Parce que je tiens à mes deux jambes
Vous pensez que le trafic d’odomètre est chose du passé? Alors, détrompez-vous.
Ce fléau est aujourd’hui si étendu qu’il est facile de croire que 20% des véhicules âgés de plus de cinq ans qui circulent au Québec n’affichent pas le bon kilométrage. Et si le véhicule provient d’une autre province ou des États-Unis, alors là, vous pouvez être pratiquement certain qu’il est trafiqué.
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Évidemment, je n’ai pas de preuves ou de statistiques tangibles sur ce que j’avance. Mais il me paraît évident que ces chiffres sont réalistes. Parce que j’œuvre dans le domaine depuis 20 ans, parce que j’en vois de toutes les couleurs et surtout, parce qu’il est aujourd’hui plus simple que jamais de trafiquer un odomètre.
C’en est à ce point ridicule qu’il vous est aujourd’hui possible de commander sur eBay et ce, en toute légalité, un module électronique de quelques centaines de dollars vous permettant de le faire vous-même. Suffit de brancher ledit dispositif dans la prise électronique (OBD II) de votre voiture, située au bas de votre planche de bord. Vous n’êtes pas certain du mode de fonctionnement du module? Visionnez alors la vidéo appropriée sur YouTube. Cinq minutes plus tard, vous aurez donné une nouvelle jeunesse à votre voiture!
S’il est à ce point facile pour un individu de trafiquer un odomètre, alors imaginez comment il est simple pour de vrais fraudeurs professionnels d’effectuer le boulot. Il faut comprendre qu’aujourd’hui, plusieurs individus (et ils se comptent par centaines) gagnent quotidiennement leur vie en trafiquant des odomètres. Parfois, ces derniers ont pignon sur rue, s’affichant même comme professionnel du « réajustement d’odomètre » alors que la plupart du temps, vous ferez affaire avec un type qui se déplace à domicile ou dans un garage pour effectuer 10, 15 ou 20 véhicules dans une journée. Coût de l’opération? De 250 $ à 1 000 $, selon la valeur du véhicule et surtout, la complexité de l’opération. Parce qu’une Mercedes-Benz est plus complexe à trafiquer qu’une Mitsubishi.
Des fraudes, mais pourquoi?
Les fraudes proviennent de partout. De l’individu qui a loué une voiture, qui a dépassé son allocation de kilométrage et qui ne souhaite évidemment pas débourser les frais conséquents. D’une agence de location à court terme qui trafiquera ses véhicules avant de les envoyer à l’encan afin d’obtenir davantage lors de la vente. Du commerce de véhicules neufs qui « modifiera » le compteur d’un client afin de pouvoir bonifier la valeur d’échange, pour ensuite vendre le véhicule en Ontario ou aux États-Unis. Ce dernier pourrait aussi mettre des véhicules sur la route comme « démonstrateur » pour ensuite réajuster le compteur à quelques centaines de kilomètres, même si le véhicule en a parcouru 20 000 ou 25 000. Et dans l’occasion?
On le fait couramment, souvent sans souci, mais non pas sans avoir fait enquête sur ledit véhicule, pour s’assurer que les traces du kilométrage réel se font rares. On a même déjà vu des cas où de gros revendeurs de voitures d’occasion bien connus engageaient des gens à temps plein pour trafiquer des compteurs... à longueur de journée!
Un véhicule d’occasion qui provient de l’Ontario ou d’ailleurs? Alors là, on recule sans se poser de questions. Voilà d’ailleurs la principale raison pour laquelle certains revendeurs et commerçants s’y approvisionnent. Parce que dans les faits, il n’y a aucune logique à acheter une voiture à Toronto, pour laquelle il faudra payer du transport et une inspection, alors qu’on peut trouver la même chose au Québec.
