Rallye Gumball 3000 – Jour 1 : de Stockholm à Oslo
Bang! Bang! Bang!
Les trois explosions font vibrer le pare-brise du VUS Volvo avec tellement de force que je me retourne aussitôt vers notre conductrice, Marina, pour lui demander si nous avons frappé quelque chose. Elle me répond sur un ton grave : « Non, ça vient de la Camaro... »
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Je regarde devant moi à travers les trombes de pluie et je vois bien qu’elle a raison. La Chevrolet Camaro rouge modèle 1969 s’immobilise lentement sur l’accotement. Dommage, car de nos deux Camaro, c’est celle qui a été modifiée avec la mécanique la plus moderne. Nous arrêtons derrière la machine rouge, nous mettons les clignotants d’urgence et nous attendons l’avis de Steve, notre mécanicien. C’est lui qui a monté les deux machines, et il pourra bientôt nous livrer son diagnostic.
Nous sommes à seulement 11 km d’Oslo. Il est 21 heures. Nous étions presque arrivés à destination.
L’aventure débute à Stockholm
Permettez-moi de faire un petit retour en arrière. Comme je l’ai expliqué dans mon court texte de présentation de la semaine dernière, depuis déjà 15 ans, le Gumball 3000 sert d’excuse annuelle pour réunir dans un rallye des voitures qui comptent parmi les plus chères, les plus rares, et parfois les plus excentriques de la planète. Cette année, le trajet débutait à Stockholm, en Suède, et il se terminera à Las Vegas, au Nevada. Pour traverser l’Atlantique en milieu de parcours, nous pourrons compter sur deux avions-cargos. Bref, on brûle de l’essence en abondance dans une atmosphère festive.
J’ai atterri à Stockholm samedi en fin d’après-midi. Après les formalités d’inscription, il me reste quelques heures pour me promener dans l’une des plus belles capitales d’Europe. L’archipel de Stockholm est rempli de touristes et de Suédois à la recherche de soleil. Le point d’attraction central est la grille de départ du rallye, établi sur un pont de pierre juste en face de l’édifice de la capitale. Il y a ici à un mélange de bolides exotiques anciens et nouveaux : des Viper, des Ferrari, des 911. Et des machines surprenantes : un trio de 918, un camion de transport Volvo à six roues, un Ford Raptor et un Lamborghini LM002, un VUS particulièrement rare et doté de pneus spéciaux particulièrement difficiles à trouver. Juste à côté du parc fermé de la grille de départ, il y a une immense scène qui servira à divertir la foule jusqu’au petit matin et au moment du grand départ.
Notre équipe
Ma première rencontre avec l’équipe Asiandate.com et Anastasiadate.com a lieu en soirée dans un petit restaurant très animé à quelques pâtés de maison du Grand Hôtel de Stockholm, qui sert de QG pour les organisateurs du rallye. En plus de commanditer le rallye lui-même, ces sites Internet de rencontres internationales commanditent également nos deux voitures et notre équipe de soutien, la plus grosse de tout le rallye. Nous pouvons compter sur 10 véhicules et près d’une quarantaine de personnes pour arriver à bon port : journalistes, experts en logistique, superviseurs, une équipe de photographes et de vidéastes, et les quatre pilotes officiels.
Autour de la table, il manque une personne ce soir. J’ai appris par un collègue qu’un des membres de notre équipe a été arrêté ce matin lors d’un accrochage à la sortie d’un bar après une soirée trop festive. Est-ce qu’il sera libéré à temps pour nous rejoindre en route demain? Personne ne peut le dire. Est-ce qu’il risque d’être expulsé? On ne sait pas. Puis notre repas arrive, et la discussion dévie vers un autre sujet.
