Rolls-Royce Phantom, une centenaire bien portante
Je ne croyais pas que j'aurais un jour à parler de mes histoires de fesses : je l'ai fait, une fois, l'an dernier. Je ne suis pas le seul : John Lennon, Grace de Monaco, Mohammed Ali et le Chah d'Iran l'ont fait aussi. La Reine d'Angleterre ? C'est la pire de toutes, elle le fait presque chaque jour depuis qu'elle est toute petite. Quoi donc ? demanderez-vous. Poser ses royales foufounes sur le siège luxueux d'une Rolls-Royce, of course !
Il s'agit indubitablement d'un privilège rare, même si l'on peut vraisemblablement supposer qu'en cent années d'existence, bien des gens ont eu l'occasion de monter à bord de l'aristocratique carrosse. C'est en mai 2004, en effet, qu'ont eu lieu les célébrations du centième anniversaire de la rencontre entre l'homme d'affaires Charles Rolls et l'ingénieur Henry Royce. On a annoncé pour l'occasion la création d'une édition à 35 exemplaires, la "Centenary Phantom", qui prend place dans le catalogue aux côtés de la Phantom. Leurs différences ne tiennent qu'à quelques détails de style. Avec la Centenary, les lettres RR du célèbre écusson retrouvent leur teinte rouge d'avant 1930, plutôt que le noir. Autre couleur aussi (curzon foncé!) pour la carrosserie et les cuirs, tandis que les cadrans reçoivent un nouveau fini anodisé, et que la mascotte "Spirit of Ecstasy" qui orne le devant du capot, revêt une tenue d'argent massif. Bagatelles ? Peut-être bien, mais elles exigeront un déboursé supplémentaire de quelque 40 000$.
Voiture de la démesure
Ces détails en disent long sur la démesure de cette voiture légendaire, à l'image des formidables défis qu'a su relever BMW, l'actuel titulaire de la marque. Résumons : Volkswagen a acheté les installations Rolls-Royce en 1998, pour s'apercevoir que le marché n'incluait pas le droit de produire des voitures sous ce nom, privilège que BMW a finalement acquis, cette même année, au terme d'une âpre lutte. L'allemande se donnait jusqu'au début de janvier 2003 pour créer une voiture inédite, et construire une usine en Angleterre afin d'en assurer la production.
Le 2 janvier 2003, la presse mondiale était invitée à admirer la toute nouvelle Rolls-Royce Phantom de septième génération. C'est bien une Rolls, on la reconnaît au premier coup d'oeil malgré ses lignes rajeunies. Enfin, rajeunies... c'est vite dit. Je lui trouve quelque chose de stalinien, architecturalement parlant, de par sa monumentale carrure, sa grille massive posée comme pour protéger une forteresse. Son empattement équivaut à quelques centimètres près à la longueur totale d'une Mini Cooper. Le châssis et une grande partie de la carrosserie sont en aluminium, ce qui permet d'abaisser son poids... à 2 tonnes et demie.
Deux batteries et deux alternateurs assurent la charge au démarrage du V12 à injection directe de 6,8 litres, gracieuseté, comme maints autres éléments mécaniques, de la BMW de Série 7. Il délivre 453 chevaux et un couple de 531 lb-pi, dont 75 % est accessible à 1 000 tr/min. On l'a couplé à une boîte automatique à 6 vitesses dont les changements de rapports sont aussi imperceptibles que le moteur n'est audible, de sorte que le 0-100 km/h est franchi en moins de six secondes dans un silence qui donne un caractère surréel à la performance.
Des freins d'un imposant diamètre immobilisent, à partir de cette même vitesse la lourde masse de la Rolls en moins de 40 mètres. Les roues de 20 pouces se chaussent de pneus Michelin intégrant la technologie PAX, qui permet de rouler 100 km malgré une crevaison. Les suspensions particulièrement soignées comprennent des amortisseurs pneumatiques dont la fermeté est dosée par ordinateur jusqu'à 100 fois par seconde. On ne doute pas un instant du confort qu'elles procurent aux occupants, encore qu'en l'absence d'un système de compensation de la stabilité, un certain roulis apparaît implicite au comportement d'une si grosse embarcation.
Classicisme et modernisme
S'il était essentiel d'insuffler à la mécanique un modernisme de bon aloi, il reste que la Rolls-Royce doit son prestige intrinsèque au luxe princier de son intérieur, et BMW ne l'a pas oublié. L'habillage de la Phantom a été confié en bonne partie à des artisans, et comprend une sélection choisie de boiseries exotiques, de cuirs somptueux et de lainages élégants. La planche de bord, avec ses cadrans analogiques et la simplicité vieillotte de ses commandes, adopte un design dont le classicisme semble intemporel, jusqu'à ce que l'horloge centrale laisse apparaître en basculant un écran multifonctionnel inspiré du iDrive de la série 7.
Les portes arrière s'ouvrent à contresens afin qu'on monte à bord de la façon la plus naturelle possible. Les proéminents fauteuils sont bien sûr aussi confortables que fastueux, et les larges custodes soustraient les passagers aux regards indiscrets de la plèbe. La banquette arrière pour trois personnes peut laisser place à la configuration « théâtre », consistant en deux fauteuils séparés par une console, et auxquels font face deux écrans DVD. Mais ce sont peut-être les petits détails qui frappent le plus l'imagination, comme ces parapluies, nichés dans les portières, ou bien la Flying lady que l'on escamote d'un simple interrupteur à l'avidité des « collectionneurs », sans oublier les sigles RR, au centre de chacune des roues, dont un système de contrepoids assure qu'ils restent de niveau lorsque la voiture est à l'arrêt.
Euh... bon, c'est bien joli tout ça, mais vous m'excuserez de vous quitter si tôt ; demain je me lève de bonne heure, pour aller survolter mon tracteur à gazon avec la vieille Corolla de ma fille !