SRT Viper 2014: La bête est de retour
La Viper est à la Corvette ce que les Rolling Stones sont aux Beatles. Une créature gonflée d’énergie, excessive et même un peu sauvage. Les premières étaient assez brutales, crues et dépouillées. Elles ont quand même rallié une légion de fanatiques et ont raflé au passage quelques précieux trophées aux 24 Heures du Mans. La nouvelle Viper est parfaitement reconnaissable et pourtant à des lieues de ses ancêtres en termes de qualité, de raffinement et de modernité. Mais chassez le naturel…
Le projet fou de créer la première Viper est venu de quatre maniaques qui rêvaient d’une interprétation moderne de la féroce Shelby Cobra. Parmi eux, le grand Carroll Shelby qui avait donné son nom à ce premier reptile et Bob Lutz, toujours visionnaire, qui était l’un des patrons chez Chrysler. Après le succès retentissant du prototype au Salon de Detroit 1989, la Viper R/T 10 de série fut développée en trente mois. Ce roadster au monstrueux V10 de 8,0 litres était l’imperfection même avec une silhouette en coup de poing et un caractère féroce. C’était parti.
La Viper a été redessinée en 1996, 2003 et 2008. En chemin, la version coupé aura gagné les 24 Heures de Daytona et dominé sa catégorie aux 24 Heures du Mans pour grossir encore son armée d’inconditionnels. Chrysler a néanmoins cessé de la produire en 2010 et a même sérieusement songé à vendre cette marque déjà mythique.
Renaissance à l’italienne
Si une cinquième génération de la Viper est lancée cette année, c’est grâce à l’ex-Montréalais Ralph Gilles, chef du style et du groupe SRT chez Chrysler. Sa passion pour le pilotage et pour cette grosse bête qu’est la Viper a réussi à convaincre l’ex-Torontois Sergio Marchionne, grand patron chez Chrysler-Fiat, de la nécessité de faire renaitre cette sportive hors-norme au cœur de la tempête financière que l’on sait.
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La rumeur a parlé d’une Viper inspirée de la magnifique Alfa Romeo 8c et propulsée par un V8 italien, ce qui aurait possiblement provoqué une deuxième révolution américaine. Le produit final repose plutôt sur une version entièrement revue et bonifiée du châssis à caissons de la 4e génération, enveloppé d’une carrosserie aux lignes parfaitement reconnaissables dont chaque morceau est pourtant inédit. Sous le grand capot, un V10 à culbuteurs de 8,4 litres dont chaque molécule est différente. Et derrière les longues portières, un habitacle dont chaque centimètre carré est nouveau.
Jamais deux sans trois
Pour rendre la Viper attrayante aux yeux d’une clientèle plus large, le groupe SRT en a d’abord créé deux grandes versions qui furent vite rejointes par une troisième, plus ciblée, qui combinait des éléments des deux autres. C’est aux purs et durs de la Viper que s’adresse d’abord la version SRT dont l’équipement et la suspension sont plus simples, mais qui profite du même V10 et fournit un confort très correct et les mêmes systèmes de sécurité.
La version GTS a pour double mission d’être docile et confortable sur la route et féroce sur un circuit. Pour concilier ces deux extrêmes, elle dispose d’amortisseurs Bilstein réglables qui offrent un mode Street pour le confort de roulement et le mode Race pour le pilotage sur circuit. La nouvelle Viper est dotée d’un système antidérapage pour la première fois et celui de la GTS peut se régler de quatre manières distinctes : pleinement activé, sport, circuit et désactivé. Celui de la SRT est pleinement actif ou le contraire.
La troisième version est la TA (pour Time Attack) conçue pour être encore plus performante sur circuit. Fabriquée à seulement 33 exemplaires, tous de couleur orange, elle reçoit une entretoise, un aileron et un becquet en fibre de carbone et des roues d’alliage Sidewinder ultralégères. Les tarages des amortisseurs Bilstein réglables ont été revus pour le circuit et les pneus sont des Pirelli P Zero Corsa.