Autour de cette table, il y a des personnes particulièrement intéressantes, dont mon voisin de gauche, Dmitri. Dmitri est le propriétaire et le directeur des deux agences de rencontre Web, et il compte également dans son portefeuille des participations dans différentes autres entreprises extrêmement rentables. Ce jeune homme cordial et musicien est arrivé hier à bord d’un de ses aéronefs personnels, avec son piano électronique grand format, parce qu’il aime bien jouer chaque soir avant d’aller se coucher. Il a même tenté de réserver la salle de concert de l’Opéra royal de Suède parce qu’il aurait aimé tester l’acoustique à partir de la scène principale. Malheureusement, elle n’était pas disponible. À côté de Dmitri, il y a Anthony, le numéro deux dans ce projet de rallye d’Asiandate.com et Anastasiadate.com. Anthony est un authentique et très fervent « gars de char ». C’est lui qui a décidé d’opter pour une paire de Camaro 1969, question de se distinguer parmi la panoplie de voitures à un million de dollars, et aussi pour satisfaire sa propre fixation sur ces icônes de la culture populaire américaine.
Tout le monde était bonne humeur quand je suis parti me coucher vers minuit – décalage horaire oblige – et d’autres ont poursuivi la soirée jusqu’au matin. Nous étions tous persuadés que les semaines passées à régler la somme éléphantesque de questions logistiques allaient bientôt livrer leurs fruits délicieux gonflés aux hydrocarbures. Nous ne savions pas encore que l’univers et les dieux automobiles avaient d’autres plans pour nous.
Compte à rebours vers la cata
Il est évident que les Camaro étaient un choix inspiré. Les Scandinaves ne semblaient jamais se lasser de ces classiques américaines, même quand elles étaient sagement immobilisées dans la quatrième rangée de la ligne de départ (un privilège que l’équipe a payé 14 000 $ dans une enchère la veille). Et au matin du Jour 1, on a senti le sang nordique des spectateurs s’échauffer quand on a fait démarrer les moteurs. Les engins de 383 pouces cubes à course allongée ont fait trembler la terre avec leurs échappements dérivés, et le sifflement des quelques V10 et V12 des alentours est devenu inaudible...
Pour commencer la journée, je monte dans la Camaro d’accompagnement, la rouge avec le numéro 67. C’est Dmitri qui conduit et nos pilotes officiels Jasmine et Ying sont aussi à bord (Dmitri cédera sa place plus tard – il va monter dans son hélicoptère personnel afin de nous suivre du haut du ciel). Anthony est au volant de la Camaro jaune, accompagné de nos équipières Milana et Alisa en combinaison-pantalon (aussi appelés jumpsuit). Pourquoi ne sont-elles pas au volant? Lors de leur arrivée à Stockholm, il est clairement apparu que, malgré leurs meilleures intentions, les mannequins choisies dans les deux sites de rencontre n’étaient pas suffisamment habituées à la conduite sur de longues distances, ni aux subtilités du pilotage avec une troisième pédale au plancher, pour s’aventurer dans les rues étroites des villes européennes ou dans la circulation dense. On a donc décidé de faire conduire en rotation des journalistes et des membres de l’équipe tout au long de la semaine.
En route vers Oslo dans une machine à remonter le temps
Mon tour de pilotage est venu en après-midi, après notre arrêt pour le lunch au château d’Orebro. À notre arrivée, nous avions été accueillis par des rangées de gearhead extatiques alignés de chaque côté des rues et dans la cour du palais du XIIIe siècle. En prenant place dans la Camaro rouge, je serre fermement ma ceinture de sécurité tout en me rappelant notre rencontre de ce matin avec l’officier Anders de la police de Stockholm. Il nous a expliqué qu’ici, les représentants des forces de l’ordre étaient patients, mais qu’ils s’étaient également fermes. À preuve, notre propre équipe a déjà subi une arrestation au cours des trois dernières heures, ainsi qu’une suspension de permis immédiate. Cela dit, nous sommes en bonne compagnie : à la fin de la journée, six pilotes du rallye auront été mis en détention, sous des accusations allant de l’excès de vitesse à la conduite sans être détenteur d’un permis de conduire.
