Rallye Gumball 3000 – Jour 6 : de Los Angeles à Las Vegas
Le soleil du désert tape sur le sable pâle qui s’étend pendant des milles et des milles dans toutes les directions, et il plonge la région de Death Valley dans une chaleur à faire brûler la peau et décoller la peinture. Je donne un petit coup de volant vers la droite et notre Camaro jaune modèle 1969 pose ses larges pneus sur l’accotement mou de la route US 190. Je tourne la clé et le grondement du V8 de 383 pouces cubes à sorties d’échappement ouvertes s’interrompt.
Dans le rétroviseur de la Chevy, je contemple une vision familière à travers la vitre teintée : les lumières clignotantes bleues et rouges montées sur le toit des camionnettes Dodge Ram des gardiens du parc. Je jette un coup d’œil à Steve, mon copilote pour cette portion finale du rallye Gumball 3000, et je constate qu’il demeure cool comme un concombre, ce qui est sa nature profonde peu importe ce qui explose, la pluie qui tombe ou la personne qui marche vers l’automobile. La fraîcheur de son attitude contraste avec la chaleur du four au décor magnifique dans lequel nous roulons. Nous sommes ici dans le point le plus bas de l’Amérique du Nord. L’air brûlant souffle sur les Camaro depuis 300 milles et j’espère que toutes les durites de radiateur demeureront aussi fermement en place que mes mains sur le volant de bois.
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Mon téléphone fait ding. C’est un message en provenance du VUS d’accompagnement qui vient de passer à côté de nous sans s’arrêter, comme l’a exigé le policier d’un signe de la main. L’homme se dirige vers la fenêtre du passager, il fait 45,5 °C. Je jette un coup d’œil nerveux aux instruments de la console qui indiquent que le moteur est un peu trop chaud à mon goût, surtout qu’en étant à l’arrêt, le liquide de refroidissement est immobilisé autour des cylindres.
Le ranger est maintenant à l’égalité de la portière de droite. Il se penche vers la vitre ouverte et découvre l’intérieur de la voiture : moi et Steve à l’avant, Carrie sur le siège arrière, tous épuisés par six jours sur la route, en sueurs, et affaissés sur nos sièges de vinyle. Nous essayons d’avoir l’air à la fois innocents et sympathiques. Mais il y a sans doute un seul de ces qualificatifs qui s’applique.
Il ajuste ses lunettes de soleil.
« Savez-vous pourquoi je vous ai arrêté », demande-t-il sur un ton à mi-chemin entre la boutade et l’exaspération. À l’extérieur, je vois un vautour qui disparaît au loin pendant que je m’enfonce un peu plus profondément dans le rembourrage de mon siège.
Je réponds « Non, Monsieur », ce qui est partiellement vrai.
Il fait une pause.
« Vous ne pouvez pas conduire aussi lentement sur la route, jeune homme. C’est... dangereux. »
Eh bien voilà. Je deviens le tout premier conducteur de l’histoire du Gumball 3000 à se faire arrêter non pas pour un excès de vitesse, mais pour le contraire absolu. Cela dit, ce n’est pas de ma faute. Je suivais Anthony dans sa propre Camaro 1969 au moment de l’infraction alléguée. Pour ventiler sa frustration quant à la façon dont notre convoi avait été traité par lesdits rangers depuis que nous avons quitté Stovepipe Wells, Antony roulait systématiquement à 20 mi/h sous la limite de vitesse, dans l’espoir que les forces de l’ordre abandonneraient leur plan consistant à nous servir d’escorte non officielle. Je découvre un peu plus tard qu’Anthony s’est fait arrêter à son tour un mille plus loin, ce qui fera de lui le deuxième pilote escargot dans les statistiques du Gumball. Ce sera la seule fois où l’une ou l’autre de nos Camaro aura été interceptée par les forces constabulaires dans notre voyage épique de Stockholm à Las Vegas.
Il s’agit là d’un accomplissement discutable et je reprends la route avec un sévère avertissement « d’élever la vitesse, svp ». Mais au moins, je n’ai pas manqué d’essence, comme Lewis Hamilton, 50 milles plus tôt au volant de son Agera R. Était-ce la première fois qu’on utilisait Instagram pour envoyer un appel de détresse? Finalement, Hamilton a atteint la ligne d’arrivée; il était irrité mais il ne réalisait pas sa chance, en réalité. Car il n’aura pas à souffrir de tous les surnoms reliés à la lenteur qui me colleront à la peau pour le reste de mes jours.