Les formes et le fond
La Viper c’est une silhouette longue, toute en muscles, dont chaque détail a été peaufiné autant par les stylistes que par les aérodynamiciens. Le coefficient de trainée de 0,369 est raisonnable et on la promet stable jusqu’à sa vitesse de pointe de 330 km/h. Elle est plus légère que sa devancière de 68 kilos grâce à un capot, un toit et un hayon en fibre de carbone et des portières en aluminium. On peut l’alléger encore de 26 kilos avec le groupe Track Pack qui comprend des disques de frein et des roues d’alliage plus légers en plus de pneus Pirelli P Zero Corsa plus mordants.
De l’extérieur, les SRT et TA se reconnaissent aux six évents de leur capot alors que celui de la GTS n’en compte que deux. Toutes les Viper partagent une grande prise d’air à l’avant du capot pour gaver le moteur, de grandes sorties d’air en croissant derrière les ailes avant, des échappements latéraux et un toit à double bulle.
Le dessin du tableau de bord est simple et sa finition soignée. Les cadrans et le tableau d’affichage droit devant sont clairs et nets comme l’écran tactile de 8,4 pouces au centre. La quantité de menus et de commandes qui s’y affichent est toutefois déroutante au premier abord. La console centrale plus basse dégage mieux les coudes, mais l’espace est toujours compté pour le pied gauche du conducteur qui se trouve à l’étroit sur le petit repose-pied en aluminium. C’est le prix à payer pour un V10 monté en position très reculée qui permet une excellente répartition des masses mais impose une console très large.
Les GTS se démarquent par le cuir qui couvre toutes les surfaces qu’on peut voir ou toucher. Les SRT ont droit aux mêmes sièges sport du spécialiste italien Sabelt, mais ils sont enveloppés plutôt de nylon et d’un vinyle robuste et n’offrent que des réglages manuels. Leur cockpit n’a rien d’austère pour autant avec du cuir pour le tableau de bord et les grands contrôles.
De muscles et de nerf
Le V10 de la Viper a conservé ses dimensions essentielles, mais toutes ses composantes sont nouvelles. Il atteint désormais 640 chevaux et 600 lb-pi de couple. Il est plus léger de près de 12 kilos grâce à un collecteur d’admission en matériau composite, des soupapes refroidies au sodium et un volant en aluminium qui permet des montées en régime plus vives.
La boite manuelle Tremec TR6060 est toujours la seule offerte. Ses rapports sont plus serrés et on peut maintenant rouler en ville et atteindre la vitesse maximale avec une 6e plus démultipliée. Son levier est plus court, mais il faut y aller fermement pour passer les vitesses. L’embrayage à double disque réduit l’inertie de rotation et la pédale est légère, mais la course pourrait être réduite de moitié. Le différentiel autobloquant de série répartit le couple entre les énormes pneus arrière et le nouveau mode Départ-canon devrait permettre de démarrer sans les liquéfier.
Difficile de se sentir à l’aise au premier contact avec la nouvelle Viper malgré les gains en raffinement et en qualité. Malgré l’antipatinage, l’antidérapage, les freins ABS et la collection de coussins gonflables. D’abord à cause du peu d’espace pour le pied gauche et de cet embrayage qui mord très haut. À cause aussi d’une visibilité mesurée. Même si l’électronique veille, les 600 lb-pi de couple de la Viper inspirent le plus grand respect sur la route.
Dès le premier virage, on est par contre impressionné par la précision de la direction et du train avant. La grande entretoise en X sous le capot y est pour beaucoup dans un gain en rigidité structurelle évalué à 50 %. Sur circuit, la Viper inspire confiance avec toute cette adhérence et l’équilibre impeccable de ses masses. Le couple du V10 est toujours là, mais la cavalerie ne s’ébranle pas et le chant rauque des échappements ne s’affirme qu’à plus haut régime.
La GTS est stable et précise en piste, ses amortisseurs Bilstein trois fois plus fermes en mode Race. Néanmoins, ils sont réfractaires à la moindre fente ou saillie sur la route si l’on conserve ce réglage. Le roulement est par contre meilleur que dans la SRT si l’on passe en mode Street. On peut alors profiter de la chaine audio et des autres raffinements de celle qui se prend maintenant aussi pour un grand-tourisme. Il faut toutefois voyager léger parce que le coffre n’est pas grand.
Avec les nouvelles ambitions de la Corvette, la SRT Viper est beaucoup plus seule, désormais, dans le créneau des sportives américaines farouchement traditionnelles. Reste à voir si ses créateurs s’en contenteront.