Ferrari 575M Maranello, la Ferrari battue
Une photo vaut mille mots, répète-t-on souvent. Jamais ce dicton n'aura été aussi vrai que lors de mon essai de la Ferrari 575 Maranello. Un simple coup d'?il et vous comprendrez que je n'ai pas hésité à pousser la voiture dans ses derniers retranchements, comme je l'écrivais souvent à mes débuts. Dérapages, contre-braquages, mises en travers, tout pour faire hurler les gros Pirelli P Zéro qui semblaient pourtant bien habitués aux pires abus. De toute évidence, cette Ferrari avait été « battue » et ne semblait pas trop incommodée d'un tel traitement. Bref, ce n'est pas tous les jours que l'on peut bousculer l'une de ces divas, plus souvent traitées avec tous les égards dus à leur rang et à leur prix.
Pauvre 575? Ses jantes bosselées, sa peinture piquée et son comportement d'ensemble témoignaient d'une vie difficile entre les mains des quelques journalistes qui avaient eu le privilège de figurer parmi les heureux élus à conduire la plus performante des Ferrari de route. « Elle n'a que 4500 km au compteur, mais je serais prêt à parier que 80 % de cette distance a été parcouru sur une piste de course », m'avait dit un préposé à l'entretien de Ferrari Québec. Bref, cette Maranello avait déjà été rudement mise à l'épreuve dans des conditions qui n'avaient rien d'une balade à la campagne. Malgré tout, elle ne semblait pas avoir trop souffert mécaniquement. Seule une très mauvaise vibration et un flottement du capot à grande vitesse vous laissaient sentir que la voiture n'était pas dans son état normal. Un mal pour un bien finalement puisque, pour une fois, j'ai pu conduire la voiture sans trop de ménagement.
Place à la robotisation
Ce qui distingue une Ferrari de toutes les autres aspirantes au titre de « super-car », c'est indéniablement sa mécanique et principalement son groupe motopropulseur. Aucun V12 ne réunit le même ensemble de qualités que celui de la 575 Maranello. À part quelques changements d'ordre esthétique qui la différencient de l'ancienne 550, la 575 se distingue par un moteur encore plus performant que le précédent et par la possibilité d'exploiter ses 515 chevaux au moyen d'une boîte de vitesses robotisée ou séquentielle à six rapports. C'est la même boîte F1 que celle de la 360, mais elle m'a paru à la fois plus vive et moins brutale que celle de sa s?ur cadette. Il faut le voir pour le croire, disais-je à un brave passager qui avait accepté de m'accompagner pour quelques tours de piste du circuit de Sanair. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que cette transmission vous fait passer pour un as de la conduite sportive en raison de son intervention rapide et surtout de ses petites montées en régime au moment de rétrograder. Pourtant, le conducteur n'y est pour rien : un petit coup de palette et tout se passe comme si vous aviez fait un double débrayage à la vitesse de l'éclair. Une fois la voiture lancée, les accélérations s'avèrent foudroyantes, rien de moins. Ce n'est qu'à l'arrachée que cette « cambio corsa » Magneti Marelli peut devenir problématique, car elle déteste que l'on rudoie son embrayage. Ce qui revient à dire que si c'est pour faire du « drag », achetez-vous plutôt une Viper ou quelque « bibitte » du genre. Avec la 575, vous risquez de cuire l'embrayage en moins de deux.
Parler des performances d'une Ferrari comme celle-là, c'est faire du verbiage inutile. Contentons-nous donc d'aligner des chiffres aussi révélateurs qu'éloquents : le 0-100 km/h est franchi en 4,5 secondes et le quart de mille s'amène en 13,2 secondes à la vitesse de 193,1 km/h. Et au troisième des six rapports au régime maximal de 7700 tr/min, vous êtes déjà en état de sérieuse infraction avec une vitesse qui excède les 160 km/h, soit à peu près la moitié des capacités de la Maranello. En lieu et place du gros levier de vitesses chromé et de sa grille de sélection, la version à boîte robotisée se contente d'une petite plaque où un minuscule basculeur permet de sélectionner la marche arrière. Un bouton permet d'annuler l'antipatinage tandis qu'un autre vous donne le choix entre utiliser les palettes sous le volant pour monter et descendre les rapports ou mettre la boîte en mode complètement automatique. Même là, toutefois, il ne faut pas s'attendre à des changements de vitesse ayant la douceur de ceux d'une Cadillac.
L'électronique au rancart
Bien sûr, Ferrari s'est aussi prévalu de tous les systèmes d'assistance au conducteur qui permettent de garder en vie les riches acheteurs de ces voitures de rêve. En ne touchant à rien, on aura droit à l'antipatinage et à un système de stabilité chargé de vous maintenir sur la route si jamais votre enthousiasme vous a porté à faire des excès. Toutefois, le seul moyen de découvrir la vraie nature de la bête sur un circuit est de donner congé à l'électronique. Cela fait, cramponnez-vous et soyez prêt à réagir rapidement, car Ça va très vite. Dans le premier virage de Sanair (une longue courbe sur la droite à deux points de corde), la 575 s'exécute avec le sous-virage naturel propre aux voitures à moteur avant. Il faut la provoquer pour que l'arrière consente à se déplacer pour la mettre en dérapage contrôlé. À la sortie, cette même Ferrari nous montre qu'elle a besoin d'espace pour bien exploiter toutes ses ressources. Fort heureusement, la direction est un modèle de précision. En ligne droite, chaque passage de vitesse vous projette en arrière et je vous mets au défi de garder la tête droite, même à l'enclenchement de la sixième à plus de 240 km/h.
Après plusieurs tours de piste consécutifs, les freins étaient encore aussi performants qu'au début. Pas surprenant que l'on ait mesuré la plus courte distance de freinage des 38 ans du Guide de l'auto avec un 100-0 km/h en 29,9 mètres. Wow !
Une finition discutable
Sur la route, on prend le temps de regarder autour et de constater que la visibilité est très bonne grâce à de bonnes glaces du custode. De mauvais revêtements font ressortir l'excellente rigidité du châssis, entachée sur notre voiture d'essai par de légers bruits de frottement dus à la finition intérieure. Une finition qui est d'ailleurs très sommaire avec certains plastiques indignes d'une voiture de ce prix. La 575 n'est pas non plus une voiture de luxe : la radio est ordinaire et la climatisation convenable, sans plus. Comme je l'ai déjà écrit, une Ferrari, c'est avant tout un superbe moteur et une splendide carrosserie. Tout a été pensé en fonction de la conduite sportive avec une position de conduite impeccable et, Dieu merci, pas de porte-verres. Pour le reste, il faut faire avec? Le coffre, par exemple, est minuscule et il est heureux que l'on ait prévu un espace additionnel avec de belles lanières en cuir juste derrière les sièges.
Et même le confort fait désormais partie des attributs de la 575 Maranello? à tel point que l'on finit par oublier que l'on roule dans une Ferrari. Je ne saurais dire toutefois s'il s'agit là d'une qualité ou d'un défaut.
L'essentiel cependant est de savoir que même battue et défraîchie, cette Ferrari est un magnifique exemple du savoir-faire d'un tout petit constructeur, quadruple champion du monde de Formule 1 au moment où ces lignes sont écrites.