Land Rover Range Rover, souverainement lui-même
Il a suffi de quelques brèves années pendant lesquelles BMW a dirigé les destinées de Land Rover pour transformer complètement le Range Rover. Auparavant, il affichait en certaines occasions un comportement tellement « fantasque » qu'il aurait pu servir aux déplacements de l'hilarant Mister Bean. Disons qu'il serait maintenant en mesure de poser sans gêne sa candidature pour devenir le prochain Bond's car.
Il est certain que passer d'un antique moteur Buick des années 1970 à un V8 DACT 4,4 litres d'origine BMW apporte une sérieuse dose d'optimisme dans la vie. C'est un peu comme se retrouver subitement sous le même toit que Cecilia Bartolli, après avoir été marié pendant 30 ans avec la Castafiore. Avec, en prime, une boîte de vitesses ultramoderne, une ZF d'origine allemande rebaptisée ici Command Shift, qui passe en douceur la puissance avec ses cinq rapports et ses cartographies à mode normal, manuel (séquentiel) et sport. Sans oublier une gamme de rapports courts à commande électrique, sans laquelle un Range ne serait pas un Range.
Depuis l'année dernière, ce gros baroudeur se pare d'une robe complètement altérée, même si elle a conservé les mêmes proportions et les mêmes arêtes taillées à l'équerre et au fil à plomb. De puissants projecteurs bixénon et des feux arrière noyés dans le chrome lui donnent un air résolument moderne. Les grosses ouïes placées immédiatement devant les portières, évoquant un squale menaÇant, sont en réalité des trappes servant à évacuer l'air chaud du compartiment moteur.
Un autre monde
En prenant place dans l'habitacle, même les plus blasés s'extasieront devant l'étalage de cuir odorant aussi doux que résistant, les appliques d'aluminium poli, les plastiques bien rembourrés, et les boiseries en cerisier huilé incrustées patiemment par un marqueteur. La nuit, la cabine discrètement éclairée par de minuscules ampoules blanches faÇon fibre optique donne l'impression d'évoluer dans un microcosme un peu surréaliste. Contrairement à ce qui était le cas dans les précédentes séries, l'ergonomie respecte les canons modernes, sauf pour la clef de contact placée bizarrement sur la console centrale, faÇon Saab. Les fauteuils avant vous soutiennent confortablement, les places arrière soignent assez bien les popotins qui s'y posent, mais l'accès est compliqué par leur hauteur et l'ouverture réduite. Le troisième occupant au centre ne sera pas trop mal loti. La chaîne stéréophonique satisfait même les plus difficiles (dixit Richard Petit, un ami du Guide), mais le chargeur pour les 6 CD se manipule à tâtons dans le coffre à gants.
Le beau V8 réussit l'exploit d'entraîner cette masse avec célérité, tout en consommant moins que certains 4X4 de statut beaucoup plus roturier. Le ronronnement grave qu'il émet se transforme en feulement puissant lorsque vous appuyez à fond sur l'accélérateur. Ce beau colosse au port altier vous offre (aussi) le luxe d'un comportement routier assez honorable. La suspension pneumatique réagit souverainement à la rencontre des trous et des bosses comme en présence de vulgaires manants, mais elle conserve aussi son aplomb au passage des courbes. Ses quatre niveaux (sur commande) vous permettent entre autres de prendre place à bord sans vous couvrir de ridicule (la marche est haute). Par ailleurs, elle éprouve de sérieuses difficultés d'adaptation à notre climat puisqu'elle gèle littéralement à moins 20 degrés. La direction s'avère un peu lente mais sa précision rassure. Le freinage puissant et endurant semble n'avoir d'autres limites que les pneus de 19 pouces, qui ne valent guère sur l'asphalte, et pis encore dans la neige et la boue. La vie est un éternel compromis.
Une armurerie ambulante
Lorsque, d'aventure, vous devez affronter une route vraiment « méchante », le Range, comme tous les combattants d'élite dans cette armée de VUS, met à votre disposition une véritable armurerie mécanique et électronique. Au soutien de ses deux différentiels (Torsen au centre et à blocage à l'arrière), on retrouve en effet un antipatinage indépendant à chaque roue, un système d'assistance au freinage (EBA) et un répartiteur électronique (EDB) pour appuyer l'ABS, le désormais fameux et presque indispensable système d'assistance dans les pentes descendantes (HDC), le contrôle dynamique électronique de la stabilité (DSC) adapté de BMW, et le contrôle du freinage en courbe (CBC). À la faveur de porte-à-faux extrêmement courts, les angles d'attaque et de dégagement impressionnants vous permettraient de grimper les marches du palais sans quitter le volant. Si vous restez embourbé avec tout cet arsenal à votre disposition, posez-vous de sérieuses questions sur la pertinence de détenir un permis de conduire, d'autant plus que, semble-t-il, certains dégénérés de Buckingham Palace peuvent le gouverner sans problème. Grâce à la garde au sol de 28,1 cm, et à la gamme de rapports courte, les obstacles s'aplatissent (ou font la révérence) devant vous. La visibilité panoramique, le diamètre de braquage raisonnablement court, la longue et délicate course de l'accélérateur vous permettent de placer, comme un cornac, votre pachyderme au poil près.
Jadis tellement fragile qu'il déconsidérait collectivement l'ordre des ingénieurs de Sa Majesté, le nouveau Range semble avoir finalement retrouvé une certaine fiabilité. On rapporte cependant des problèmes de gel de la suspension en hiver, et des dysfonctionnements des faisceaux électriques. Son charme et son confort very british, ainsi que son groupe motopropulseur very german, ont même réussi à convaincre mon « very critique boss » du sérieux de sa conception. C'est tout dire.