Le pire ennemi du Gumball : le Gumball
Le stationnement de l’hôtel Bellagio sert de point final informel pour une aventure que l’on doit qualifier de succès total pour les équipes Asiandate.com et Anastasiadate.com. Elles ont réussi à mener à bon port, à travers cinq pays européens et deux des états américains les plus chauds et les moins propices à la circulation, non seulement une paire de Camaro âgées de 46 ans, mais aussi huit véhicules d’accompagnement et une équipe de près de 40 personnes constituée de journalistes, de réparateurs et de personnel de soutien. Il faut être absolument reconnaissant envers Ryska Posten; leur travail de logistique et leur sang-froid imperturbable devant une série d’événements malencontreux nous ont permis de demeurer fermement dans la bonne direction malgré le désert, l’océan, les montagnes, et les barrages routiers allemands.
En fait, il faut également dire qu’en plus d’avoir combattu les pronostics négatifs concernant les chances de survie des deux anciennes bagnoles à travers de si grands territoires, Ryska Posten a aussi dû se battre contre les volets organisationnels incroyablement déficients du rallye lui-même. Toute la semaine s’est déroulée sous le signe des événements annulés et des horaires impossibles. Quant à la solution trouvée pour traverser l’Allemagne avec les voitures de sécurité, elle était risible. Elle a mené à l’émission de plus d’une douzaine de contraventions pour avoir suivi le chef de file, et absolument tous les participants ont été soumis à un barrage routier avec examen du passeport et des papiers. Et maintenant, nous voilà coincés dans le trafic en tentant de quitter le Bellagio; nous réalisons que la participation policière promise pour la parade de victoire du rallye ne s’est pas matérialisée, et que la parade a été annulée. Voilà qui crée un précédent pour demain : toutes les principales vedettes ont annulé leur participation au party du deuxième jour qu’on nous avait promis, et on a permis au public d’assister sans frais à ce qu’il restait de l’événement. Évidemment, ce n’est pas par l’entremise des organisateurs du Gumball que nous avons appris la nouvelle : nous l’avons lue dans le Las Vegas Sun.
Si le rallye Gumball 3000 était une caravane hautement commercialisée et sous le signe de l’intempérance, ce n’était heureusement pas le cas chez Team Asiandate.com et Team Anastasiadate.com. L’équipe était professionnelle, certainement, mais son approche était aussi éloignée que possible de celle du Gumball, lourdement axée sur le marketing. L’entreprise a organisé une participation agréable, amicale et conforme à l’esprit véritable de l’événement, malgré le fait que les organisateurs du Gumball de cette année aient semblé oublier leurs racines.
J’ai peine à imaginer toute la frustration qu’ont dû ressentir les équipes qui n’avaient pas la chance d’avoir Ryska Posten et A-date derrière elles pour garder le cap face à la prédilection du Gumball pour le chaos. De même, je ne peux pas imaginer que des gens ont payé 40 000 euros pour endurer autant de problèmes. Pour ma part, j’ai vécu une expérience de conduite inoubliable, en compagnie de la meilleure équipe du rallye, malgré l’organisation du Gumball, et non pas grâce à elle.
Statistiques Gumball : Jour 6
Niveau d’excitation envers l’Amérique des membres de l’équipe Ryska Posten : 15/10 (Death Valley est complètement à l’opposé de la Suède, et l’enthousiasme était immense)
Nombre de fois que j’ai fait caler le moteur de la Camaro en me rendant au point de rassemblement au quatrième étage du Bellagio : 2
Nombre de sacs de jerky achetés dans le désert de Mojave : 3
Index de défaillance de l’organisation du Gumball : 1000 %
Nombre d’équipes portant une armure romaine complète et marchant derrière un joueur de pipeau écossais à la ligne d’arrivée : 1
Nombre de sessions de photos improvisées par les modèles A-Date en traversant Death Valley : 3
Nombre total d’heures de sommeil au cours des six derniers jours : 21
Nombre total de milles parcourus : 3000?
Nouveau mot anglais appris par Per, notre conducteur suédois : Aucun, parce que la beauté du Mojave franchit toutes les barrières linguistiques.