importe sur quel média, pourvu que le véhicule fasse parler de lui.

Évidemment, comme dans tout métier, certains chroniqueurs tirent avantage de ce large bénéfice. Et parfois, sans donner en retour. Soit parce qu’ils ne partageront jamais leur opinion, ou parce qu’ils n’emprunteront les véhicules que pour leur bénéfice personnel, mettant de côté la véritable fonction de leur métier.

Parce que de mettre à l’essai que de grosses voitures de luxe, surtout lorsqu’on s’adresse au public québécois, ça ne fait aucun sens. Je vous dirais même que plusieurs chroniqueurs prennent à ce point la voiture média pour acquise qu’ils ont tout simplement choisi de ne plus posséder de voiture. Or, le jour où le véhicule d’essai prévu n’est soudainement plus disponible, ces derniers doivent quémander. Parce leur propre voiture…n’existe pas!

Comment est-ce qu’un chroniqueur automobile qui n’a pas possédé de véhicule depuis dix, voire vingt ans, peut-il être en position de vous conseiller sur la façon d’en acheter un? Je m’interroge encore sur la question. Cela dit, je l’admets, la voiture média fait aussi partie de ma vie. Et le jour où elle disparaîtra de ma réalité, il s’agira d’un deuil. Rien de moins.

Il y a aujourd’hui vingt ans, on me prêtait un premier char de presse! Une Volvo S40 1,9T 2000, empruntée dans le cadre d’un match comparatif du Guide de l’auto 2001.

Difficile de vous décrire quel était pour moi le degré d’excitation de pouvoir me promener plusieurs jours au volant de cette voiture neuve, sur laquelle j’allais être appelé à donner mes impressions. Et franchement, le modèle de voiture n’avait pas d’importance. Parce que le seul fait de pouvoir y accéder était excitant. Inutile de vous dire que je suis rapidement devenu accroc! Même si à l’époque, plusieurs compagnies me refusaient l’accès à leurs véhicules.

En fait, Honda, Ford, Kia et Suzuki ont été parmi les premiers à me prêter des véhicules sans restriction. Difficile à croire, mais je prenais plaisir à sauter derrière le volant d’une Suzuki Esteem pour l’évaluer de fond en comble. Avec la sérieuse conviction que j’allais livrer la meilleure analyse possible. Me suis-je parfois planté? Vous n’avez pas idée! Parce que pour bien faire ce travail, qu’on le veuille ou non, ça prend plus qu’une conviction et une passion. Les connaissances sur l’industrie, la recherche et bien sûr, l’expérience, sont également nécessaires pour bien livrer ses impressions sur un produit. Et comme plusieurs de mes collègues, je l’ai appris à mes dépens.

En toute humilité, mes connaissances n’ont pas souvent été un problème. En revanche, lorsqu'on me confiait pour la première fois les clés d’une BMW 540i, laquelle avait été conduite la semaine d’avant par Jacques Duval, j’avais le sentiment de ne pas pouvoir livrer la même qualité de travail. Mais…oui, j’étais toujours aussi excité!

Depuis le début des années 2000, rares sont les semaines où je n’ai pas emprunté de voitures. Parce que mon métier me le demande, et parce que j’adore ça. Parmi les plus mémorables? La BMW M Coupe 2006, la Pagani Huayra, l’Echo RS 2004 ou la Saab 9-3x. Toutes pour des raisons bien différentes, vous vous en doutez bien. Et j’ajouterais à cela la Pontiac G6 2009, qu’on m’a obligé à retourner chez GM le jour où on annonçait la faillite de l’entreprise. On m’a par la suite affirmé que j’étais le dernier journaliste canadien à avoir conduit une Pontiac…

La centaine de voitures empruntées chaque année ne m’a toutefois pas empêché de posséder, depuis le début de mon métier, des dizaines de voitures, qui contribuent elles aussi à assouvir ma passion. Des voitures neuves pour les besoins familiaux, et qui m’ont permis de vivre de vraies expériences client, mais surtout des plus vieilles. Parfois, de véritables cancers sur roues et d’autres fois, de vieux classiques ou de belles sportives. Et puis, des camionnettes! Parce que j’aime ça. Un plaisir coupable…

Vingt ans plus tard, la même passion m’habite. J’emprunte encore des voitures, deux par semaine, de manière candide, comme s’il s’agissait d’un acquis. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Or, pour la première fois cet hiver, je dois vous admettre une chose. Je me suis un peu lassé.

Certes, de l’hiver lui-même (!), mais aussi de conduire tous ces damnés VUS qui manquent cruellement de personnalité. Santa Fe, Pathfinder, Edge, Pilot, Acadia, Tiguan, nommez-les. Pour la plupart très compétents, mais tous conçus sur le même genre de moule. Pas d’âme, de passion. Vous pourriez pratiquement interchanger les logos de leur calandre que personne ne s’en rendrait compte!

Alors, ce printemps, je vous le jure…je vais conduire mes voitures! Plus que jamais. Prendre plaisir au volant de ma vieille Honda CRX, de ma puissante Mustang ou même de ma très caricaturale AMC Matador familiale 1978!

Sauf que…dans les prochaines semaines, j’ai aussi à l’horaire l’essai de la Volkswagen Arteon, du Jeep Cherokee turbo, de la Chevrolet Camaro 1LE et de la Nissan Leaf Plus. Oui, je sais…pas facile comme dilemme. Mais bon, c’est ma réalité!

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