Deux McLaren à St-Eustache : une première mondiale!
C’était un jour de grandes premières sur le circuit routier de l’Autodrome St-Eustache. Personne n’avait encore conduit, le même jour, sur la même piste, ces deux versions de la McLaren MP4-12C, la grande sportive en fibre de carbone qui s’est lancée aux trousses de Ferrari, Lamborghini, Mercedes-Benz, Porsche et les autres il y a presque deux ans.
J’avais devant moi une MP4-12C de série, mais aussi une 12C GT Can-Am Edition que presque personne au monde n’avait encore conduite. Pour la simple raison que McLaren n’en avait encore livré que deux le jour de notre essai. Et celle que Le Guide de l’auto a eu le privilège de conduire était la toute première à fouler de l’asphalte nord-américain.
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Le mot privilège n’est pas trop fort parce que la division McLaren GT du célèbre groupe britannique fabriquera seulement trente copies de ce pur-sang réservé à la course et aux circuits. Il s’agit essentiellement d’une version « débridée » de la McLaren 12C GT3 qui s’est lancée à l’assaut des circuits l’an dernier, un peu partout sur la planète, aux mains d’équipes privées. Dont celle du Français Sébastien Loeb, neuf fois champion du monde des rallyes, qui en possède deux et en pilote une lui-même en course.
Joyeux 50e anniversaire, McLaren
Le nom de la McLaren 12C GT Can-Am Edition et son lancement cette année ne sont pas des coïncidences. Ce coupé long et bas a été développé dans l’esprit de la série Can-Am que McLaren a dominée comme nulle autre. Parce qu’on lui a effectivement retiré les brides imposées par la FIA en série GT3, tout comme c’était la liberté totale en matière de technique pour les équipes inscrites en série Can-Am durant son âge d’or, de 1966 à 1974.
Cette 12C Édition Can-Am a été conçue pour souligner le 50e anniversaire de cette équipe qui fut créée en septembre 1963 par un jeune pilote et concepteur néo-zélandais génial qui se nommait Bruce McLaren. C’est pourquoi on l’a peinte de cette même superbe couleur orange que portaient les McLaren M6 et M8 qui ont terrorisé leurs rivales en série Can-Am, mais également les McLaren d’usine qui ont été victorieuses à l’époque en Formule Un et aux 500 Milles d’Indianapolis.
Bruce McLaren serait fier de voir tout ce que cette équipe a réussi par la suite, en son nom. Il est disparu beaucoup trop tôt, le 2 juin 1970, lorsque la M8 qu’il pilotait est sortie de piste à grande vitesse au circuit britannique de Goodwood après avoir perdu son aileron arrière. McLaren la mettait au point pour la série Can-Am que son équipe a dominée à nouveau cette année-là.
Premier acte : la MP4-12C
Notre présence au circuit de St-Eustache n’était pas une coïncidence non plus. C’est effectivement là qu’est installée l’équipe MIA qui possède les deux McLaren et se spécialise dans la mise au point et l’entretien de voitures de course et de voitures exotiques. L’équipe utilise ce circuit pour la mise au point de ses voitures comme le fait McLaren sur le circuit de l’aéroport de Dunsfold que la série Top Gear a rendu célèbre.
Vingt ans après la naissance du chef-d’œuvre qu’était la McLaren F1, conçue par Gordon Murray, je vais enfin conduire la nouvelle sportive qui est la pierre angulaire d’une gamme de supersportives en expansion. McLaren l’appelle maintenant 12C, plus simplement, mais elle se nommait MP4-12C à son lancement. Un clin d’œil à la MP4/1 qui fut la première Formule 1 à coque en fibre de carbone, en 1981. McLaren n’a jamais utilisé un autre matériau depuis pour toutes ses voitures.
La McLaren 12C vise directement la Ferrari 458. Pour les 307 000 $ que vaut notre voiture d’essai, la 12C est compétitive parce que sa coque MonoCell en fibre de carbone, qui ne pèse que 75 kilos, est fabriquée en seulement 4 heures alors qu’il en fallait environ 3 000 pour produire celle de la F1 qui coutait un million de dollars.
