Chevrolet Impala, futile réincarnation
J'ai un ami qui se fait une spécialité de trouver les détails anachroniques lorsqu'il visionne des films. Par exemple, une montre-bracelet au bras vengeur du bon gladiateur qui sauve l'héroïne. Récemment, nous regardions ensemble, pour une énième fois, Bullitt (1968) avec Steve McQueen déchaîné au volant de son électrisante Mustang. Eh bien, je suis convaincu qu'il n'aurait même pas remarqué une Chevrolet Impala 2003 qui se serait glissée dans le flot de la circulation.
De là à dire qu'elle s'adresse surtout aux nostalgiques d'une époque où les voitures se vendaient « à la livre », ou « au pied », il y a un pas? que je franchirai. L'Impala ? drôle d'idée d'avoir choisi le nom d'un gracile animal pour un véhicule aussi lourdaud ? n'est pas une si vilaine bagnole, mais elle n'offre que le minimum acceptable, tel un élève peu motivé qui se satisfait d'accumuler les notes de passage. Dans l'amas de banalités qu'elle affiche, on distingue essentiellement le cachet de ses lignes rétro ? pour ceux qui aiment ? et son gabarit dont l'importance évoque sûrement, pour ses utilisateurs, la puissance et la solidité.
La voie du milieu
L'Impala est offerte en version de base, ou LS, la première disposant d'un V6 de 3,4 litres relativement économique à la pompe, qui se classe avec ses 180 chevaux dans la bonne moyenne de son groupe sur le plan de la puissance (200 chevaux pour l'Intrepid de base, et 155 pour la Taurus). Bien qu'il lui faille parfois souquer ferme pour répondre aux sollicitations de l'accélérateur, ses prestations donnent satisfaction aux conducteurs qui n'aspirent qu'à se fondre anonymement dans les flots du trafic. L'Impala LS hérite pour sa part du V6 3,8 litres de 200 chevaux, que GM accommode avec assez de succès (et surtout économiquement) à toutes sortes de sauces depuis quelques décennies. Vous excuserez j'espère la comparaison, mais ce moteur est la version mécanique du pâté chinois, c'est-à-dire qu'il est élémentaire, qu'il contente la plupart des clients, et que plus on le réchauffe, meilleur il est. Il se permet même d'afficher un certain tempérament en accélération comme en reprise, et sa consommation est raisonnable compte tenu de sa cylindrée.
Une même boîte automatique à 4 rapports fait équipe avec les deux V6. Elle fonctionne avec bonheur, et dans une discrétion qui fait presque oublier sa présence. Les ingénieurs en sont également arrivés à des résultats assez heureux avec le calibrage des suspensions indépendantes. Le confort est à la hauteur des attentes sur autoroute, le débattement maximal des ressorts n'est pris en défaut que sur les inégalités de forte amplitude, et seuls les chemins cahoteux secouent les occupants pour la peine. La caisse accuse un fort penchant pour « pencher » en virage, mais le tangage est mieux contrôlé que ce à quoi les grosses berlines américaines nous ont habitués par le passé. Notons que la LS offre une suspension Tourisme qui ajoute un zeste de fermeté à la tenue des amortisseurs, sans sacrifier au confort. La direction vous renseigne peu sur l'état de la chaussée, mais elle guide avec précision, et la tenue de cap est somme toute foncièrement saine pour une voiture qui, on l'aura compris, n'a pas emprunté l'agilité de l'antilope africaine en même temps que son nom. Et si cela était, il resterait encore à la doter de sabots plus performants que les pneus de qualité générique dont on la chausse actuellement. Par contre, les freins à disque, avec ABS optionnel (compris dans la LS), permettent des distances d'arrêts convenables et font preuve d'une endurance rassurante.
Une présentation rétro
La silhouette de l'Impala laisse rarement indifférent. On devine chez les dessinateurs la volonté de faire moderne dans le respect des traditions, ce qui donne cette allure simpliste. Accordons-lui au moins le mérite de mettre un peu de couleur dans la grisaille des conventions esthétiquement correctes. Et puis elle n'agresse tout de même pas autant le regard qu'une Aztek !
Si vous aimez la carrosserie, vous adorerez la planche de bord, avec ses lignes aseptisées de comptoir de bar de sous-sol de bungalow. L'esprit rétro banlieusard qui lui tient lieu d'inspiration se manifeste jusque dans ses appliques de similibois. Mais, trêve de sarcasmes, l'instrumentation n'en est pas moins fonctionnelle, et les commandes, ergonomiques. Dommage, tout de même, que les matériaux fassent si bon marché. Ils sont destinés à perdre rapidement leur lustre, à moins que le propriétaire ne fasse usage régulier de Armor All et autres enduits protecteurs, ce qui ? on aura beau frotter tant qu'on veut ? n'aidera malheureusement pas à améliorer la finition approximative et sans raffinement.
L'accès à l'intérieur s'effectue aisément grâce à la large ouverture des portières et à la ligne de toit élevée. Une molle banquette à trois places à l'avant, avec accoudoirs escamotables pour deux personnes, équipe la version de base, tandis que la LS propose deux baquets à réglages électriques accordant un meilleur support. La position de conduite est bonne, et la visibilité, supérieure à ce que laisseraient croire les dimensions extérieures. On peut accéder au vaste coffre par le dossier rabattable de la banquette arrière ou par une ouverture derrière l'accoudoir central, à la condition d'avoir payé un supplément pour cette option ou de s'être carrément offert la LS.
On comprend qu'à un prix de départ de quelque 25 000 $, il faut s'attendre à devoir faire certains compromis. En plus de la climatisation deux zones et du lecteur CD, la version de base dispose tout de même des glaces, coffre, portières et rétroviseurs électriques, mais pas du régulateur de vitesse, ni des rétroviseurs chauffants. L'équipement de la LS est beaucoup plus étoffé, et compte tenu de son groupe motopropulseur plus raffiné, il ne fait aucun doute qu'elle constitue le meilleur, sinon le moins pire achat.