Et pourquoi est-ce ainsi? Parce que les systèmes informatiques des provinces ne se parlent pas. Parce que même si l’ancien propriétaire ontarien a mentionné le kilométrage au bureau des immatriculations, l’information n’est pas transmise au Québec, contrairement aux points d’inaptitude! Valider le kilométrage n’est pas non plus le rôle de celui qui effectue l’inspection mécanique de la voiture qui arrive au Québec. Ce dernier saurait évidemment vous dire, ne serait-ce que par l’état du véhicule, que le kilométrage affiché est suspect, mais ça ne fait pas partie de son mandat. Pour lui, il importe uniquement que le véhicule soit sécuritaire.
Et CarFax dans tout ça? D’abord, pour les non-initiés, sachez qu’il s’agit d’une base de données qui accumule notamment les informations d’entretien et de réparation des véhicules. On saura avec ce système où ont été effectués les entretiens et à quelle fréquence, si le véhicule a été accidenté, d’où il provient plus encore. Et bien sûr, on sera en mesure de faire le suivi du kilométrage. Du moins, techniquement. Parce qu’il semble que certaines personnes aient hélas trouvé la manière d’effacer de ces bases de données les informations relatives au kilométrage. Pas mal, hein? Et bien sûr, pour qu’un véhicule soit fiché, encore faut-il que ce dernier soit passé par des marchands qui adhèrent au système. Ce qui n’est évidemment pas le cas de tous.
Le fléau est à ce point problématique qu’il est aujourd’hui plus difficile de vendre des véhicules en toute honnêteté. Vous aurez évidemment compris qu’une voiture qui affiche 80 000 km au lieu de 160 000 km peut gagner plusieurs milliers de dollars de valeur. Tout ça pour 300 $ et 10 minutes de travail! Et comme les lois en place ne sont pratiquement jamais appliquées, les fraudeurs comme les individus mal intentionnés ont le champ libre.
L'inaction de la SAAQ
Évidemment, je condamne ardemment ce problème qui perdure depuis des lunes. Mais vous ne me verrez jamais cibler un malfaiteur ou encore pire, un réseau professionnel qui aurait tout intérêt à me casser les deux jambes. En revanche, je me permets de critiquer avec hargne l’aveuglement volontaire du Gouvernement qui encourage les individus et l’industrie à de telles pratiques. En se fichant de l’application des lois, en ne modernisant pas les systèmes informatiques et en fermant les yeux sur des dénonciations multiples, les autorités sont selon moi celles qu’il faut d’abord condamner.
Pourquoi n’applique-t-on pas les lois en place? Voilà la grande question. Réponse : pour la simple raison qu’en laissant les malfaiteurs trafiquer les odomètres, la SAAQ collecte davantage de taxes sur chaque transaction automobile.
Parce qu’une voiture vendue à 15 000 $ au lieu de 10 000 $ génère 2 250 $ de taxes au lieu de 1 500 $. Demandez-vous alors si le Gouvernement est intéressé à débourser des sommes pour faire enquête et appliquer des lois, tout ça avec pour conséquence de perdre des millions de dollars en taxes qu’on perçoit frauduleusement. Poser la question, c’est y répondre.
En étant extrêmement conservateurs, affirmons pour le plaisir qu’un véhicule d’occasion sur dix a vu son compteur trafiqué. Qu’à chaque fois, le gouvernement a perçu ne serait-ce que 250 $ supplémentaire en taxes. Il se vend annuellement autour de 700 000 véhicules d’occasion au Québec. Faites le calcul, en sachant très bien que les chiffres réels sont assurément beaucoup plus élevés!
Alors voilà, vous avez maintenant le portrait d’une industrie malsaine, conséquence d’un gouvernement qui, par personne interposée, vole chaque jour des centaines d’automobilistes à leur insu.
Heureusement, il existe encore des gens et des commerçants honnêtes. Et surtout, des moyens pour s’assurer du kilométrage d’un véhicule. Quels sont-ils? Pour le savoir, lisez ma prochaine chronique!