La 12C profite de caractéristiques uniques, telles une suspension dont les amortisseurs interconnectés éliminent les barres antiroulis, un mode qui freine la roue intérieure arrière pour réduire le sous-virage et un aileron mobile qui améliore freinage et tenue de route. Ces deux dernières techniques développées pour les F1 ont été interdites par la suite.
La carrosserie a été sculptée en soufflerie et ses formes polies ensuite par le chef styliste Frank Stephenson qui a dessiné jadis les Ferrari F430 et 612 Scaglietti ainsi que la première Mini moderne.
L’habitacle de la 12C est remarquablement dépouillé. Contrairement au fameux manettino qui est placé sur le volant de sa rivale italienne, les caractéristiques de la suspension et du groupe propulseur de la McLaren s’ajustent par des molettes sur sa mince console centrale qui loge aussi un écran vertical de 7 pouces sur lequel on règle d’autres systèmes. Pas le moindre bouton sur le volant à trois rayons, dont le bas de la jante est plat.
La portière en élytre se soulève à la verticale et je me glisse facilement à l’intérieur malgré un seuil très large. Le siège et la position de conduite sont à peu près parfaits. La 12C vient de faire quelques tours aux mains du pilote et instructeur professionnel Jean-François Dumoulin.
Deux fois vainqueur en catégorie aux 24 Heures de Daytona, Dumoulin est maintenant assis à ma droite. Il est le pilote attitré des McLaren pour l’équipe MIA et a d’ailleurs mené la Can-Am Edition à une première victoire quelques jours plus tôt au Circuit Mont-Tremblant. Là où a été courue la toute première épreuve de la série Can-Am en 1966.
Quatre degrés, c’est trop froid pour les pneus Pirelli Corsa déjà usés de la 12C. Mon copilote a choisi des réglages « conservateurs » pour les différents systèmes. Je ne pousse pas la McLaren aussi fort que je le ferais normalement, toutefois, nous roulons quand même vite sur ce circuit court et sinueux.
Elle s’inscrit en virage avec grande précision et les transitions sont impeccablement linéaires. La suspension efface complètement des bosses que je vais bientôt sentir très clairement dans la version Can-Am.
Le V8 de 3,8 litres à double turbo pousse très fort, avec un rugissement feutré, mais on ne sent carrément pas la vitesse. La pédale est trop sensible au début, heureusement, les grands disques métalliques (carbone-céramique en option) ralentissent la 12C avec force.
Notre MP4-12C a profité d’une mise à niveau qui porte sa puissance à 625 chevaux. C’est une des retouches apportées au modèle 2013 pour que la 12C soit plus compétitive face à la Ferrari. Elles peuvent presque toutes être appliquées aux voitures livrées plus tôt.
J’ai conduit la 458 Spider lors du lancement et espérais conduire la McLaren sur la route pour mieux les comparer. Nous avons manqué de temps. Le duel devra attendre.
McLaren 12C GT Can-Am Edition: la totale
Sans les brides imposées par la FIA pour ses deux turbos, la puissance du V8 de la GT3 de course passe de 492 à 630 chevaux. Les changements les plus apparents sont l’installation d’une lame avant (splitter) et d’un plus grand aileron arrière qui augmenteraient la portance aérodynamique de 30 %.
Les deux sont en fibre de carbone, comme tous les panneaux de carrosserie de la Can-Am, qui lui sont exclusifs. La seule composante commune aux versions course et route de la 12C est le châssis MonoCell qui est façonné à partir du même matériau.
Une série d’autres modifications font grimper le prix de 325,000 £ (545,000 $) que McLaren demandait à ses clients pour la version 2013 de sa 12C GT3 de course à environ 375,000 £ (630,000 $) pour la Can-Am Edition. MIA évalue la sienne à 700 000 $.
La GT Can-Am est par exemple équipée d’une boite de vitesses séquentielle Shiftec avec actionneurs pneumatiques et manettes au volant qui est plus légère de 80 kilos que la boite à double embrayage de la 12C.
Sa suspension à doubles bras triangulés est réglable pour la hauteur de caisse, le carrossage et le pincement et ses amortisseurs ont quatre réglages en plus. Et la GT a des barres antiroulis réglables, elle, en plus de roues en aluminium de 18 pouces avec écrou de fixation unique, chaussées de pneus de course Pirelli lisses.