Mes réflexions relatives à l’aménagement intérieur des prisons suédoises s’évaporent dès que je tourne la clé et que j’entends le grondement du V8 de 425 chevaux qui résonne sur les pavés. Attirée par le son, la foule s’approche encore plus de la Camaro, ce qui rend ma manœuvre de virage encore plus difficile pour quitter la cour du château et me diriger vers la route. Avec sa suspension modernisée, le coupé a hérité d’un rayon de braquage accru. Par contre, on y gagne en matière de contrôle sur la route. Aux quatre roues, on trouve des freins Baer. La transmission compte cinq rapports et le levier de vitesse en acier luisant trône fièrement au milieu de la console centrale.
L’embrayage à commande mécanique est souple et le moteur est capable de tourner à plus de 8000 tr/min. Mais par respect pour cette mécanique qui ne m’appartient pas, je n’ai pas l’intention de passer le cap des 6000 tr/min. Je ne peux pas m’empêcher de sourire en suivant la Camaro jaune qui se fraie un chemin dans le centre-ville d’Orebro, puis en direction de la frontière norvégienne. Quel vacarme irrésistible! Quelle façon brillante de passer un après-midi d’été en Suède!
Après une vingtaine de minutes de conduite, je remarque que l’indicateur de niveau d’essence s’approche dangereusement de la lettre E. E comme dans Empty (réservoir vide). Je fais part de ce problème par radio. Carl, le chef de l’équipe de soutien, me répond sèchement que c’est impossible, que le réservoir vient juste d’être rempli. Nous nous entendons donc pour considérer que l’indicateur de la voiture rouge est défectueux, et que nous nous fierons à celui de sa jumelle jaune pour estimer la quantité d’essence restante. La réponse de l’accélérateur de ce moteur alimenté par carburateur est nette et linéaire. Si l’on fait exception du fait que la Camaro est un peu trop large pour les rues suédoises, elle se laisse conduire comme un gentil félin.
Première prise, deuxième prise
Mais un félin sera toujours un félin. Même aux vitesses routières normales, les sorties de dérivation de l’échappement s’ouvrent et la machine rouge rugit en consommant joyeusement le pétrole jusqu’à ce que je dépasse allègrement le cap des 80 mi/h. Mon partenaire pour l’après-midi s’appelle Steve et c’est lui qui a monté les deux Camaro. Steve est un homme à la conversation agréable et il est ravi de pouvoir échapper momentanément à son travail habituel chez West Coast Muffler, en Californie.
Nous venons de rejoindre une des Porsche 918 pour une section de 50 km lorsque la Camaro se met à toussoter. Je réduis la pression sur l’accélérateur pour essayer de garder le V8 en vie, mais je dois me résoudre à immobiliser la voiture au bord de la route au prochain dégagement. Dès que nous sommes arrêtés, le moteur en fait autant. Je communique à nouveau avec l’équipe par radio et leur explique que les symptômes sont exactement ceux d’un moteur qui manque d’essence. Ça ne se peut pas, dit la voix dans la radio, comment le réservoir pourrait-il être vide alors qu’on vient de faire le plein et que l’autre Camaro affiche un réservoir encore rempli à plus de la moitié?
Après une minute d’arrêt, nous tournons la clé sur un coup de tête. Le moteur démarre aussitôt, ce qui est à la fois bienvenu et surprenant. Pendant les cinq prochaines minutes de conduite, nous nous lançons dans de grandes réflexions pour tenter d’en arriver à un diagnostic : se pourrait-il que les sorties d’échappement dérivées aient fait surchauffer les conduites d’essence et créé un bouchon de vapeur? A-t-on pu assécher le carburateur lors d’une accélération particulièrement enthousiaste entre la deuxième et la troisième vitesse? Au milieu de ces spéculations, le moteur se met à hésiter à nouveau, cette fois-ci dans une descente, puis il s’arrête pour une deuxième reprise dans la forêt suédoise. Je réussis à immobiliser la Camaro dans un autre dégagement judicieusement placé. Ensuite, après une analyse attentive de toutes les données disponibles – dont un reçu qui indique qu’un membre de l’équipe a mis 14 litres d’essence dans un réservoir qui peut contenir 14 gallons (59 litres) – nous en venons à une conclusion experte : le réservoir est absolument vide.