Les freins Akebono combinent des disques en acier ventilés et des étriers monoblocs à six pistons à l’avant et quatre derrière. Le seuil de l’antiblocage de course Bosch n’est qu’un des paramètres que le pilote peut régler avec les divers boutons qu’il trouve sur un volant rectangulaire inspiré de celui qu’on trouvait dans la McLaren MP4-24 de F1 en 2009.
Deux techniciens consacrent trois semaines entières à l’assemblage d’une seule 12C GT Can-Am, selon Michel Labrosse, qui dirige l’équipe MIA. Leur voiture a fait son premier galop d’essai en septembre, sur la piste de Saint-Eustache et sous l’œil attentif d’un ingénieur de McLaren venu d’Angleterre pour l’occasion.
En piste, un crescendo fascinant
En tenue de course complète, avec le casque intégral et les gants, je change de place avec Jean-François Dumoulin dans la Can-Am. Après un rituel de mise en marche et de réchauffement qui a pris une bonne heure aux techniciens, « J-F » a fait quelques tours pour réchauffer encore la mécanique en espérant mettre un peu de chaleur dans les pneus lisses.
Il faisait 4 degrés avec la 12C et c’est à peine plus chaud. La température minimale pour tirer une bonne adhérence des pneus de performance est 7 degrés, et les « slicks » sont encore plus capricieux. Le rythme de Dumoulin et les accélérations de la Can-Am étaient quand même impressionnants. Lorsqu’il freinait au bout de la courte ligne droite, j’étais projeté vers l’avant comme un sac de sable, malgré les sangles bien serrées des larges ceintures à six ancrages et mes jambes qui poussaient sur le gros bloc qui tient lieu de repose-pied.
Les contrôles de la Can-Am n’ont pratiquement rien à voir avec ceux de la 12C « civile » dans une cabine austère et dépouillée où règnent la fibre de carbone et le tissu Alcantara couleur charbon. Le plus étrange est la pédale d’embrayage dont on ne se sert que pour démarrer et pour éviter de caler le moteur en s’arrêtant. Jambe gauche complètement allongée, je la laisse remonter lentement et la McLaren décolle en piaffant un peu, mais le moteur ne cale pas. Je me dis : « Yé ! »
Je m’attendais à ce que ce volant de forme étrange soit bizarre, avec sa prise comme du caoutchouc-mousse, néanmoins, je le trouve immédiatement confortable et son maniement naturel. La servodirection est directe mais étonnamment légère. Je soupçonne les pneus encore tièdes et le fait que cette bête ne peut générer qu’une fraction des 1 135 kilos (2 500 livres) d’appui aérodynamique dont elle est capable sur ce circuit serré.
La Can-Am est beaucoup plus basse que la 12C. Je sens la moindre bosse au début, en revanche, mais l’amortissement est impeccable, la voiture tient sa trajectoire superbement et je passe aux choses sérieuses. Le V8 biturbo a un méchant punch à moyen régime et me force à passer sans attendre le prochain rapport. Les engrenages s’enclenchent et la Can-Am se met à ruer fortement pendant une fraction de seconde. Avec un casque, j’entends un grognement sourd mais la McLaren est parfaitement civilisée pour une voiture de course.
Après quelques tours, la Can-Am mord bien et enfile les virages avec un bel équilibre. Je ne fais que la guider sur la trajectoire. À chaque tour je freine plus fort, sans jamais sentir l’ABS s’activer le moindrement. Mon copilote m’encourage à freiner encore plus fort mais la pédale est vraiment très dure. Et c’est déjà le temps de la ramener aux puits.
En lisant les données télémétriques sur son ordi portable, l’expert techno de l’équipe MIA, Carl Hermez, me dit que j’ai presque atteint 2g en virage mais pas tout à fait 1g au freinage. Je pourrais certainement faire mieux. La Can-Am doit effectivement être stupéfiante sur un circuit plus rapide, par un temps moins nordique.
Je suis quand même emballé, excité comme jamais. Ces tours au volant d’une machine extraordinaire sont maintenant gravés à l’encre indélébile dans ma mémoire.