Troisième prise
Quarante minutes plus tard, après une session de photos avec bombes fumigènes (la fumée dure seulement deux minutes à la fois, il faut se dépêcher...), un véhicule de soutien nous rejoint avec un réservoir de 20 litres emprunté (son propriétaire a précisé qu’il ne savait pas ce qu’il contenait auparavant et « qu’il valait mieux être prudent »). Quelques kilomètres plus loin, nous faisons le plein et je cède le volant au collègue scribe Nick. C’est lui qui aura le plaisir de parcourir la prochaine section sous une pluie torrentielle, une pluie qui a débuté, bien sûr, pendant que nous attendions l’essence.
Rien à signaler pendant l’heure de conduite suivante sur l’autoroute. Je me contente de regarder Nick et Steve à partir du siège avant de la Volvo d’accompagnement, avec Marina et Jasmine qui a transféré son drapeau vers notre véhicule utilitaire sport. Un peu après avoir franchi la frontière avec la Norvège, toutefois, je remarque un bref nuage de fumée noire qui surgit des échappements de la Camaro. Quelques kilomètres plus loin, on ressent dans le pare-brise du XC60 les trois Bang! dont je parlais au début de cette histoire. Malheureusement, la Camaro rouge se range sur l’accotement pour une troisième fois, comme si c’était son inévitable destin de la journée.
Je sors de la Volvo et je cours sous la pluie pour rejoindre Steve. Il a ouvert le capot de la machine rouge et il examine le moteur. « C’est le distributeur d’allumage, me dit-il, il a explosé. » En effet, je vois bien à mon tour qu’il y a un énorme trou sur le côté du chapeau; il a laissé échapper son contenu sur l’autoroute à peine 11 km avant d’arriver à notre destination d’aujourd’hui. Habituellement, il n’arrive jamais qu’un chapeau d’allumage MSD tout neuf explose en conduite normale. Pourtant, c’est bien ce qui nous est arrivé. Les dieux norois nous ont jeté un sort pour avoir osé rouler sur le territoire sacré des descendants de Göteborg à bord de notre arrogant muscle car étranger.
Nous appelons une remorqueuse. La moitié de l’équipe reste auprès de la Camaro. Je pars avec l’autre partie du groupe pour tenter de réactiver nos réservations d’hôtel et voir aux préparatifs pour l’étape de demain, d’Oslo à Copenhague. Au McDonald’s du coin, le seul restaurant ouvert après 22 heures en cette journée de congé national, la plus importante de Norvège semble-t-il, je tombe sur un coureur local. Il propose de nous mettre en contact avec un fournisseur potentiel pour trouver un distributeur MSD de remplacement.
Le temps file. La Camaro est sur la table d’opération. Notre heure de départ de demain – 9 h – est aussi présente dans notre esprit que le soleil de presque minuit à Oslo.
Statistiques Gumball : Jour 1
Nombre d’interventions du limiteur de régime entendues en première vitesse : plus de 30
Mesure du détecteur de comportement bizarre des célébrités : 2/10
Tension au sein de l’équipe : 4/10
Index de fiabilité des Camaro : 5/10
Nombre d’expériences étranges en matière de nourriture scandinave : 1 (j’ai mangé du renne par inadvertance)
Nombre total de décès exotiques : 0
Nombre de Scandinaves le long des routes, sous la pluie, pour nous encourager entre les points de contrôle : au moins 500, peut-être 1000.
Nouveau mot appris en suédois : « Raggarbil » ce qui signifie « auto rockabilly ». S’applique à toute Volvo des années 1980 ou 1990 légèrement modifiée ou carrément transformée en hot rod.
Pour lire la suite de notre aventure au Gummball 300.